- Projet de Superligue européenne
UEFA 1, Superligue 0, fin de la première mi-temps
Panique à bord. La FIFA, accompagnée des six fédérations continentales, vient de modifier son règlement afin d’interdire explicitement à tout joueur de participer à une compétition non officielle indépendante. Le message est clair : ils veulent clairement la mort de la Superligue européenne.
Cela fait des années que l’on en parle. Déjà, en 2001, les quatorze clubs européens les plus riches s’étaient constitués autour du G14 pour réfléchir à la constitution d’un championnat européen fermé, en opposition à la toute-puissante UEFA. À force de manœuvres politiques, ils avaient pu obtenir des concessions et des passe-droits de la part de l’instance européenne, sans doute apeurée par la perspective d’une compétition concurrente. Jusqu’ici, la Superligue n’était qu’un outil politique, qu’un moyen de pression.
D’ailleurs, selon un ancien cadre de l’ECA, le syndicat des clubs, interrogé en octobre dernier sur le sujet, « la Superligue reste surtout politique. Cela n’a jamais été un sujet de travail concret, au plus un vieux serpent de mer, un outil d’action et d’influence. En clair, il y a quelques clubs qui veulent une Superligue, mais ils ne sont même pas 16. » Mais si les choses commençaient à changer ?
La Covid-19 a été un accélérateur
Depuis la crise sanitaire de la Covid-19, les finances des clubs sont exsangues, tout le monde est touché, y compris les géants comme le Real Madrid ou le FC Barcelone. Ce dernier, par exemple, a atteint une dette record de 900 millions d’euros, d’après la presse catalane. Les huis clos imposés, couplés aux pertes commerciales, aux retraits des sponsors et à l’arrêt des revenus de marketing ont bouleversé les économies déjà fragiles des équipes. Afin d’y faire face, ces dernières pensent avoir trouvé la solution : et si on la créait enfin, cette Superligue européenne ?
Cité par le Times, en Grande-Bretagne, des experts auraient chiffré le gain potentiel d’une telle compétition fermée, entièrement dédiée aux grandes équipes du continent, à exploitation internationale, sans contrainte ni régulation, à plus de 6 milliards d’euros par saison. Soit trois fois plus que la Ligue des champions. Avec un tel outil, les droits TV exploseraient ainsi que l’intérêt du nouveau public, millenials ou asiatique. Quant aux supporters ancestraux européens, ils en seraient résolus à voir leurs équipes favorites lors de matchs délocalisés dans le monde entier, à des horaires nocturnes ou matinaux, pour tous les fuseaux, tous les continents.
Frapper fort et jouer sur les sentiments
Depuis maintenant six mois, en coulisses, se trame ce projet, mené de main de maître par Andrea Agnelli, président de la Juventus et de l’ECA, avec l’aide des plus grands clubs, de Manchester City au FC Barcelone. En détail, il semblerait qu’on se dirige vers une compétition à 20 clubs, 15 permanents et 5 invités par saison. Le prize money total serait de 3,5 milliards d’euros et les 6 premiers toucheraient 350 millions d’euros chacun garantis. A titre de comparaison, certains estiment que le PSG et le Bayern ont par exemple touché autour de 130 millions d’euros pour leur dernière campagne de Ligue des Champions. En matière d’organisation, selon l’agence AP, la Superligue se structurerait en 2 groupes de 10, les 4 premiers de chaque groupe se qualifieraient ensuite en quarts de finale aller-retour, avec la même physionomie que la Ligue des champions.
De plus, alors qu’on pensait le Real Madrid et Florentino Pérez rangés du côté de la FIFA pour la Coupe du monde des clubs, de nombreuses réunions et discussions ont eu lieu depuis le début de l’année afin de parvenir à un accord entre la Maison-Blanche et l’ECA. Selon certains, l’annonce ne devrait plus tarder et pourrait même être dévoilée dans les prochains mois, voire les prochaines semaines.
LA FIFA et l’UEFA se devaient donc de répliquer. Et c’est chose faite depuis jeudi, avec la modification explicite du règlement international. Dorénavant, l’organe international du football interdit aux joueurs de participer à « une compétition indépendante non officielle » au risque de se faire suspendre de toute participation à un Mondial ou à une coupe continentale, type Euro ou Copa América. Il fallait frapper fort et jouer sur les sentiments.
Bientôt l’arrêt Mbappé ?
Serait-ce ainsi la mort, avant même sa création, de la Superligue ? Victoire par K.O. de la FIFA, sans même la moindre réplique ? Pas vraiment. La FIFA, même accompagnée des six fédérations continentales, n’est pas toute-puissante et doit se plier au droit souverain. En 2018, à la suite d’un conflit qui avait opposé l’Union internationale de patinage à deux athlètes néerlandais, Mark Tuitert et Niels Kerstholt, désireux de participer à des compétitions non officielles lucratives et privées, la Commission européenne et la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) avaient conclu en faveur d’une libre concurrence et d’une liberté de choix : « La commission européenne souhaite mettre fin au monopole des fédérations sportives internationales concernant l’organisation des compétitions et rappelle aux fédérations internationales présentes dans un pays de l’Union européenne que leur pouvoir de régulation ne peut être utilisé à des fins commerciales. La Commission européenne admet donc qu’un organisateur indépendant puisse organiser une compétition non officielle et y convier et rémunérer des athlètes professionnels, sans que ceux-ci ne soient sanctionnés. »
Autrement dit, un seul passage devant une cour européenne, et le joueur obtiendra gain de cause. La jurisprudence est très claire à ce sujet. Comme en 1995, lorsque le footballeur belge Jean-Marc Bosman s’était levé contre les restrictions de circulation des joueurs de la Communauté européenne, la cour avait statué et acté l’arrêt Bosman, bouleversant à tout jamais les règles du football international. Cette fois-ci, si demain Kylian Mbappé, avec le Paris Saint-Germain ou n’importe quel autre club, participe à la Superligue, mais veut jouer avec l’équipe de France, il lui suffira d’aller devant la Cour européenne de justice où il sera entendu. On pourra même voir apparaître l’arrêt Mbappé. Notons tout de même que d’après le très sérieux média Politico, il semblerait que des membres importants de la Commission européenne soutiendraient les plans de la FIFA et de l’UEFA contre la Superligue. Alors oui, la FIFA et l’UEFA, avec ce changement de règlement, semblent avoir remporté une bataille, mais il n’est pas certain qu’ils aient gagné la guerre. Ils ne mènent que d’un but, et la partie n’est pas finie.
On a remarqué que le sujet de la Superligue européenne vous passionnait et qu’il créait de nombreux débats entre vous. Du coup, on vous remet les dernières choses qu’on a écrites sur le sujet. 1/ Où en est cet affreux projet ?https://t.co/Xl30FVn3pV
— SO FOOT (@sofoot) November 11, 2020
Par Pierre Rondeau