- Catastrophe de Furiani
Un 5 mai sans foot, pourquoi pas ?
La catastrophe de Furiani restera une blessure jamais refermée, autant pour le foot corse que pour notre pays. Alors que des voix convergentes s'élèvent depuis de nombreuses années pour exiger que le 5 mai devienne – enfin – un jour sans match professionnel, les pouvoirs publics et la LFP continuent de faire la sourde oreille. Ce serait pourtant une unique et solennelle occasion d'inscrire, à travers ce drame, le foot dans notre histoire.
Le 5 mai 1992, la demi-finale de Coupe de France entre Bastia et l’Olympique de Marseille a laissé une trace profonde auprès des amoureux du ballon rond sur l’île et plus largement dans l’Hexagone. Un bilan qui donne encore aujourd’hui le vertige, au regard de la taille du stade et de la population insulaire : 18 morts et 2 357 blessés. Ceux qui l’ont vécue en direct devant leur petit écran ont conservé un sentiment d’horreur et d’incompréhension, qui ne s’est jamais véritablement évanoui.
Des images effroyables. Le balai des hélicos qui évacuaient les victimes, la pelouse transformée en hôpital de fortune, Thierry Roland agressé en tribune par des spectateurs sur les nerfs… Puis, les coups de fil passés pour savoir si les amis étaient sains et saufs. Depuis, d’autres moments nous ont tristement habitués à ce que le quotidien s’apparente brutalement à une zone de guerre. Toutefois, aucune tragédie dans le foot français n’a marqué à ce point notre mémoire collective.
Demande unanime et légitime
La demande réitérée, aussi bien par les diverses personnalités du foot corse ou tricolore que par les élus locaux (toutes couleurs politiques confondues) en passant plus largement par la quasi-totalité du mouvement ultra (Rennais, Marseillais, Stéphanois…), se heurte pourtant toujours à un étrange refus. L’assemblée de Corse a néanmoins voté une motion, à l’initiative de « Femu a Corsica » et soutenue par l’ensemble des groupes, pour demander l’annulation des matchs ce dimanche.
Ghislain Printant, ancien entraîneur bastiais et aujourd’hui adjoint de Gasset à l’ASSE, s’est également ému de cette situation incompréhensible face à la presse : « On a déplacé des matchs toute la saison, et on ne peut pas programmer une journée entière le vendredi et le samedi ? Une fois de plus, notre instance, la LFP, passe à côté d’un formidable acte. »
Arguments spécieux
Les arguments avancés paraissent effectivement spécieux. La LFP déplace des rencontres pour des stages du PSG à l’étranger, pour des manifestations de Gilets jaunes ou pour encore bien d’autres motifs. Devant le tollé, la Ligue a cependant concédé une minute de silence qui n’a certainement pas la portée symbolique d’une journée sans foot. Du côté de l’État, la gène s’avère également de mise. Après une déclaration maladroite sur RMC le 19 avril où Roxana Maracineanu expliquait qu’elle n’avait « pas forcément d’avis sur la question » , la ministre des Sports a semble-t-il mesuré l’importance de cette question.
Elle s’est depuis rapprochée du collectif du 5 mai et elle déposera ce dimanche une gerbe à son ministère, accompagnée de Nathalie Boy de la Tour, la présidente de la LFP. Cela reste insuffisant. Car de fait, le sujet est politique – au sens noble du terme – et mériterait que l’État s’en empare véritablement. Quitte a imposer son point de vue au nom de l’intérêt général.
Un deuil national
Les raisons ne manquent pas, pour en faire une cause nationale et un objet de mémoire collective. Se souvenir des victimes évidemment, mais aussi ne pas omettre que justice n’a pas été rendue et que les responsabilités – notamment locales – n’ont pas été établies. Le 5 mai sans foot, c’est refuser de clore une affaire qui ne l’est toujours pas. Surtout, instaurer un jour sans match permettrait d’inscrire le foot dans notre patrimoine national qui, malheureusement, repose également sur la communion autour d’événements douloureux. Ce silence dans les stades résonnerait alors d’autant plus qu’il ne se passe pas d’ordinaire 24 heures sans une rencontre télévisée. Enfin, on ne peut sans cesse répéter que la Corse est la France, intenter le procès du foot corse et de ses dérives, et ne pas l’accueillir dans la communauté nationale quand il porte un tel deuil qui est quelque part aussi le nôtre.
Bien plus que d’accorder une exception à nos compatriotes insulaires, il s’agit de raconter autrement l’histoire du foot. La tristesse éprouvée par les supporters nantais autour du décès d’Emiliano Sala ne se limitait pas au cas de ce joueur, elle renvoyait plus largement à une vision du foot et de son rôle dans notre société. De même, un 5 mai sans match soulignerait, certes le cœur serré, la place de ce sport dans notre culture nationale. Car ce sont parfois les drames qui l’illustrent le mieux, avec les larmes et la douleur du souvenir. L’ignorer, c’est prendre le risque d’une incompréhension et qui sait d’un divorce grandissant entre les instances du foot et le peuple du ballon rond. Et, peut-être encore davantage, entre la France et son Île de Beauté.
Par Nicolas Kssis-Martov