- C1
- Gr. H
- Ajax-Lille (3-0)
Trop vite, trop haut, trop fort
Dévorés par l'Ajax (3-0) à la Johan Cruyff Arena, les Lillois ont payé le poids de leur inexpérience à l'échelle européenne, tout en présentant de solides promesses pour le futur. Quand il y a de l'espoir, il y a de l'espoir...
Le pire, c’est qu’ils font un bon match. Il y a quelques années, un type nommé Alessandro Barrico disait ceci : « Pour apprendre à boxer, il suffit d’une nuit. Il faut une vie entière pour apprendre à combattre. » Le genre de bon mot qui excite les tympans, mais ne veut finalement pas dire grand-chose pour qui n’a jamais pratiqué, comme si le passé avait son poids, lui aussi, dans la performance. Ce mardi soir, si jamais Christophe Galtier n’avait pas eu le loisir d’assimiler la remarque, il l’a fait. Lille s’est pris une leçon de boxe anglaise par son opposant du soir, un gamin ajacide à la robe rouge et blanc et aux gants rapides comme l’éclair. À sec, sans prévenir.
Car pour comprendre ce qui se jouait ce soir, autant s’appuyer sur les dires du grand chef avant la rencontre, celui-ci ayant eu la gentillesse de mâcher le travail de compréhension des objectifs : « A-t-on le niveau ? Seuls les matchs le diront. Bien sûr, on n’a que quatre joueurs qui ont fait des matchs de C1 (Rémy, Pied, Renato Sanches et Ikoné). On part de loin en matière de vécu. C’est normal parce qu’on recrute des jeunes talents. » Se jauger, rien d’autre. À ce titre, jouer l’Ajax, dont la politique jeuniste avait fait le succès l’an passé, relevait d’un joli clin d’œil. Finalement, les Dogues repartent avec une tronche au beurre noir.
Sanches, point de bascule
Il s’est pourtant avancé, le costume droit, le regard haut. Galtier ne baisse les yeux que devant la mort, et encore, on n’en sait franchement rien. Que répondre après une gifle ? Balancé devant les micros de beIN Sport à la fin du match, le coach lillois a fait ce qui fait de lui un bon entraîneur : il s’en est tenu au bilan. Renato Sanches planté à droite pour gêner Tagliafico ? Pas sa meilleure inspiration : « J’avais la possibilité d’être plus offensif en maintenant Luiz Araujo, mais je voulais avoir un troisième milieu de terrain. Mais je ne pense pas que ça s’est joué là. » Alors où ? Les chiffres pointent pourtant là. Renato Sanches, à la rue sur chacune de ses prises de balle dans les vingt premières minutes, est le deuxième joueur lillois à avoir perdu le plus de ballons sur le terrain (six, contre huit pour Benjamin André), le tout pour 52 ballons touchés, quatre dribbles et zéro tir tenté. Venu assister à la victoire de l’Ajax face à Heerenveen (4-1) samedi dernier, Galtier avait décidé de placer son feu follet sur la pelouse, peut-être parce que c’était le moment de montrer pourquoi il avait été acheté si cher, peut-être parce qu’il est le joueur avec le plus d’expérience à ce niveau (18 matchs), derrière Loïc Rémy (25). Mais ça, c’est encore sur le papier. À froisser.
Car une fois les taureaux lâchés dans l’arène, il n’y avait plus que la tête et les jambes. Ils le disent assez souvent : une fois sur le terrain, les entraîneurs n’ont plus de prise sur ce qu’il se passe devant eux. Aux joueurs de se débrouiller. Et c’est là le plus terrible : Lille a relevé le défi. En réalisant moitié moins de passes, certes (387 contre 638), mais en tirant plus (16 contre 15), en contrant plus (11 contre 9) et en interceptant autant de ballons (12). Il s’agissait de laisser la gonfle en piquant en retour, et la triplette Ikoné-Bamba-Osimhen a eu les balles pour revenir, d’abord à 1-0, puis à 2-0. C’est à se dire que les leçons passent parfois par là : un Onana toujours parfaitement placé d’un côté, un Maignan moins impérial de l’autre. « La Ligue des champions, ça doit transformer et surtout pas annihiler. Ça doit transcender ! » , disait Galtier à La Voix du Nord il y a peu. Pour sa première en tant que coach principal sur le banc d’un match de C1, le bonhomme s’est donc tout simplement pris une quadruple leçon : tactique, physique, de réalisme et de créativité. Edson Álvarez, 21 ans, débauché pour 7,5 millions au Club América ? Délicieux. Lisandro Martínez, 21 ans, acheté 7 millions au Club Social y Deportivo Defensa y Justicia ? Mortel. Sans parler de Neres, sans parler de Promes, sans parler de Ziyech…
Musique, maestro
À L’Équipe, ce matin : « Les matchs sont d’un niveau technique très élevé. Avec beaucoup d’intensité. Beaucoup de gens parlent de la musique d’avant-match. Mais quand tu prépares tes matchs, la musique, tu ne l’entends pas. » Il y avait la musique, il y avait l’opposition, il y avait le répondant. Mais entre une équipe jeune et une autre, il y a parfois, aussi, le poids d’une demi-finale de Ligue des champions disputée il y a moins de six mois.
L’Ajax n’est pas reparti de zéro malgré ses ventes, preuve ce soir aux sceptiques, et reste une des équipes d’Europe au jeu le plus abouti à ce stade de la saison. Le message, en filigrane, était celui-là : pouvoir se situer. « Croquer dans ce match, n’avoir aucune retenue. » Le LOSC a croqué, le LOSC s’est fait croquer. Mais au vu de la prestation du soir et du reste du plateau de ce groupe H (Valence et un Chelsea incapable de garder un clean-sheet), on se dit que si Bamba apprend à lever les yeux, les Dogues pourraient bien dévorer plus que des minutes de jeu. En attendant, Lille a vu ce que combattre voulait dire.
Par Théo Denmat