- International
- Russie
Russie : un blocus à briser
La situation délicate des clubs ukrainiens, contraints de jouer systématiquement à l’extérieur, est souvent soulignée, à juste titre. Mais l’invasion de l’Ukraine et la guerre qui s’y éternise ont aussi de lourdes conséquences sur le foot russe, qui tente de sortir de son isolement…
Voilà bientôt un an que l’UEFA et la FIFA (à son corps défendant pour Gianni Infantino, grand ami du tsar Poutine) excluaient les clubs russes et la sélection nationale de ses compétitions. Cette décision renvoyait de facto le championnat russe aux années 1930, quand l’URSS préférait développer son « foot socialiste dans un seul pays » à la sauce stalinienne et que ses diverses équipes nationales ne rencontraient que des homologues « prolétariennes » au sein de l’Internationale rouge des sports ou lors d’événements « unitaires » telle la Coupe du monde du foot ouvrier à Paris en 1938.
Le contexte, et notamment la nature politique du régime, a évidemment sensiblement évolué. Pour Vladimir Poutine et les instances sportives russes, retourner dans le grand cirque de la FIFA et du CIO demeure un objectif important, y compris dans la sortie de crise « victorieuse » que le maître du Kremlin escompte toujours. Certes, des compétitions alternatives ont été organisées avec les « alliés » non alignés du moment. Elles ne sauraient néanmoins se substituer à un retour des athlètes russes lors des Jeux olympiques de Paris en 2024 (les débats à ce propos s’avèrent très vifs, notamment entre politiques français et le CIO) ou bien sûr des joueurs russes sur les pelouses, en clubs ou entre nations. Pour la Russie, l’enjeu serait clairement de remporter par là même un succès symbolique qui pourrait notamment accompagner une paix validant l’annexion des régions contestées « sécessionistes ».
L’Asie comme porte de sortie ?
Pour le moment, nous en sommes loin. L’UEFA a clairement fait savoir que les sanctions seraient pour le moment maintenues, ce qui oblitère une éventuelle participation pour le Mondial 2026 (aux États-Unis, Canada et Mexique pour mémoire) et surtout pour le prochain Euro. En outre, les clubs russes vont devoir se passer encore de la vitrine et des revenus (le capitalisme a ses contraintes, y compris dans son format autoritaire) des C1, C3 et C4. Si à l’image de l’ensemble du pays, le foot pro semble surnager dans une économie de guerre prolongée, une telle situation laissera des traces sur le long terme, y compris pour la puissance et l’attractivité du Zénith ou du Spartak. Aleksander Čeferin, qui en tant que Slovène porte forcément un regard singulier sur qui se passe à l’est du Vieux Continent, n’a pas l’intention de changer ce cap, d’autant plus que le TAS avait validé les décisions de l’UEFA. De la sorte, après la Ligue des champions, dont la finale avait été déplacée de Saint-Pétersbourg au Stade de France (avec le succès qu’on lui connaît), la Supercoupe d’Europe 2023, prévue le 16 août prochain à Kazan, en Russie, se déroulera donc dans le stade Karaïskákis à Athènes.
Face à ce cul-de-sac, la fédération de Russie cherche des portes de sortie, en se tournant vers des espaces géopolitiques davantage bienveillants ou « non alignés », envers la Russie et ses petites manies expansionnistes. De la sorte, les contacts et les signaux s’avèrent de plus en plus forts quant à un scénario d’adhésion de la Russie à la confédération asiatique (AFC). Une possibilité que le Comité olympique asiatique avait déjà laissé entendre, prêt à recevoir en son sein les parias de Moscou pour les futures olympiades. Le patron du football russe, Alexander Dioukov, avait de la sorte détaillé cette stratégie digne du baron Roman von Ungern-Sternberg (chef russe blanc pendant la guerre civile contre les Bolchéviks, qui désira fonder son royaume au-delà du Baïkal). « Nous pouvons nous rediriger vers l’Asie, mais il faut une décision de la FIFA pour participer à la Coupe du monde 2026, on trouvera un accord plus vite via ce groupe de travail. » Cette réorientation du football russe, qui rencontre un écho positif, par exemple en Arabie saoudite (dont l’intervention militaire au Yémen a provoqué des centaines de milliers de morts sans aucune indignation), donnerait en tout cas corps au discours de plus en plus anti-occidental du régime russe, ainsi qu’au rêve d’un empire à cheval sur les deux continents, chers à certains idéologues nationalistes fort écoutés au Kremlin. Effectivement, le foot n’est pas politique…
Par Nicolas Kssis-Martov