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Ulrich Ramé : « Bien sûr que je me sens champion d’Europe »
Troisième gardien des champions d'Europe 2000, Ulrich Ramé a apporté sa pierre à l'édifice sans avoir disputé la moindre minute lors de la compétition. En participant à la vie du groupe, bien sûr, mais aussi en disputant des parties de tennis contre Fabien Barthez.
Comment expliquez-vous que la France championne du monde 1998 ait eu autant de mal à se qualifier pour l’Euro 2000 ? Après la victoire de 1998, il y a eu un contrecoup chez les joueurs qui ont gagné la Coupe du monde. Ce n’était pas de la suffisance, ils ont simplement dû prendre le temps d’assimiler leur nouveau statut. Et puis jouer contre les champions du monde a aussi boosté nos adversaires.
Pendant ces qualifications, vous jouez le match face à Andorre, remporté 1-0 à Barcelone grâce à un penalty inscrit par Lebœuf à la 84e. Vous gardez quel souvenir de cette rencontre ? C’était ma première sélection en match officiel, jusqu’ici je n’avais joué que des amicaux, qui plus est dans un match couperet. Donc il a fallu gérer l’émotion, rester attentif tout le long d’un match serré. En plus, je remplaçais Barthez, ce qui n’est pas rien. J’ai simplement essayé d’être efficace, sans prendre de risques.
À ce moment-là, vous sentez qu’il y a du boulot pour espérer remporter l’Euro l’été suivant ?Non, parce qu’on sait que les matchs de qualification sont totalement différents de ceux du tournoi final. Il n’y avait pas plus d’inquiétude que cela.
Avec quel état d’esprit l’équipe de France débarque-t-elle en Belgique puis aux Pays-Bas ?On était sûrs de nos forces. 80% des joueurs jouaient dans des tops clubs européens, et possédaient l’expérience et le vécu de la victoire de 1998. Donc ils savaient comment appréhender ce type de compétition, et avaient en tête de réaliser quelque chose d’inédit en faisant le doublé. Ce qui change par rapport à 1998, c’est qu’on est l’équipe à battre, on est attendus.
Avec Wiltord, Dugarry et Micoud, vous êtes quatre Bordelais dans cette équipe de France, ce qui n’est pas près d’arriver à nouveau. C’était plus facile pour vous d’être entouré de coéquipiers de club ?Ce groupe des quatre Bordelais s’est constitué au fur et à mesure des rassemblements précédents, surtout après le titre de champion de France 1999, et c’est vrai qu’il a facilité mon adaptation. Même si ce n’était pas compliqué de s’intégrer dans cette équipe de France qui était humainement très saine.
Le poste de 3e gardien est très particulier, étant donné que si tout se passe bien, vous savez que vous n’allez pas jouer. Comment avez-vous appréhendé ce rôle ? Déjà, il faut être conscient de tout cela. Ensuite, il faut être le plus solidaire possible avec les autres joueurs, avoir le bon état d’esprit, répondre présent aux entraînements, soutenir de manière informelle tel ou tel joueur individuellement… Tout en étant conscient qu’il faut se préparer à jouer, parce qu’on ne sait jamais quelle tournure va prendre la compétition.
Votre rôle consistait donc en grande partie à mettre en confiance les titulaires…Oui, par des attitudes, des mots. Mais vous savez, quand vous avez affaire à des joueurs d’une telle expérience internationale… À force de vivre en groupe, on cerne les hommes, et c’est ensuite plus facile. Mais Fabien Barthez n’a pas besoin de grand-chose pour être mis en confiance.
Vous savez si Roger Lemerre vous a pris autant pour vos qualités de gardien que vos qualités humaines ?Franchement, je n’en sais rien. Je suis désolé, je suis incapable de répondre à ça.
Certains joueurs ne se sentent pas vraiment vainqueurs, lorsqu’ils n’ont pas joué de la compétition. Vous comprenez ce type de réflexion ?On peut toujours avoir ce sentiment, surtout vis-à-vis de l’extérieur, qui le pense forcément. Mais dans toute victoire, et je le sais pour avoir gagné d’autres titres, la notion de groupe est importante, qu’il s’agisse des titulaires ou des remplaçants. Tout le monde contribue à la victoire finale, ne serait-ce qu’à 5%. Bien sûr que je me sens champion d’Europe, j’ai apporté ma pierre à l’édifice.
Secrètement, vous espériez jouer ?Je me préparais pour, mais c’est difficile de se projeter quand on sait qu’on est le 3e dans la hiérarchie.
Vous qui n’aviez quasiment jamais été remplaçant en club, comment viviez-vous les matchs depuis le banc ?Je l’ai vécu comme une expérience super enrichissante. Se rendre compte de l’intérieur de ce qu’est une compétition internationale, de comment les titulaires gèrent leurs émotions et se concentrent, m’a permis ensuite de mieux appréhender certaines échéances lors de ma carrière en club. C’est de l’expérience, tout simplement.
Même si vous n’étiez pas là en 1998, en quoi cette équipe vous semblait différente de celle qui a gagné la Coupe du monde ?En matière de confiance, de solidité mentale, de certitude et d’ambition, ce groupe avait franchi un cap.
Henry et Trezeguet n’étaient plus les gamins de 1998, de même qu’Anelka qui n’avait pas été retenu pour la Coupe du monde. Sur le papier, cette équipe paraît mieux armée offensivement, mais en regardant les matchs avec du recul, elle semble en revanche souvent coupée en deux : les offensifs ne défendent pas et les défensifs, en dehors de Vieira, peinent dans le jeu de transition. Vous êtes d’accord avec ça ?Non. Il y avait beaucoup de complémentarité. En 2000, vous avez raison de dire que le potentiel offensif était plus consistant qu’en 1998, mais la base défensive était également plus mature. Surtout, il ne faut pas comparer le foot d’aujourd’hui avec celui d’il y a 20 ans. Aujourd’hui, on attaque et on défend tous ensemble, avec un bloc qui s’étale sur pas plus de 35 mètres. Tandis qu’en 2000, on cherchait quasi systématiquement à lancer un attaquant dans la profondeur.
En 2012, Roger Lemerre déclarait à L’Équipe : « En 1996, en 1998 et en 2000, la chance, c’est que ces gens-là savaient qu’ils ne savaient pas jouer. On peut me raconter tout ce qu’on veut. S’ils étaient là, je leur dirais. Toi, t’as les pieds carrés, toi, tu sais pas défendre… » Que voulait-il dire par là ? (Long silence.) Je pense qu’il faisait référence à la psychologie du groupe. Il pensait qu’il y avait un potentiel inexploité.
On peut penser que par cette formule, il signifie que le jeu n’était pas au centre du projet, mais que c’était la cohésion de groupe qui faisait la force de l’équipe de France…Cela rejoint ce que je vous disais plus tôt : 1998 a créé des certitudes, une confiance des joueurs les uns envers les autres, et une maturité qui nous ont permis de devenir champions d’Europe.
Vous compreniez tout ce que disait Roger Lemerre ?Il y a des phrases un peu surréalistes, mais remises dans leur contexte, elles sont parfaitement compréhensibles. De la part des joueurs, tout du moins.
Quels rapports entretenait-il avec les joueurs ?Il était proche de nous, assez communicatif, tout en nous laissant prendre des initiatives. Il privilégiait la complémentarité et l’instinct des joueurs.
Il a de l’humour ?Cela dépend de son humeur. Il pouvait exprimer sa frustration et sa colère de façon humoristique. Mais il ne se mettait plus au fond du bus, comme à l’époque où il était adjoint d’Aimé Jacquet. Il est également très cultivé.
En finale face à l’Italie, comment est l’ambiance sur le banc français ?Très tendue en début de match, puis électrique jusqu’à l’explosion finale. Surtout que les Italiens chambraient, parce qu’on avait pas mal de joueurs qui jouaient en Serie A. Même si c’était bon enfant, cela touchait quand même notre orgueil. Mais c’est le jeu.
Après le match, vous faisiez partie des joueurs qui sont restés sur la pelouse pour discuter et savourer ?Ouais. Il y a d’abord cette montagne au point de corner, après le but de David, avant qu’on se disperse un peu partout sur le terrain. C’était important pour nous de rester sur la pelouse, de s’isoler par groupes, de laisser l’émotion retomber parce qu’on était passés par tellement de stades émotionnels différents pendant ce match. Enfin, on pouvait se dire : « On l’a fait ! » C’était un relâchement nécessaire avant de rentrer dans la folie des vestiaires. Là, ça a été une seconde explosion, avec le président de la fédé, et le président de la République, je crois.
Avec 20 ans de recul, quel souvenir gardez-vous de cette compétition, en dehors des matchs ?Je me souviens très précisément des parties de tennis qu’on organisait avec Bruno Martini (entraîneur des gardiens de but, N.D.L.R.) et les deux autres gardiens, entre deux entraînements spécifiques. En fin de compte, c’était un entraînement détourné pour travailler les déplacements, notamment les pas chassés. Mais sur le court, je peux vous dire qu’il y avait du niveau. Les quatre, on n’était pas mal.
Propos recueillis par Mathias Edwards