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- Écosse-Ukraine (1-3)
Ukraine sans crainte
Attendue au tournant par la planète football, l’équipe nationale d’Ukraine s’est débarrassée de l’Écosse d’un revers de main, avec une facilité déconcertante, et n’est plus qu’à un match du Mondial. Intrinsèquement supérieure, la Zbirna a d’abord et surtout brillé par sa résilience. La performance au service du symbole, avant le combat final.
On pouvait douter de l’état psychologique de la Zbirna au moment de humer à nouveau le gazon frais d’Hampden Park, un an après y avoir éliminé la Suède de l’Euro 2020. Mais en dépit d’un contexte de guerre omniprésent, invivable sur le plan moral, usant à souhait, l’Ukraine ne s’est pas défilée face à l’enjeu, contre l’Écosse ce mercredi soir, en prébarrage du Mondial 2022. Il faut en effet avoir une sacré paire et le cœur bien accroché pour attacher le fighting spirit de la Tartan Army au mur d’Hadrien, pendant plus d’une heure.
Insatiables cosaques
Tous les héros ne portent pas de cape, c’est une lapalissade. Pourtant, la vision des onze joueurs ukrainiens face à la tribune présidentielle, couverts de leur drapeau jaune des champs de blé-bleu azur, pouvait résolument témoigner du contraire. Ajoutez à cette séquence émotion un hymne chanté à tue-tête, comme souvent, à ceci près que certains supporters écossais en ont apprivoisé la version phonétique, et vous obtenez un match qui ne peut être perdu ni avec la tête, ni avec les jambes. Pour les survivants de Hostomel suspendus à l’aide humanitaire, pour les cris sourds de Chernihiv et les oubliés de Mariupol, des footballeurs sont venus brandir la carte de leur pays ainsi que leur âme cosaque, comme un champion d’arts martiaux brandirait sa ceinture de maître du monde.
Qu’importe la poussée écossaise dans le dernier quart d’heure et les gants glissants de Heorhiy Bushchan, Oleksandr Zinchenko et compagnie ont assumé, laissé de côté leur fin de saison parfois tourmentée en club, et prouvé qu’ils n’avaient pas besoin d’une faveur pour mener à bien leur mission. Le couteau suisse de Manchester City – trop souvent pointé du doigt pour ses épisodes larmoyants – a dévoré l’entrejeu écossais avec Ruslan Malinovskyi, tandis qu’Andriy Yarmolenko a une fois de plus brillé en sélection (des deux pieds !) et menace sévèrement le record de buts d’Andriy Chevtchenko (48). Par leur assurance et leur maîtrise technique, les hommes d’Oleksandr Petrakov ont même pu transmettre la curieuse impression que rien n’avait perturbé leur préparation, alors que la rencontre s’est tenue avec deux mois de retard.
« Cette victoire n’est ni pour moi, ni pour nos joueurs, mais pour notre pays, pour tous nos compatriotes qui se battent jusqu’à leur dernière goutte de sang contre les Russes, pour nos forces armées dans les tranchées, pour ceux bloqués dans les chambres d’hôpital. Je ne veux pas analyser le match, je suis épuisé. Je ne ressens plus aucune émotion, j’ai tout laissé au bord du terrain », a résumé le sélectionneur de la Zbirna, arrivé essoré devant les journalistes. « Il nous reste un match. On ne peut pas passer à côté, auquel cas notre victoire du soir n’aura servi à rien », a toutefois tenu à rappeler Zinchenko, à peine l’euphorie retombée. Seul le pays de Galles est encore en mesure de barrer la route du Qatar aux Bleu et Jaune (match prévu dimanche). Mais chaque Ukrainien buvant les paroles du poète national, Taras Chevtchenko, le sait aussi bien que le père du Kobzar : « Il est large et fréquenté, le chemin par où l’on sort du paradis, mais celui qui nous y ramène est un sentier étroit et parsemé d’épines. »
Par Alexandre Lazar