- Coupe du monde 2022
Un boycott du Mondial 2022 au Qatar est-il envisageable ?
Le Qatar va, normalement, accueillir la prochaine Coupe du monde de football. Or, celle-ci s’annonce dès maintenant comme une des pires de l’histoire de cette lucrative compétition, aussi bien sur le plan sportif – notamment pour des raisons climatiques - qu’au niveau festif. Surtout, un chiffre à lui seul suffit à se poser sérieusement la question du boycott : les diverses équipes vont jouer sur des cimetières, celui de milliers de travailleurs tués à la tâche pour asseoir le soft power de l’Émirat et remplir les caisses de la FIFA.
Selon le Guardian, 6500 travailleurs migrants seraient déjà décédés depuis l’attribution de la Coupe du monde 2022, dans des circonstances troubles, au Qatar. Il ne s’agit malheureusement pas d’un scoop. Depuis au moins huit ans, ONG, syndicats et la presse internationale alertent sur la situation et le drame qui se déroulent sur place. Originaires du Sri Lanka, du Pakistan, d’Inde, du Bangladesh et du Népal, les ouvriers des divers chantiers liés au Mondial (stades, infrastructures, etc.) ont été sacrifiés sans amertume, quand les autres s’activent sous le joug d’un régime salarial quasi médiéval, malgré les timides concessions que l’Émirat a fini par lâcher pour faire bonne figure.
Les stades cimetières
L’arrogance des autorités locales, et leur mépris envers ces vies humaines, le cynisme sans tache de la FIFA, n’ont d’égal que l’indifférence des régimes occidentaux devant ce drame qui semble irréel quand on pose juste les statistiques sur la table (nul besoin de VAR ou de palette). Il est donc sérieusement possible, en 2021, de tolérer que des milliers de personnes crèvent de chaud ou d’accident, uniquement pour que se tienne dans les temps une compétition de football. Rien que le choix initial, alors que d’autres candidats existaient dans le monde arabe (sans même évoquer ici simplement la nature du régime ou les droits de l’homme) et les conditions hallucinantes de son déroulement, auraient logiquement dû amener à s’interroger sur la nécessité de son report et de sa délocalisation dans un autre pays hôte.
Or, si l’annonce de ces chiffres morbides devrait soulever le cœur de nos dirigeants, il ne produit pour le moment que de la gêne ou du silence, quand on ne pointe pas du doigt les mauvais esprits qui osent par avance gâcher la fête. Pourtant, l’idée du boycott n’a rien de surréaliste, ni franchement d’une obsession gauchiste. Ou ne devrait pas l’être. En France, la FFF reçoit une délégation de service public de la République. Dans le cadre de la loi sur le séparatisme en train d’être adoptée, il sera demandé au moindre club local ou de quartier de signer une charte de respect des valeurs républicaines afin de recevoir une subvention. Ne serait-il pas, dès lors, tout aussi logique que l’État exige que les Bleus conditionnent leur participation à une telle compétition à un minimum de critères éthiques ou moraux ?
Jouer au milieu des ossements ?
D’autre part, il faut aussi rappeler que l’ensemble des ministres des Sports de l’UE, dont Roxana Maracineanu, ont adressé récemment une lettre à la commissaire européenne Mariya Gabriel, exigeant que les droits de l’homme soient davantage pris en compte lors de l’attribution de l’organisation des grandes compétitions internationales. Ne serait-ce pas le bon moment pour mettre ces belles déclarations d’intention en œuvre et donner une petite leçon à des institutions – ou multinationales – sportives ? Des institutions qui sont, par ailleurs, relativement épargnées par le pouvoir des États, et restent tranquillement à l’abri sur les bords des lacs suisses. On parle quand même ici de choses sérieuses. Ce ne sont pas « juste » des soupçons de corruption ou des questionnements sur la santé des stars. On parle là de milliers de cadavres qui sont entassés sous les yeux du football mondial. Qui veut encore taper le ballon à l’ombre de ces invisibles pyramides de cadavres ?
Toutefois, si par faiblesse version realpolitik, ou autre argument sur la neutralité du sport, une telle « option » se perdait dans les dédales des ministères ou du palais de l’Élysée, la responsabilité en retomberait sur les épaules des principaux protagonistes, les joueurs. Antoine Griezmann a renoncé fort justement à un sponsor pour dénoncer le sort des Ouïghours. Les footballeurs se sont exprimés au sujet des violences policières, et ils en avaient toute la légitimité. Kylian Mbappé aura-t-il le courage de refuser de dribbler au milieu des ossements ? Le football n’a certes pas à servir de bonne conscience à l’Europe, mais il peut, peut-être parfois, indiquer où sont les limites de l’inacceptable.
Par Nicolas Kssis-Martov