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Ugo Tognazzi, la cage au foot
Ce mercredi, Ugo Tognazzi, plus connu en France pour son rôle de Renato Baldi dans La Cage aux folles, aurait eu 94 ans. S’il a fait du cinéma son terrain de jeu, l’Italien a surtout été un supporter acharné et amoureux du Milan. Ciac, si gira !
Le pull est un peu serré, les cheveux soigneusement et faussement décoiffés et la peau lisse entre la lèvre supérieure et le nez. On est en 1974, et Ugo Tognazzi ne possède pas encore cette moustache qui l’a si bien caractérisé par la suite. À cette époque, Ugo est surtout Giulio Basletti dans Romanzo popolare. L’histoire raconte un amour se transformant en trahison, avec un Basletti milaniste. Cela tombe bien. Hors fiction, Tognazzi est un Rossonero pur et dur. « Le jour de mon baptême, sans que personne ne s’en rende compte, mon oncle milaniste m’a lié les attributs masculins avec un ruban rouge et noir » , expliquait-il en 1986. Et dans la vraie vie, Tognazzi a aussi trahi son amour pour le Milan AC, ce qu’il a toujours pleinement assumé. Ugo est né à Crémone, en Lombardie. Son cœur a donc longtemps balancé entre la Cremonese et le Milan. Ces deux clubs l’ont fait autant souffrir qu’exulter, se sont retrouvés dans toutes ses conversations, jusque sur le tournage de ses films. En fait, de sa naissance, le 23 mars 1922, à sa tragique hémorragie cérébrale qui lui coûta la vie le 27 octobre 1990, Ugo Tognazzi a tout le temps baigné dans le foot.
Le Zamora de Porta Vittoria
En 1932, Ugo a dix ans et vit à Milan même, dans le quartier de Porta Vittoria, plus précisément, où il passe ses journées à taper le cuir avec ses potes sur la petite pelouse à l’avant de sa maison. Mais, à l’époque, Ugo est plus connu sous le surnom de Zamora, comme le gardien espagnol du Real Madrid : « Dans les cages, j’étais pratiquement un génie. Personne ne m’appelait Ugo. Pour tout le monde, j’étais Zamora, le plus grand gardien du monde, au sommet. » Mais ça ne dure qu’un temps. Tognazzi revient à son Crémone natal, laisse son surnom espagnol et les gants pour évoluer entre l’aile gauche et le milieu de terrain. Il est plutôt mauvais, comme ses amis à vrai dire, mais ça n’empêche pas de s’amuser. Encore moins de créer un club : « J’étais vraiment nul. Personne ne m’aurait fait jouer, c’est pour ça que j’ai créé une équipe. » C’est donc avec sa bande qu’il fonde en 1939 la « Bonizzoni Calcio » , en l’honneur du défenseur latéral crémonais du Milan, Giuseppe Bonizzoni. Jeune et téméraire, Tognazzi pousse même jusqu’à demander en personne à Bonizzoni de fournir à l’équipe 11 maillots et paires de crampons et un ballon. L’audace est récompensée, puisque le Bonizzoni Calcio obtient à la surprise générale les équipements de la part du Milaniste. Malheureusement, la même année, une rupture du ménisque le contraint à arrêter le ballon rond, et aussi à abandonner ses rêves furtifs de joueur professionnel. L’avenir sera pour lui fait finalement de planches et de scènes, mais Tognazzi arrive tout de même à fonder une équipe avec ses compagnons de théâtre, enchaînant les défis dans toute l’Italie, au fil des voyages avec la troupe. Il y retrouvera d’ailleurs son poste dans les cages : « Chaque année, avec la troupe de comédiens, on formait une équipe de foot. On jouait dans chaque ville, chaque jour libre : contre l’équipe locale, contre celle d’une autre troupe de théâtre, contre des journalistes, contre n’importe qui. »
Coup de foudre à Crémone
« Le Milan, pour moi, a été d’abord une maman, puis une fiancée et puis une femme. Et on peut tromper une femme. » Telle est la phrase préférée d’Ugo Tognazzi, devenue leitmotiv à force de la sortir tout au long de sa vie. Pour la saison 1984-1985, la Serie A accueille la Cremonese, promue. Tognazzi en tombe fou, même s’il concède un pincement au cœur pour son éternel Milan. « Quand la Cremonese est passée en Serie A, je ne pouvais pas ne pas participer à la joie de toute la ville. J’étais tombé amoureux. Je me trouvais entre une femme et une amante, ressentant un grand embarras quand les deux équipes jouaient entre elles » , racontait-il. Mais cet amour, même s’il ne le regrettera jamais, n’est finalement qu’éphémère. À 62 ans, Ugo a certainement eu envie de revivre des émotions lui rappelant sa jeunesse. Comme il l’a si bien comparé, le Milan était sa femme avec qui il avait passé toute sa vie et qui lui paraissait moins séduisante avec les années. « Le Milan est toujours resté une femme, même si j’ai moins d’affection pour lui. Après l’arrivée de Berlusconi, l’équipe m’a l’air de se préoccuper plus de son image à la télévision et sur les médias de masse plutôt que sur le terrain » , expliquait-il à La Repubblica en 1987. La Cremonese, pleine de fougue, jeune et pétillante, a représenté la maîtresse parfaite pour cet Ugo sexagénaire en manque de sensation. Mais, le club fait l’ascenseur et retrouve la Serie B illico. La flamme passionnelle liant Ugo au club de sa cité natale s’éteint alors brusquement.
Milan, Milan, sempre per te
Au-delà de cette petite crise sentimentale, Tognazzi joue toujours l’acteur. En 1987, neuf ans après le premier opus de La Cage aux folles, la moustache du comédien italien n’a pas changé et il campe le rôle de Walter Ferroni, dans Ultimo minuto. Il n’est plus Renato, gérant un cabaret de travestis, mais bien Walter, directeur sportif d’un club de Serie A. Il ne s’agit pas du Milan AC, mais le club rossonero inonde sa bouche entre chaque scène. « Il me parlait souvent du Milan, du championnat et de tous les résultats, se souvient Michele Plastino, journaliste italien ayant travaillé à l’écriture des dialogues du film. Il en était vraiment fou, on sentait quand il en parlait que c’était un vrai passionné. Je supporte la Lazio et, à ce moment-là, elle n’était pas en Serie A, donc je ne pouvais pas vraiment discuter avec lui, mais je me souviens qu’il était toujours partant pour parler de foot. » Si Ugo Tognazzi s’est lové dans le Milan, c’est grâce à un membre de sa famille, comme il l’a confié à la Repubblica, lors de la sortie d’Ultimo minuto. Et là encore, comme au baptême, il y a une histoire d’entrejambes : « Mon oncle était dirigeant du Milan, un fanatique absolu. Quand j’étais enfant, il m’avait donné un petit diable qui était le porte-bonheur de l’équipe. Je devais le mettre dans une poche spécialement percée, près du zizi, et j’avais l’obligation de le tirer, le diable, rapidement de ma poche quand le Milan marquait. Mon oncle était tellement obsédé par le Milan qu’il vivait dans une maison toute rouge et noire, affreuse. Une fois, il a obligé mon père à déménager, parce qu’un joueur de l’Inter était venu s’installer près de chez nous. » Tognazzi révélera même par la suite que cet oncle est décédé des suites d’une crise cardiaque… après une défaite de son Milan, 5-0, un dimanche. Pour Ugo, le bout du chemin sera plus clément, quelques mois après le second titre européen des Immortali d’Arrigo Sacchi et une nouvelle saison de Cremonese en Serie A.
Par Giuliano Depasquale // Propos de Tognazzi tirés du magazine Forza Milan !, sauf mentions