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Tu sais que tu étais bulgare en France en 1993 quand…
Avant cette soirée de novembre, tu coulais des jours heureux en France. Mais toi, jeune Bulgare, membre d'une émigration discrète et qui ne faisait pas de vagues, tu as vu ta vie changer en deux buts de Kostadinov. Depuis, plus rien n'a jamais été pareil. Toi, tu sais que tu étais bulgare en France en 1993 quand...
… pour toi, le danger était à chaque coin de rue.
… tu t’es inscrit à l’athlétisme en décembre 1993. Section sprint, bien sûr.
… l’entraîneur de ton club n’avait jamais vu quelqu’un s’entraîner si dur et progresser si rapidement, et se demandait d’où tu tenais ta motivation.
… à cette époque, tu avais aussi appelé ta mairie pour demander à enlever le -ov de ton nom.
… tu connais par cœur le bruit des dents qui grincent.
… en même temps, tu l’entends à chaque fois que tu réponds « Non, c’est d’origine bulgare » à ceux qui te demandent si tu es russe.
… tu sais que même vingt-cinq ans plus tard, l’effet provoqué par le mot « bulgare » est toujours aussi puissant.
… Mikhailov, Houbtchev, Borimirov, Kostadinov, Stoitchkov, Balakov, Letchkov… Ton Hall of fame ressemble au casting des Promesses de l’ombre.
… tu es très objectif quand tu jures que tu n’as jamais vu de plus beau pied gauche que celui de Hristo Stoitchkov.
… et puis ce Ballon d’or 1994, quelle émotion… Après avoir vu un Bulgare soulever ce trophée, tu t’es définitivement dit que tu pouvais mourir en paix.
… aujourd’hui, le retour des ultras au Parc te fait bien rigoler. Car tu sais que personne n’a jamais mis autant d’ambiance porte d’Auteuil que tes vingt-deux salopards quand ils ont fêté le but de Kostadinov et leur qualification.
… secrètement, tu as toujours eu envie d’appeler ton fils Émile. Mais tu ne voulais pas qu’il se fasse saquer par les professeurs toute sa vie.
… dans les années qui ont suivi, tu as arrêté de manger des yaourts. La peur de te faire griller, encore et toujours.
… « Vivons heureux, vivons cachés » était devenu ta devise.
… tu sais très bien que sa qualification, la France l’avait plus perdue avec la défaite face à Israël que le 17 novembre.
… tu as enfermé ton maillot de Barcelone floqué Stoitchkov dans une capsule temporelle, avec cette étiquette collée dessus : « Ne pas ouvrir avant 2013. »
… aujourd’hui, cette date est passée depuis bien longtemps, mais tu ne l’as toujours pas ouverte. Tu sais que le risque de te faire lapider est encore là.
… les Français prennent un malin plaisir à confondre ton pays avec la Roumanie. Mais tu sais très bien qu’ils le font exprès, et que c’est juste pour faire semblant d’avoir oublié leur traumatisme.
… tu as bien conscience d’être au panthéon des plus grandes blessures de l’histoire de France. Rangé quelque part entre Waterloo, le 21 avril 2002 et le régime de Vichy.
… Séville 82 ou France-Bulgarie 93 ? Le concours du plus gros Trafalgar footballistique français divise toujours autant les experts.
… tu avais un certificat médical pour ne pas aller au travail le jeudi 18 novembre 1993. L’instinct de survie.
… signé par le docteur Vasil Dimitrov, celui qu’allaient voir tous les Bulgares du pays, et qui a dû signer 32 714 arrêts de travail ce soir-là.
… tu as entendu des Français dire « bien fait » quand la Bulgarie est venue dans l’Hexagone prendre une rouste à la Coupe du monde 98.
… tu as longtemps porté une coupe mulet en toute décontraction, en hommage à ce héros de Trifon Ivanov.
… mais quand on te demandait pourquoi tu étais coiffé comme ça, tu jurais que c’était pour fêter le retour de Mel Gibson dans L’arme fatale 3. Là encore, tu as été obligé de cacher qui tu étais vraiment pour éviter les ennuis.
… tu sais que si la France n’a jamais aidé la Bulgarie à entrer dans l’espace Shengen ou la zone Euro, c’est uniquement par vengeance. Mais le sauvetage des infirmières bulgares par Cécilia Sarkozy t’a semblé être un joli signe de rapprochement entre les peuples.
… tu te demandes encore comment Mikhailov, Georgiev et Iliev, qui jouaient à Mulhouse et Rennes à l’époque, ont été accueillis dans le vestiaire la semaine qui a suivi la défaite des Bleus.
… on te dit : milieu de terrain, années 90, crane dégarni, Marseille ? Tu n’as qu’un seul nom à la bouche, Yordan Letchkov. Zinédine qui ? Il joue où ? Au CSKA Sofia, ou au Levski ?
… depuis la fin des années 90, tu as très mal à ton football, et tu as à peine réussi à vibrer pour Berbatov. Alors tu t’es rabattu sur les valeurs sures de la Bulgarie, et tu as commencé à suivre l’haltérophilie.
… mais aux JO de Pékin et de Rio, toute l’équipe bulgare avait été exclue à cause de trop nombreux contrôles positifs aux stéroïdes. D’ailleurs, Milen Dobrev, dernier champion olympique bulgare de la discipline en 2004, est mort l’année dernière d’une crise cardiaque. À trente-cinq ans…
… ça t’a fait prendre conscience que rien ni personne ne remplacerait jamais les footballeurs dans ton cœur. Et tu attends une nouvelle étincelle depuis trop longtemps.
… le tirage au sort des éliminatoires de la Coupe du monde 2018 t’a offert ton plus beau rush d’adrénaline depuis des lustres, et ce 7 octobre est souligné trois fois en rouge dans ton calendrier depuis des mois.
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Par Alexandre Doskov, ou Александър Досков