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Troyes étoiles

Par Christophe Gleizes et Swann Borsellino
9 minutes
Troyes étoiles

Il y a presque 15 ans naissait l'une des plus formidables équipes de l'ère moderne. Coachée par Alain Perrin et emmenée par Patrice Loko, Samuel Boutal, Carl Tourenne, Jérôme Rothen ou Nicolas Goussé, l'ESTAC a vécu un véritable âge d'or, fait de victoires épiques contre Newcastle, Ruzomberok et le PSG. Avant le match de ce soir face à Lyon, retour sur cette inoubliable épopée, qui est avant tout une histoire d'hommes et de mentalité.

« Forcément, mon meilleur souvenir, ça reste les deux matchs contre Leeds. C’était la première fois que je jouais dans l’ambiance anglaise, avec la ferveur des supporters, c’était magnifique. On perd 4-2 chez eux mais toute l’équipe y croyait encore pour le retour. Chez nous, j’ai la chance de mettre un beau but, j’ai vraiment senti l’osmose avec le public, l’un des plus beaux moments de ma carrière. À un moment on mène 3-1, on est qualifiés, Patrice Loko a même la balle de 4-1 au bout du pied et finalement les Anglais ont réduit le score. » Treize ans ont passé, mais Gharib Amzine n’a rien oublié. Surtout pas ce but de Robbie Keane, à la 78e minute, qui sauve l’équipe anglaise. « Contre toute attente, on gagne mais on est éliminés. Sur le coup, on est déçus mais bon, on a relativisé parce que à l’époque, Leeds c’était une des meilleurs équipes d’Europe ; ils sortaient de deux demi-finales de coupes européennes. On a réussi à remporter l’un des deux matchs, devant notre public, c’est une fierté d’avoir pu leur tenir tête » . Tout donner face aux meilleurs, pour sortir avec les honneurs : tel était le credo de l’ESTAC à l’aune du second millénaire. Flanqués de leurs maillots bleus Rica Lewis, les hommes d’Alain Perrin ont fait la nique aux grands du continent pendant quatre ans, avec leurs moyens mais surtout la manière. « Je pense qu’on est restés dans l’histoire du club parce qu’on jouait un bon football, explique Sladjan Djukic, l’ancien chouchou du public. Et puis on était la première équipe de l’ESTAC à monter en Ligue 1 à l’époque moderne, il y avait beaucoup d’attente. »

L’histoire commence en 1999. Troyes accède alors à l’élite pour la première fois depuis vingt ans. « L’année de la montée était plutôt difficile. C’était la découverte de la Ligue 1, mais on s’est battus à tous les matchs pour sauver notre peau. On a gagné à Lyon, contre Bordeaux aussi, mais personnellement je me souviens surtout du dernier match contre le PSG, où on arrache le nul 2-2 pour se sauver. » Grâce à un courage de tous les instants, les Aubois terminent 14e du championnat à un petit point de la relégation. Un véritable soulagement, qui marque le début d’une parenthèse dorée. « La deuxième saison a été un peu plus facile, explique le magicien serbe, auteur de 12 buts. Enfin, rien n’est jamais facile, mais on avait l’expérience de la Ligue 1 et surtout on a eu plusieurs renforts à l’intersaison qui nous ont permis d’avoir confiance en nos capacités. » Cette année-là, Troyes est la révélation. Le déclic intervient en septembre lors d’un match contre le PSG de Nicolas Anelka, brillamment remporté 5-3. Double buteur lors du choc, le « divin chauve » raconte : « Pour ce match, on a eu un peu de réussite mais on était vraiment surmotivés. On a marqué deux pénaltys et Jérôme Rothen a mis un coup franc. » Au terme de la saison, l’ESTAC accroche une magnifique septième place, synonyme de qualification pour la regrettée Coupe Intertoto. Le groupe vit bien, l’ossature est déjà en place. Les choses sérieuses peuvent commencer.

Djukic + Goussé = la tête à l’Intertoto

« On a débuté la saison suivante directement par la compétition, sans matchs amicaux pour se jauger. On a gagné 6-0 contre Tbilissi, ce qui nous a donné beaucoup de confiance et de certitudes » , se souvient Tony Heurtebis, le dernier rempart. L’AIK Solna et Wolfsburg tombent dans la foulée. Arrive Newcastle et ses stars, Craig Bellamy, Gary Speed et Shay Given en tête. Carl Tourenne et ses potes font 0-0 au stade de l’Aube. Les chances de se qualifier à Saint-James Park s’annoncent minces. « À l’époque, Newcastle, ça représente quelque chose d’important, alors que nous, Troyes, on se faisait à peine une petite place en Ligue 1. En Europe, on n’était pas grand-chose. Pour tout dire, personne ne misait sur nous. » Très vite, les Troyens, impressionnés par l’ambiance, se retrouvent menés 1-0 au bout de trois minutes de jeu. « Quand on prend ce but de Solano, on sent bien que les supporters pensent qu’ils ne vont faire qu’une bouchée de nous, que la suite va être une formalité. » L’impensable se produit pourtant : sur le terrain, les Aubois prennent le dessus en proposant un jeu chatoyant. Leroy et Goussé redonnent coup sur coup l’avantage à l’ESTAC, avant que Samuel Boutal n’inscrive un doublé au retour des vestiaires. Troyes mène 4-1. Sous la pression, les Troyens se font finalement rejoindre à 4-4 dans les dernières minutes, mais parviennent à se qualifier. « On a réussi à tenir malgré la pression. C’était un match à émotions et rebondissements qui a lancé notre saison » , rappelle Tony, qui ne peut s’empêcher de sourire en évoquant ces moments.

La suite n’est pas moins belle. Troyes découvre la Coupe UEFA en ce jour fatidique du 11 septembre 2001. « Quand j’ai vu les tours aux infos, c’était surréaliste, franchement je n’y croyais pas du tout. Je m’en souviens bien, c’était juste entre la sieste et la collation, on s’est retrouvés à cinq ou six joueurs dans une chambre, à se demander si le match allait être rejoué » , se remémore Gharib Amzine. Malgré les conditions particulières, sur le terrain, c’est la démonstration face à des Slovaques dépassés, avec un triplé de Boutal, un doublé de Loko et une merveille de Meniri. « Sincèrement, nous étions tous très attristés, mais une fois plongés dans le match, on ne pense plus à rien, sauf au ballon. Peu d’éléments extérieurs peuvent nous perturber. » Le ticket pour le second tour est poinçonné, direction Leeds pour le résultat qu’on connaît. « On jouait contre une équipe invaincue en championnat, avec des joueurs exceptionnels comme Viduka ou Ferdinand. Mais chez nous, vraiment, on les a fait douter. Forcément il y a la frustration de pas avoir pu les éliminer mais c’est un moment important de l’histoire du club, qui restera marqué à jamais » , rappelle Tony Heurtebis, qui se satisfait cette année-là d’une nouvelle septième place en championnat, celle de la confirmation, avec de brillantes victoires contre Marseille et Bordeaux. Nicolas Goussé, auteur d’un magnifique doublé contre les Girondins, terminera quatrième meilleur buteur de Ligue 1, derrière Djibril Cissé, Pedro Pauleta et Jean-Claude Darcheville.

Une équipe Panini

Parce que tous les rêves ont une fin, l’âge d’or troyen s’arrête à l’orée de la saison 2002/2003, lors de leur quatrième saison dans l’élite. Il faut dire qu’Alain Perrin, suite à ses bons résultats, est parti à Marseille. « Jacky Bonnevay est arrivé, le groupe était resté à peu près stable » , se remémore Heurtebis, qui se souvient surtout de la déception européenne face à Villarreal, que Gharib Amzine assimile au « début de la descente aux enfers » . À nouveau qualifiés en Intertoto, les Troyens continuent sur leur lancée et éliminent le club espagnol en demi-finales sur le terrain. Ils perdent néanmoins la rencontre sur tapis vert suite à un problème administratif. « Derrière, on vit vraiment une année noire. Tout s’est mal goupillé. Il y avait de la déception, de la frustration, on n’a pas su réagir ni enchaîner. C’est dommage parce qu’on avait encore des bons joueurs sur le papier. » À l’issue d’un exercice raté, Troyes termine dernier du championnat et rentre dans le rang. Si près de 15 ans plus tard, on parle encore de l’ESTAC du début des années 2000, ce n’est pas seulement parce que les pieds en or de Benjamin Nivet sont devenus la seule attraction d’une équipe moyenne de Ligue 2. Comme le Sedan de Mionnet, Quint et N’Diefi, le Troyes de Djukic, Celestini, Tourenne, Hamed ou Goussé s’apprécie comme un vieil album Panini sorti d’un grenier.

L’escouade de Perrin fait partie des équipes qui touchent la fibre nostalgique du football en tant qu’aventure sportive et humaine. Comme on commence à sourire au volant quand une chanson rappelle le bon vieux temps sur une route de campagne, revoir le crâne de Djukic faire mal à Grégory Coupet donne la banane, quand ce ne sont pas des frissons. Pourquoi ? Peut-être parce que quand ils sont invités à parler de cette équipe et de leurs anciens collègues, tous les anciens Troyens ont des trémolos dans la voix et des anecdotes dignes des plus belles colonies de vacances. Gharib Amzine raconte : « Je me souviens d’une fois où l’on était une dizaine de joueurs chez le kiné et dans la salle, il y avait un poster de l’équipe du Real Madrid. Karim Ziani commence à s’amuser à citer tous les joueurs, genre Zidane, Roberto Carlos et à un moment, il bloque sur un qu’il ne reconnaît pas et qui est baissé devant. C’était Raúl Bravo. Et là, il se retourne vers nous en souriant et il dit : « C’est Accroupis, c’est un Grec. » On a tous éclaté de rire. » Aujourd’hui attaché à la direction de l’UNFP, Richard Jezierski se souvient d’un « groupe exceptionnel sur le plan humain, du staff aux joueurs, en passant par les employés » . Arrivé au club en 1994 avec une patte cassée, Jezierski se souvient que l’ATAC, aïeul de l’ESTAC, lui a offert la chance de sa vie. « C’était le 23 décembre 1994. Alain Perrin et Angel Masoni, le président de l’époque, me font signer un contrat fédéral alors que certains pensaient que je ne pourrais même pas rejouer au foot. Quelques jours plus tard, le 6 janvier, je me recasse la jambe et on a redonné un contrat à un type qui boitait à l’entraînement. Humainement, c’est beau » , sabre l’ancien de Reims, également passé par Sedan et donc forcément amateur de football champagne.

La lose comme on l’aime

Car c’est aussi ça, l’ESTAC. Une équipe qui jouait vite et bien, dirigée de main de maître par Alain Perrin. Un entraîneur pragmatique qui a fait avec ce que l’on lui donnait et qui avait cette aptitude à faire d’un groupe de joueurs parfois quelconques un groupe de qualité. « On proposait un football attrayant, basé sur la mobilité. C’était tout en percussion avec Rothen et Saïfi sur les ailes, tout en mouvement avec Loko, Goussé et Boutal devant. Derrière et au milieu, on n’avait pas forcément de grands joueurs, mais un ensemble de bons joueurs dont le coach savait exploiter les qualités » , admet Amzine. Aux premières loges de ce spectacle permanent, un autre nom made in Ligue 1 : Tony Heurtebis. « Je pense que les gens se sont attachés au club par rapport à son côté convivial et à notre manière d’être. Je crois qu’on a toujours œuvré pour que ça se passe au mieux et pour avoir des résultats positifs. » Mais les Troyens ne seront jamais les rois du rendement. La faute à cette demi-finale de Coupe de France 2001 perdue aux tirs au but face à Amiens. « C’est tellement dommage que l’on n’ait pas pu concrétiser ces belles années par un titre » , ressasse Jezierski. Il faut dire que le défenseur reconverti à l’UNFP a des raisons de vouloir oublier ce 21 avril et la moustache de Denis Troch : « J’étais suspendu pour cette rencontre, je suis venu en voiture et je me suis fait flasher sur l’autoroute en venant, avant d’assister à une défaite aux tirs au but. On peut parler d’une journée compliquée. » Le seul point noir d’une glorieuse épopée.

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