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Tuchel-Nagelsmann, comme au bon vieux temps
Thomas Tuchel et Julian Nagelsmann vont croiser le fer, une nouvelle fois, ce mardi à l’occasion de Leipzig-PSG en demi-finales de Ligue des champions. Jusque-là, l’actuel coach de Leipzig n’a jamais réussi à battre son grand frère parisien. Il faut dire que Tuchel connaît parfaitement l'homme, pour l’avoir eu sous ses ordres comme joueur à Augsbourg lorsqu'il coachait la réserve en 2007-2008. Mais aussi pour lui avoir fait confiance après la fin de sa carrière prématurée, et lui avoir permis de mettre le pied à l’étrier.
Depuis qu’il a commencé le métier d’entraîneur, Julian Nagelsmann s’amuse à faire tomber un à un les records de précocité. À 28 ans en 2016, il est devenu le plus jeune entraîneur de l’histoire de la Bundesliga. Deux ans plus tard, le plus jeune à diriger une équipe en Ligue des champions toujours avec le TSG Hoffenheim. Le 10 mars dernier, Nagelsmann est devenu le plus jeune coach à passer un tour à élimination directe en Ligue des champions, avec Leipzig cette fois. Alors, lorsqu’il renverse l’Atlético de Madrid, ce jeudi 13 août 2020, l’actuelle tête pensante du club de l’Est de l’Allemagne est consciente du chemin parcouru à seulement 33 ans. Mais dans les coursives de l’Estadio José-Alvalade de Lisbonne, Julian Nagelsmann enchaîne les interviews d’après-match et n’a pas le temps de s’attarder sur ce qui a été accompli. Il pense déjà à la suite, à un futur proche qui fait écho à son passé, avec un nom qui revient de façon incessante : celui de Thomas Tuchel, son futur adversaire en demi-finales de C1. « J’ai hâte, j’étais très excité quand on a joué l’un contre l’autre en Bundesliga. C’est un super entraîneur. Je suis très heureux de le voir, c’est un gars sympa et un très bon entraîneur, mais j’espère qu’à la fin, je vais l’emporter », clamait Nagelsmann à RMC Sport. En Bundesliga entre 2016 et 2017, Tuchel et Nagelsmann se sont croisés à trois reprises avec un bilan largement à l’avantage de l’actuel coach du PSG (2 victoires et 1 nul). Mais en réalité, les deux hommes se connaissent depuis bien plus longtemps que cela.
Blessures profondes
Retour à Augsbourg, en 2007. Nagelsmann n’a que 20 ans, mais, déjà, ses derniers rêves de devenir footballeur professionnel s’apprêtent à s’envoler pour de bon. Le bonhomme est défenseur central de métier, plutôt talentueux. « Un réel leader prisonnier de ses blessures » selon ses coéquipiers de l’époque de Munich 1860, le club de sa jeunesse qui devait faire office de tremplin vers le monde pro, bien avant son arrivée dans la banlieue nord-ouest de la capitale bavaroise. Car si Nagelsmann se retrouve à Augsbourg II et non en Bundesliga, c’est en grande partie à cause de ses pépins physiques. L’un de ses genoux est capricieux, et les multiples opérations ont endommagé son corps de manière irréversible. « Quand j’ai joué en équipe deux à Augsbourg, le médecin m’a dit après ma deuxième opération du ménisque que mon cartilage était affecté, racontait Nagelsmann à 11Freunde en 2016. Il m’a donné la possibilité de continuer à jouer, mais m’a averti des risques d’arthrose et d’un genou qui allait devenir raide si je continuais. Le risque était trop important et j’ai décidé de prendre soin de ma santé. » Le couperet sportif tombe, et forcément à 20 ans, ça fait mal.
Son grand rêve de devenir sportif professionnel ne se réalisera donc jamais. Mais, malheureusement pour Nagelsmann, les mois qui suivent ne seront pas plus roses. Car Erwin, son père, décède quelques semaines plus tard à 56 ans d’une maladie foudroyante. « J’avais l’impression, à l’époque, d’avoir gâché toute ma jeunesse, que tout cela n’avait servi à rien. C’était terrible. D’abord, il y a eu cette décision que j’ai dû prendre d’arrêter de jouer et ensuite, la mort de mon père.(…)Je considérais alors qu’il était de ma responsabilité de m’occuper des choses et de faire face à tout ce qui vient avec la mort d’une personne : vendre la maison, s’occuper des assurances et de la voiture… J’ai dû organiser tout ce à quoi je n’avais jamais pensé auparavant, mais il fallait s’en occuper. On se rend alors compte de ce que tout cela signifie. » Pour Benjamin Kauffman, son ancien coéquipier et ami à Munich 1860 interrogé par The Athletic, ce sont ces blessures qui ont accéléré son développement : « Il a toujours été plus mûr que la plupart des gens, mais la responsabilité supplémentaire qu’il avait à prendre au nom de sa famille a eu un impact énorme sur son développement. Je ne suis pas surpris qu’il ait pu progresser aussi rapidement dans le domaine de l’entraînement. Le coaching, c’est d’être en permanence au contact des gens. En raison des déceptions et des souffrances qu’il a subies, il a cette capacité de comprendre rapidement les frustrations et plus largement les sentiments des joueurs. C’est rare à cet âge. »
« Tuchel a beaucoup contribué à mon choix de carrière »
Reste qu’après avoir enduré tout cela, Julian Nagelsmann n’a plus trop envie de continuer dans le football. Trop de déceptions, de mauvais souvenirs sûrement. L’idée d’entraîner est quasiment mort-née. Nagelsmann reprend ses études, une vie normale, mais va rapidement voir sa destinée revenir au galop. Avec un homme pour lui tendre la main : Thomas Tuchel, son coach qui dirige la réserve d’Augsbourg. « J’étais intéressé par l’économie, donc j’ai étudié la science du business, confie Nagelsmann. J’ai réussi mes examens de mi-parcours, et on m’avait déjà proposé un emploi chez BMW dans la vente.(…)Mais dans le même temps, après ma blessure, Tuchel m’a utilisé pour analyser ses adversaires. C’était une situation gagnant-gagnant : mon contrat avec Augsbourg était toujours en cours, et j’ai pu soutenir Tuchel. Au cours de l’année, sous ses ordres, j’ai beaucoup appris. Tuchel a beaucoup contribué à mon choix de carrière. »
Et ça ne s’arrête pas là, puisque Tuchel pousse ensuite Nagelsmann à entraîner. Résultat : le jeune homme décroche, en 2008, un poste d’adjoint chez les moins de 17 ans de Munich 1860. À l’endroit même où ses rêves professionnels en tant que joueur avaient débuté. Avant, ensuite, de mettre tout le monde d’accord à Hoffenheim, puis à Leipzig depuis 2019. Douze ans plus tard, Nagelsmann retrouve donc son mentor en demi-finales de Ligue des champions. Que reste-il de leur héritage commun, et de leur année passée à Augsbourg ? Des idées, certains principes de jeu, ce qu’il confirmait auprès de l’AFP à quelques jours de leur face-à-face européen : « Je ne pense pas avoir fondamentalement modifié les idées de Thomas (Tuchel). Si je devais les caractériser en un mot, je dirais « global » : il essaie simplement de mettre à profit chaque pan du jeu. » Le monstre qu’a en partie créé Tuchel se dresse maintenant devant lui. À lui de montrer qu’il a toujours la maîtrise sur sa création.
Par Andrea Chazy
Propos de Nagelsmann issus de Joe, The Athletic & 11 Freunde.