La Chapecoense vient de vivre une semaine historique : la qualif pour les quarts de la Sudamericana (1-1 puis victoire aux pénos contre les Paraguayens de Libertad), avec le champion de la Libertadores, River Plate, en vue, la raclée (5-1) infligée au grand Palmeiras en D1 brésilienne et, au passage, tu en profites pour mettre un but à chaque match, tes premiers depuis ton retour au Brésil. Ça va, tu aurais pu connaître pire…
C’est sûr que ça va rester dans l’histoire du club. Ça arrive au meilleur moment, parce qu’on traversait une phase difficile (ils étaient relégables avant d’écraser Palmeiras, ndlr). Je suis très content d’avoir marqué ces deux buts pour aider l’équipe dans ces moments si importants. On a su réagir contre des grosses équipes.
Comment as-tu pris cette décision de revenir au pays ?
Ça s’est fait assez vite. J’avais des propositions en Europe et en Asie aussi, mais ma femme est enceinte, je vais avoir mon troisième enfant en janvier… Mais j’ai aussi un garçon plus grand, avec des problèmes de garde… C’était donc important que je sois près de lui. Je n’avais pas pensé à recevoir des propositions de clubs brésiliens, mais je me suis dit que ça pouvait être le bon moment pour revenir, une expérience nouvelle pour moi, parce que je n’avais jamais joué dans le championnat brésilien… Je suis parti à l’étranger très tôt. J’ai donc pu relever un nouveau défi sportif et résoudre des problèmes personnels.
En Europe, tu connaissais la Chapecoense ?
J’en avais entendu parler l’an dernier, c’était l’équipe surprise qui venait de monter en D1. Mais avant, rien… J’ai eu des propositions d’autres clubs brésiliens dont la situation n’était pas vraiment saine. À Chapecoense, je connaissais déjà Vilson, un défenseur, un gars en qui j’ai vraiment confiance. Tous les gens à qui j’en ai parlé m’ont dit du bien de ce club en pleine croissance, avec des gens sérieux, qui respectaient leurs engagements…
Tu as dû réviser tes prétentions salariales à la baisse ?
La question financière n’a absolument pas posé problème. J’ai accepté tout de suite. J’aurais pu gagner 7 ou 8 fois plus en Chine, Turquie, dans le monde arabe. Mais Dieu merci, j’ai pu faire mon petit bas de laine, et ça me permet de guider mes choix pas seulement par l’aspect financier, mais aussi par le sportif. Et je ne regrette pas ce choix.
Quelle est la principale différence que tu as constatée au quotidien, entre la vie de joueur pro en Europe et au Brésil ?
Le nombre de matchs que nous avons à jouer. Je suis arrivé depuis à peine plus d’un mois, et aujourd’hui (entretien réalisé lundi, ndlr), c’est mon premier vrai jour de repos en 35 jours. En Europe, si tu joues le samedi, tu es souvent off le dimanche, parfois même le lundi. Ici, il y a les entraînements, la mise au vert, les longs voyages… On passe clairement plus de temps avec les coéquipiers qu’avec sa famille.
La passion du foot est tellement forte au Brésil qu’on ne peut pas aller se balader en centre-ville le dimanche…
Tu as souffert physiquement, au début ?
Je ne savais pas que ce serait intense à ce point. Le pire, c’est la mise au vert, même pour les matchs à domicile. En Europe, ça n’existe plus depuis longtemps, sauf à se retrouver pour le déjeuner et faire une sieste à l’hôtel. Ici, on est « concentrés » dès la veille (au Brésil, mise au vert se dit concentração, ndlr). Quand on joue à l’extérieur, on voyage souvent deux jours avant le match, pour ne revenir que le lendemain. On passe un temps fou loin de chez soi… C’est un peu dur pour ma famille, qui était habituée à me voir tous les jours à la maison. Il y a deux semaines, nous avons joué contre Libertad, au Paraguay, et ensuite contre Sport, à Recife (4000 km entre les deux villes, c’est pas rien, ndlr). J’ai passé toute la semaine dehors…
Ton statut d’expérimenté ne te permet pas de faire bouger les choses sur le sujet ?
Ici, au Brésil, c’est compliqué. Il y a une énorme pression de la part des supporters. Ils vont tout de suite dire : « Ils n’ont pas fait la mise au vert, ils ont perdu, c’est qu’ils ont fait la bringue ! » Et là, ils demandent la tête de l’entraîneur, de la direction… En Europe, tout le monde sait très bien que c’est aussi bien que le gars dorme chez lui, la veille du match. En fait, dormir à la maison, c’est beaucoup mieux, tu as ton propre lit, auquel tu es habitué… Je trouve ça dommage que les mentalités n’aient toujours pas évolué au Brésil. Levir Culpi a déjà aboli la mise au vert à l’Atlético Mineiro (club formateur de Túlio, ndlr). C’est un entraîneur expérimenté, qui a déjà travaillé au Japon… Il explique que ce n’est pas son rôle d’être la nounou de gars de 25-30 ans. Il donne cette liberté et et rend les joueurs plus responsables.
Les jeunes de la Chapecoense viennent vers toi pour te demander des conseils ?
Souvent, quand je partage la chambre avec un jeune, il me demande comment est la vie en Europe, comment on s’entraîne là-bas, comment c’est de jouer la C1… Ils sont assez curieux. Et je leur réponds qu’on passe plus de temps avec sa famille, et on arrive à avoir une vie sociale, chose pratiquement impossible au Brésil. Si ton équipe perd ici, il faut être courageux pour sortir dans la rue. Les joueurs se font aborder sans arrêt, même en famille. La passion du foot est tellement forte au Brésil qu’on ne peut pas aller se balader en centre-ville le dimanche…
Tu ne parles que de Chapecó pourtant. Imagine à Rio ou São Paulo…
Ça n’a rien à voir. Le Brésil, c’est le Brésil, il n’y a pas d’échappatoire. Les gens de Chapecó, avant que la Chapecoense ne joue au plus haut niveau, ils étaient tous pour Grêmio ou Internacional (les clubs de Porto Alegre, plus grande ville de l’État voisin, ndlr). Les gens sont déjà habitués au rythme des grands clubs, avec une grosse pression.
Quelles différences tu notes entre le style de jeu pratiqué au Brésil et ce qu’il se fait en Europe ?
Le jeu est un peu plus lent au Brésil, mais en raison de beaucoup de facteurs. D’abord, la question physique. Il y a une surcharge physique au Brésil. Les joueurs arrivent souvent crevés le jour du match : 90 minutes le jeudi, tu rejoues le samedi, puis le mercredi suivant, le tout avec de longs voyages. Donc forcément, les joueurs ont tendance à moins courir. La qualité des terrains joue beaucoup aussi. En Europe, la pelouse est tondue différemment, toujours arrosée. Le ballon fuse bien plus qu’ici et ça rend le jeu plus rapide. Mais le facteur le plus déterminant, c’est la culture tactique. Ici, le pressing commence quand l’équipe qui attaque se rapproche du milieu de terrain. En Europe, l’attaquant est le premier défenseur… Et les lignes sont bien plus compactes.
T’as dû te réadapter ou pas ?
C’est beaucoup plus dur pour un Brésilien de s’adapter à la réalité européenne que l’inverse. Et dans ma position d’avant-centre, ça ne change pas trop. C’est plus dur pour les milieux et les défenseurs. En Europe, les défenseurs jouent beaucoup plus haut. La principale différence, pour moi, c’est que là-bas, j’avais plus d’obligations défensives. D’ailleurs, j’ai gardé cette mentalité défensive, et ça m’aide dans mon jeu au Brésil… On en parle beaucoup entre joueurs. Parfois, je les pousse à aller au pressing avec moi, mais ça leur arrive aussi de me freiner. Parce que ça ne sert à rien de presser tout seul, on te fait tourner en bourrique. Ou tout le monde y va, ou on reste derrière.
On avait une tradition à Lille : après chaque victoire, tout le monde sortait ensemble, au pub, au resto, parfois en boîte… Et pas seulement les joueurs, le staff aussi !
Quand tu as signé à la Chapecoense, tu pensais affronter River Plate au Monumental de Nuñez ? Ça représente pour toi ?
J’avoue que la perspective de jouer une compétition internationale a pesé dans mon choix de venir ici. En arrivant, je savais qu’on allait affronter le Libertad, un club de renom dans le continent. Maintenant, River Plate, c’est une expérience incroyable. Ça donne des frissons, mais c’est une émotion positive. Affronter une équipe mythique dans un stade historique, c’est que du bonheur !
Cela dit, tu as déjà vécu de grands moments, dans de grands stades, notamment avec Lille et Palerme… Quel a été le moment le plus marquant de ta carrière européenne ?
Sans aucun doute le doublé coupe-championnat avec le LOSC, en 2011. Une saison incroyable, j’ai marqué des buts décisifs, qui nous ont donné la victoire 1-0 ou 2-1… Notre équipe, c’était une vraie machine… Il suffit de citer les joueurs un par un : Eden Hazard, meilleur joueur de Premier League, Gervinho, qui joue à la Roma, Debuchy à Arsenal, Rami à Séville, Chedjou à Galatasaray, Mavuba, qui est toujours capitaine de Lille, Cabaye, qui a fait la Coupe du monde avec l’équipe de France. Et encore, j’en oublie… C’était un collectif super huilé. Il y avait une ambiance géniale dans le groupe, pas de rivalités internes… Nous avions une tradition : après chaque victoire, tout le monde sortait ensemble. On allait au pub, au resto, parfois en boîte… Et pas seulement les joueurs, le staff aussi ! Ça a créé des liens qu’on ne voit pas souvent dans le foot. J’ai remarqué qu’en Europe, les entraîneurs forcent presque les joueurs à sortir ensemble pour cimenter le groupe.
Quelle est l’importance de Rudi Garcia dans ta carrière ?
Il a été mon entraîneur pendant six saisons. On s’appelle encore régulièrement. Parfois, il me demande même des conseils sur des joueurs brésiliens. Nous avons développé une belle relation d’amitié, un grand respect mutuel, et nos trajectoires ont pris une pente ascendante au même moment. Nous nous sommes rencontrés au Mans. Je faisais mes armes en D2, et il commençait à consolider sa carrière d’entraîneur. Ensuite, quand il est arrivé à Lille, j’étais à Palerme, mais il m’a appelé pour que je le rejoigne dans le Nord.
Pourquoi vous vous entendez si bien tous les deux ?
Il est d’origine espagnole, donc il a ce tempérament latin, il s’amusait à nous parler en espagnol, à moi et à Grafite (autre Brésilien du Mans, ndlr). Même si on parle le portugais, c’était marrant quand même. Mais ce qui a marché, surtout, c’est que nous avons su donner la réponse sur le terrain. Nous avons surpris tout le monde cette saison (2007-2008), nous sommes allés en demi-finales de Coupe de la Ligue. Rudi, c’est un entraîneur très cool, proche des joueurs. Quand on sortait, il venait avec nous, ses adjoints aussi. Ce que je retiens, surtout, c’est que c’est quelqu’un de très optimiste. Il va toujours entrer sur le terrain pour gagner, quel que soit l’adversaire, avec une mentalité très offensive. Même en Ligue des champions, contre des équipes plus huppées, il n’avait pas froid aux yeux.
Tu as un souvenir spécial en Ligue des champions ?
Le but que j’ai marqué contra l’Inter (en novembre 2011, en fin de match, lors de la défaite de Lille 2-1, à San Siro, ndlr). C’était un beau but, et un moment spécial pour moi, parce que je revenais de blessure. Je suis entré et j’ai marqué. J’avais vraiment besoin de ce but.
Tu ne trouves pas dommage que Lille n’ait pas réussi à maintenir le niveau après l’inauguration du Grand Stade ?
Parfois, on ne peut pas tout maîtriser. Le club a reçu des offres mirobolantes pour plusieurs joueurs et avait besoin de vendre. Mais s’ils avaient réussi à maintenir la même équipe, on aurait remporté d’autres titres.
On a beaucoup parlé d’évolution au Brésil, mais on en est loin… Le problème commence dans les clubs, avec les calendriers surchargés, le manque de vision d’avenir.
La France te manque ? Si oui, en quoi ?
La relation au temps, la vie sociale… Les vins et fromages me manquent beaucoup aussi. J’adore le camembert aussi, plus ça pue, meilleur c’est !
Plus jeune, t’as eu des modèles d’attaquant ?
Des références multiples, de Romário à Ronaldo, en passant par Inzaghi. Ibrahimović aussi. Il était déjà au top quand j’étais jeune. Les Hollandais aussi, Van Basten et Van Nistelrooy… En fait, du point de vue du style de jeu, je ressemble plus à Luca Toni ou Mario Gómez, voire Trezeguet, des renards des surfaces…
C’est un peu passé de mode, le n°9 à l’ancienne, non ?
En ce moment, on voit de tout. Le Barça a commencé à lancer cette idée de faux 9, et aujourd’hui, ils jouent même sans défenseur… Même chose pour le Bayern de Guardiola. C’est l’évolution du foot, mais ce n’est pas donné à toutes les équipes. Des entraîneurs tiennent encore absolument à avoir un joueur de référence dans la surface. Bon, avec le temps, ce type de joueur costaud, renard des surfaces, se fait de plus en plus rare. Les entraîneurs ont dû s’adapter. Aujourd’hui, au Brésil, il y a très peu de numéros 9 classiques. Les gars comme Luca Toni sont en voie de disparition.
On dit le foot brésilien en perte de vitesse, t’en penses quoi ?
Il y a toujours du talent, mais ils ont du mal à créer une base solide. Et le problème, c’est qu’il n’y a plus d’équipes faibles dans le foot actuel. Les autres équipes nationales ont beaucoup progressé. La grande différence, c’est le travail à long terme. En Allemagne, le titre de champion du monde est le fruit d’un travail de 12 ans… Ils ont fait un gros boulot chez les jeunes pour cueillir les fruits bien plus tard, en implantant partout la même philosophie de jeu. Si le gars joue dans son club comme en sélection, avec le même style de jeu, c’est bien plus facile. Ils ont juste à changer de maillot. Au Brésil, malheureusement, rien n’a changé. On a beaucoup parlé d’évolution, mais on en est loin… Le problème commence dans les clubs, avec les calendriers surchargés, le manque de vision d’avenir.
Personnellement, tu t’es senti comment après la déroute 7-1 de la Seleção en demi-finale de Coupe du monde ?
Ce match a atteint de façon irrémédiable la réputation du foot brésilien. C’est une débâcle qui a dévalorisé l’ensemble des joueurs brésiliens. Tout le monde a payé les pots cassés. J’ai dû essuyer des tonnes de plaisanteries, parfois de mauvais goût.
Un autre ancien Brésilien de Lille, Dante, a sacrément morflé suite à cette défaite…
Si même moi, ça m’a affecté, imagine pour lui… Ça a dû être l’enfer. Il était sur le terrain contre ses coéquipiers de club… Putain, c’est un truc de fou ! Ça a complètement chamboulé la vision que les gens avaient de lui. Je ne lui en ai pas parlé directement, mais je compatis… Nous avons plein d’amis en commun et c’est un mec adorable…
L’Atlético braque le Barça et lui vole son leadership