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Tunisie/Cap-Vert, devoir de réserve
Opposés au premier tour de la CAN 2015, la Tunisie et le Cap-Vert ont été impliqués dans l'affaire la plus rocambolesque des qualifications pour la Coupe du monde 2014. Éliminés sur le terrain, les Aigles de Carthage ont obtenu leur ticket pour les barrages après avoir déposé une réserve contre les Requins bleus, qui ont été disqualifiés par la FIFA. Une victoire administrative qui n'a pas fait que du bien au football tunisien. Explications.
La Tunisie se réveille le 8 septembre 2013 au matin avec une sacrée gueule de bois. Assommé par le Cap-Vert (0-2) à Tunis, le Onze national a vu son rêve de Coupe du monde 2014 s’envoler. Les Aigles de Carthage, à force de perdre des points en route et suite à un concours de circonstances défavorable, avaient offert aux Requins bleus une chance inestimable de leur souffler la première place du groupe B – et la qualification pour le dernier tour de barrages – en cas de victoire. Cette chance, Ryan Mendes et ses coéquipiers ne l’ont pas manquée. Les deux buts de Luis Soares, dit « Platini » , et Héldon en première mi-temps terrassent une équipe tunisienne complètement hors du coup. La combativité de Wahbi Khazri, seul joueur rescapé d’un naufrage collectif, ne suffira pas pour inverser la tendance.
La chasse aux sorcières débute dès le lendemain dans un pays outré de rater son deuxième Mondial d’affilée. Le sélectionneur Nabil Maaloul démissionne, le staff technique est limogé, et trois cadres sont particulièrement visés dans ce fiasco : les deux défenseurs centraux Haggui et Abdennour, piliers d’une charnière dépassée, et Issam Jemaa. Le meilleur buteur de l’histoire de la sélection, particulièrement efficace quand il s’agit de prendre de vitesse les défenses du Tchad et des Seychelles, a raté un énième match décisif dans sa carrière internationale (Qualifications pour la Coupe du monde 2010, CAN 2010, CAN 2012). Certainement le match de trop. Mais un retournement de situation inattendu vient interrompre l’autodafé national et redonne un espoir soudain à tout un peuple.
Des victoires sur tapis vert
À l’origine de cette affaire, la sulfureuse Guinée-Équatoriale, multirécidiviste de la fraude, qui va semer la zizanie dans le groupe B. Le 24 mars 2013, le Cap-Vert s’incline (4-3) à Malabo. Naturalisé équato-guinéen, l’actuel attaquant de Middlesbrough Emilio Nsue Lopez inscrit un triplé durant ce match. Problème : le joueur, qui possède la nationalité espagnole, ne disposait pas de tous les documents valides pour jouer avec son pays d’origine, et était donc inéligible pour jouer face au Cap-Vert. Le 19 juillet, la FIFA déclare les Requins bleus vainqueurs sur tapis vert (3-0) des 2 matchs face au Nzalang Nacional. Héldon et sa bande, qui avaient déjà battu la Guinée équatoriale au match retour (2-1), récupèrent donc les 3 points perdus à Malabo et se retrouvent à deux longueurs de la Tunisie, leader du groupe B, juste avant le match décisif du 7 septembre.
Deuxième problème : le Cap-Vert pense (à tort) que tapis vert oblige, la suspension de Fernando Varela, expulsé à Malabo, n’a plus lieu d’être et que le résultat du match étant annulé, le carton rouge l’est aussi. Ainsi, le 7 septembre, quand Varela est titularisé face à la Tunisie, il n’a purgé que deux des quatre matchs de suspension que la FIFA lui a infligée. Erreur fatale. La Tunisie ne rate pas l’aubaine et, prévenue 24 heures après le match de cette faille, dépose une réserve auprès de la FIFA. La sanction tombe : match gagné (3-0) sur tapis vert par les Aigles de Carthage, qui récupèrent la première place du groupe B et se qualifient pour les barrages. Une semaine plus tard, le président de la Fédération tunisienne de football remercie dans une interview « des alliés européens et africains de la Tunisie dans les instances internationales, qui nous ont transmis l’information sur le joueur suspendu et nous ont permis de vite réagir » .
La réserve, l’arme secrète tunisienne
2013 aura donc été l’année des réclamations et des victoires administratives pour la Tunisie. Vainqueur de la Coupe de la confédération (l’équivalent africain de la Ligue Europa) le Club sportif sfaxien avait pourtant été éliminé en huitièmes de finale. Malheureusement pour eux, les Nigérians d’Enugu Rangers avaient fait preuve de la même négligence que le Cap-Vert et aligné un joueur suspendu. Une réserve est déposée, les Nigérians sont disqualifiés, et Sfax gagne la compétition quelques mois plus tard. Mais dans un pays comme la Tunisie, où chaque nouveau concept à la mode est utilisé à tort et à travers jusqu’à l’indigestion, la réserve devient un recours systématique en cas de défaite sur le terrain. Un atout qu’on sort de sa manche à chaque fois, même s’il n y a pas matière à s’en servir, selon une philosophie simpliste, mais au fond compréhensible : « Ah, mais on a le droit de faire ça ? Mais pourquoi on ne le fait pas tout le temps ? »
La Fédération tunisienne ouvre le bal des réserves inutiles deux mois seulement après l’affaire du Cap-Vert, en novembre 2013. Éliminée en barrage pour la Coupe du monde par le Cameroun (0-0,4-1), la Tunisie remet en cause la participation d’Eric-Maxim Choupo-Moting et Joel Matip, qui ont joué avec l’Allemagne en sélection de jeunes. Or, les deux joueurs sont en règle avec la FIFA depuis plusieurs années, et ont même joué la Coupe du monde 2010 avec les Lions indomptables… La réserve est logiquement refusée, les Camerounais sont morts de rire. Puis c’est au tour du championnat de Tunisie de perdre les pédales. Les réserves pleuvent à chaque journée, tous les prétextes, aussi ridicules soient-ils, sont bons à prendre. On encaisse un but sur corner alors que le juge de touche avait signalé hors-jeu ? Réserve. L’adversaire envoie un joueur de champ algérien aux cages parce qu’il a épuisé ses trois changements ? Les gardiens de but étrangers sont interdits en Tunisie ! Réserve.
En décembre 2013, l’Étoile sportive du Sahel réussit, par exemple, à gagner sur tapis vert un match contre Sfax grâce à un carton jaune reçu par un joueur lors de la finale de Coupe de Tunisie 2011-2012. Cette finale, jouée un an après, comptait pour la saison en cours et tous les cartons reçus durant ce match étaient encore valables. Folie.
Une réserve en plein match
Le summum du délire est toutefois atteint le 9 novembre 2014. Leader du championnat, le Club africain de Daniel Sanchez se déplace à Kairouan pour affronter la JSK. L’arbitre siffle un penalty inexistant pour les visiteurs à la 93e. Les joueurs kairouannais s’insurgent et protestent pendant 10 longues minutes, des responsables du club entourent l’arbitre et l’invectivent, et là, scène surréaliste, le gardien de but et capitaine de la JSK Ali Kalai est interviewé en direct à la télé avant le penalty : « On veut déposer une réserve contre l’arbitre tout de suite, avant le penalty. Il a faussé le match. L’année dernière, on a voulu faire une réclamation après le coup de sifflet final, elle a été rejetée. On ne se fera pas avoir une deuxième fois. » Nul doute que désormais, dans les clubs comme à la Fédé, les formulaires pour les réserves sont pré-remplis et prêts à être envoyés. Car si un match est perdu sur le terrain, il suffit d’un défaut dans le règlement et un courrier pour espérer changer le résultat.
Par Farouk Abdou