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Un Conte d’effets
C'est loin d'être féerique, fantastique, enchanteur, mais le jeu proposé par Conte lui ressemble. Rigueur tactique, régimes militaires, greffes capillaires, pragmatisme... Voilà sa méthode. Et pour le moment, ça fait son effet.
60. Comme le nombre de ballons touchés par Witsel et Nainggolan en 90 minutes. Autant dire un jeûne forcé pour les deux supposés sources de créativité belge. On parle d’un match référence pour l’Italie de Conte. À raison. La partition jouée par les onze disciples de l’homme à la greffe capillaire était quasiment parfaite. Un modèle de rigueur, de solidarité et « d’esprit d’équipe » si cher à l’ancien de la Juve. Car le plan était simple. Enfermer les deux créatifs belges entre une ligne de deux attaquants avancés et une densité maximum au milieu de terrain.
Really enjoyed the Italian shape out of possession. Very very effective and well drilled. #ITA #EURO2016 pic.twitter.com/U9FvT1nD0L
— The Analysts Eye (@TheAnalysisVids) 13 juin 2016
Résultat : les centraux belges sont obligés d’allonger sur Fellaini esseulés et de rendre le ballon. Ou bien d’écarter sur ses deux ailiers, Hazard et De Bruyne, et de tomber dans le piège italien. L’apparente passivité est un leurre qui se transforme en harcèlement soudain, une fois le ballon proche de la ligne de touche. Ainsi, un maximum de ballons récupérés à moindre effort et rejoués au plus vite vers l’avant. Et là aussi, offensivement, c’est à peu de choses près le même pragmatisme : du jeu direct, de la concentration et du réalisme.
Défaite = mort
Ça ne fait pas tout à fait rêver, mais la méthode Conte a fait ses preuves. En Italie en tout cas, il est l’homme qui a atteint les 102 points avec la Juventus, en 2014. Une vraie saison de porc qu’il a construite à coups de discipline. La preuve le 9 février de cette année-là, alors que la Juve marche sur la Serie A, ses joueurs font l’erreur de concéder le nul à l’extérieur contre le Hellas. Il leur sucrera donc une journée de repos et tentera de les remobiliser immédiatement. Il n’a jamais hésité non plus à passer une soufflante à Gianluigi Buffon, au moins aussi vieux que lui. Et au final, cette saison-là, la Vieille Dame ne laissera pas une miette à ses concurrents. Une de ses citations préférées, c’est : « Je considère la défaite comme une mort temporaire. » Ça vous donne une idée de l’homme. Il faut dire aussi que le frangé a appris des meilleurs : « Marcello Lippi, Giovanni Trapattoni, Arrigo Sacchi, Carlo Ancelotti… En tant que joueur, j’ai eu quelques bons coachs. Et aujourd’hui, j’essaye de tous les mélanger pour créer mon propre football. »
Et donc forcément, avec de telles influences, pas de bons soldats sans une vraie discipline. Pour bien le comprendre, une anecdote racontée par le journaliste italien Alessandro Alciato, dans le livre La méthode Conte, est assez parlante. Une histoire de régime. Alors que l’équipe se réveille à Coverciano, le Clairefontaine italien, le tacticien laisse une note au buffet : « Le régime est ce qui peut faire la différence entre une défaite et une victoire. » À côté de ce mémo, où figure également la méthode pour se construire un petit-déjeuner parfait, se trouvent quatre tables. La première ne contient que des protéines. La seconde, des graisses. La troisième, des glucides. La quatrième, du capuccino, du thé et des jus de fruit. À noter également que lors des différents vols de son équipe, et notamment avec la Juve, il a pour habitude de faire interdire toutes les boissons pétillantes et/ou sucrées dans l’avion. Le plaisir. Toujours le plaisir.
Sa victoire contre la calvitie
Comme tout entraîneur italien qui se respecte, Antonio est aussi un fan de vidéo. Avec la Nazionale, Alessandro Alciato, toujours, raconte que les séances vidéo durent souvent plus d’une heure, alors que généralement, avec la plupart des coachs, on est plus sur la moitié. Preuve ultime de son obsession pour les visionnages en groupe, Conte demande aussi à ses assistants de filmer les entraînements. Son explication ? « La vidéo est une source de certitude pour les entraîneurs, et les joueurs ne peuvent plus se trouver d’excuses. » Ce thème est aussi celui du mémoire de 38 pages qu’il rédige à la fin de sa formation d’entraîneur. Un épicurien, en somme.
Et ce sont surtout des valeurs qu’il cherche à inculquer à ses plus jeunes joueurs : « Internet et les réseaux sociaux ont changé beaucoup de choses dans le football moderne. Et pas qu’en bien. Les jeunes peuvent marquer un but et se revoir une demi-heure plus tard sur leur téléphone, dans le vestiaire. Ce n’est pas évident de toucher les jeunes joueurs rien qu’avec des mots, aujourd’hui. » S’il est aujourd’hui l’un des seuls à prôner et à sublimer le 3-5-2, il se veut surtout être un homme de circonstances : « Je me vois comme un couturier qui doit fabriquer un costume avec certains matériaux à sa disposition. Si un entraîneur veut imposer un système tactique très compliqué à des joueurs limités, il va certainement se louper. Donc je cherche toujours à m’adapter aux circonstances. » Verratti, Marchisio blessés ? Pirlo plus au niveau ? Pas de souci pour lui. Il ne cherchera pas à faire le jeu, et Jorginho ne lui sera donc d’aucune utilité. À l’inverse de Sturaro et De Rossi. C’est peut-être moche. Mais à l’image de sa greffe capillaire, ça fait le job.
Par Ugo Bocchi