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Ümraniyespor : le nouveau terrain de jeu d’Anelka
Nicolas Anelka a fait son arrivée à la direction d’Ümraniyespor, en Turquie, fin janvier. Une annonce surprenante au vu de la situation du petit club de deuxième division turque, à la lutte pour le maintien. État des lieux, entre le soutien d’Erdoğan, une ancienne décharge ou encore le développement des jeunes.
Il fait son passage devant la tribune latérale du stade d’Ümraniyespor, juste avant le coup d’envoi du match face à Kocaeli, le 22 avril dernier. Il est forcément reconnaissable entre tous avec sa carrure, son crâne impeccable, sa barbe grisonnante et son visage allongé surmonté de larges lunettes. Quelques têtes se tournent et le suivent du regard lorsqu’il monte les marches pour rejoindre sa loge, mais la plupart des spectateurs semblent habitués à sa présence. Depuis fin janvier, Nicolas Anelka, icône du football mondial, a posé ses bagages à Ümraniyespor, ce petit club de deuxième division turque situé dans la province d’Istanbul qui a dangereusement flirté toute la saison avec la zone de relégation. Pourquoi le champion d’Europe 2000 – avec le Real Madrid et les Bleus – a-t-il décidé de venir dans ce qui, de l’extérieur, a tout l’air d’une galère ?
L’ancien international français ne souhaite pas s’exprimer pour l’heure. Arrivé avec son agent Doug Pingisi, qui l’épaule au club, il explique être en phase d’observation, d’audit. Deux jours avant le match de Kocaeli, par un samedi fouetté par le vent et la pluie, il s’étonne de ne pas connaître les deux gardiens présents dans les cages : deux U20 dont les épaisses barbes laissent difficilement deviner leur âge. Pourtant, celui que tout le monde appelle « Nico » est présent à chaque entraînement et analyse attentivement son nouvel environnement avant de prendre véritablement la main la saison prochaine.
Aussi proche de la relégation que d’Erdoğan
« Un agent nous a contactés, avec Ömür Aydın, le président, pour nous proposer Nicolas Anelka. On a eu un rendez-vous en Face Time puis à Istanbul, et il a accepté de travailler avec nous », détaille Ibrahim Dağaşan, l’ancien directeur sportif et éphémère coach, limogé début avril. Le 26 janvier, le club d’Ümraniyespor a donc placé Nicolas Anelka comme CEO, autrement dit directeur général du club, juste en dessous du président, Ömür Aydın. Le Français a dit aux médias turcs sa volonté de s’engager sur le long terme, pour emmener le club « au sommet ». « Ce ne sera pas facile, mais nous réussirons », a ajouté l’ancien buteur de Chelsea. Si le joueur au palmarès long comme le bras tient à nuancer ses ambitions, c’est parce qu’il arrive à la tête d’un club très loin de tutoyer les meilleures équipes turques. Fin avril, le maintien d’Ümraniyespor en deuxième division n’était pas encore mathématiquement assuré. Descendu après sa première saison en Süperlig l’an passé, le kulübü a changé de président en août dernier, avec l’arrivée d’Ömür Aydın, qui a fait fortune dans le business des ascenseurs. Ça ne s’invente pas, et pourtant, le club a « passé sa vie dans les divisions inférieures », décrit Ibrahim Dağaşan, natif d’Angers.
Le complexe d’Ümraniyespor, lui, est posé sur une colline de la rive asiatique d’Istanbul, construit et inauguré en 2019 par la mairie d’Ümraniye, acquise à l’AKP, le parti d’Erdoğan. L’histoire récente du club est intimement liée à celle du chef d’État. En 1993, une explosion dans la décharge d’Hekimbaşi provoque la mort d’une quarantaine de personnes, sous l’effet de la compression des gaz générés par les ordures. L’année suivante, Recep Tayyip Erdoğan est élu maire d’Istanbul et lègue les lieux au club. « Il a décidé que cet endroit ne serait plus pour les déchets dorénavant, mais dédié au sport », narre Ömür Aydın, installé dans le canapé de sa loge. La première photo de son compte Instagram n’est autre qu’un cliché avec Erdoğan. Il le présente fièrement comme « le plus gros soutien économique du club ». « Il nous a aidés avec les infrastructures du club, et puis, quand son nom est là, il n’y a pas de problèmes d’argent », appuie-t-il. La FIFA avait toutefois émis une interdiction de transfert contre son club en janvier 2024, désormais levée.
Dans le détail, le président explique qu’il investit dans son club, tout comme la mairie d’Umraniye. İsmet Yildirim, l’édile du district et membre du parti présidentiel, a été réélu de peu fin mars face au CHP, le parti d’opposition, qui a raflé de nombreuses mairies. Une passation de pouvoir aurait pu bouleverser l’avenir du club, d’autant qu’un nouveau deal de « 50 à 60 millions de livres » (soit autour d’1,5 à 1,7 million d’euros selon le cours actuel de la monnaie turque) a été signé pour agrandir les infrastructures existantes. Là où certains ont leurs enfants en fond d’écran, Ömür Aydın affiche les plans de son nouvel écrin. Son équipe dispose déjà de locaux modernes, avec un stade de 3 500 places, un terrain d’entraînement, ou encore des chambres dignes d’un hôtel pour chaque joueur. « J’ai été agréablement surpris », reconnaît Dimitri Cavaré, l’un des seuls francophones de l’équipe, arrivé en septembre après une saison galère à Sion aux côtés de Mario Balotelli, Wylian Cyprien ou encore Giovanni Sio. « La culture sportive de l’AKP, c’est de construire », analyse Bağış Erten. Ce journaliste sportif turc, en exercice depuis une vingtaine d’années, notamment pour Eurosport, émet des interrogations quant à la nécessité de tels investissements, au vu de la maigre histoire sportive d’Ümraniyespor. « C’est comme Başakşehir, racheté en 2014 par des proches d’Erdoğan. L’équipe a gagné le championnat en 2020, mais reste en manque de supporters. »
Une idole, des jeunes
Face à Kocaeli, dans un match décisif pour le maintien, le stade était au trois-quarts plein. « Les fans commencent à venir parce qu’ils croient en notre histoire et veulent en faire partie, assure Ömür Aydın. Anelka est le point central du projet. Il est connu dans le monde entier et peut amener son expérience acquise dans d’autres clubs. » Autour du stade, plusieurs supporters montrent leurs photos avec Anelka. L’enfant de Trappes jouit d’une belle cote de popularité en Turquie depuis son passage à Fenerbahçe en 2005-2006. « À l’époque, son transfert était miraculeux, parce qu’il avait joué dans de très grands clubs », se souvient Bağış Erten. Le journaliste estime que sa présence à Ümraniyespor est encore plus surprenante. Au-delà de l’aspect sportif, l’ancien Citizen a clamé son amour pour le pays, placé idéalement par rapport à Dubaï, où il avait installé ses quartiers après sa carrière. Sans interférer dans les choix d’Hüsamettin Balcı, le troisième coach cette saison, Anelka distille des conseils. « On peut facilement échanger avec lui. Il est sans filtre, si je suis nul, il va me le dire, et inversement », témoigne Dimitri Cavaré, solide défenseur central notamment passé par Lens et Rennes.
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« À voir Anelka, les jeunes dans les squares vivent dans l’espoir de réussir dans le sport », disait Mac Tyer en 2001. Le président d’Umraniyespor, lui aussi, aimerait que ses jeunes talents, prêtés par de grosses écuries de Süperlig, prennent l’ancien Parisien en exemple. « Il y a des bons joueurs. C’est juste la mentalité qui pêche. Ce ne sont pas des tueurs », estime Dimitri Cavaré. Anelka est censé leur apporter son état d’esprit de compétiteur, une consigne venue d’en haut, de très haut. « Erdoğan demande beaucoup que les jeunes joueurs turcs se développent, rapporte Ömür Aydın. Les investissements de millions de livres turques sont là pour ça. » À l’Euro 2021, la Turquie avait présenté la plus jeune équipe du tournoi, et compte des potentiels de moins de 25 ans comme Semih Kılıçsoy (Beşiktaş), Ferdi Kadıoğlu (Fenerbahçe), Kerem Aktürkoğlu (Galatasaray) ou bien sûr Arda Güler (Real Madrid). Emrecan Bulut, 21 ans et prêté par Beşiktaş, est l’un des joueurs à potentiel d’Ümraniyespor. Face à Kocaeli, l’ailier a eu la bonne idée d’inscrire son deuxième but de la saison dans un raid solitaire sur son côté gauche. La victoire 1-0 face à une équipe mieux classée permet aux Rouge et Blanc de faire un grand pas vers le maintien (malgré la défaite 2-4 à Ankara ce dimanche, ils restent à 4 points de la ligne de flottaison à deux journées de la fin, NDLR).
De quoi éloigner le risque d’un passage éclair d’Anelka, comme en 2017 à Roda en tant que conseiller, en 2018 à la formation du LOSC ou en 2021 à Hyères (National 2) en tant que directeur sportif. Le titi parisien n’est pas arrivé seul. Par l’intermédiaire de Gaël Clichy, le Franco-Marocain Nassim Titebah (26 ans) a signé son premier contrat pro avec Ümraniyespor en février. L’arrière droit natif de Mulhouse n’a pas foulé le terrain lors de la victoire face à Kocaeli, preuve que « Nico » ne tient pas encore tout à fait les rênes. Le mercato estival laisse présager de nombreux mouvements. Comme le rappelle le président, « le club existe depuis longtemps, il y a des habitudes à changer, et ça ne se fera pas en un jour ». L’ancien joueur à l’image de tête brûlée devra faire preuve de patience pour laisser son empreinte à Ümraniyespor. Pour l’heure, un réseau WiFi au club porte son nom.
Par Victor Fièvre, à Ümraniye (Turquie)
Tous propos recueillis VF. Photos : Ümraniyespor.