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Trejo, en route pour un dernier tango
Carlos Gardel et Beto Márcico, deux illustres prédécesseurs qui sont le lien entre Toulouse et l’Argentine. Deux donneurs de rythme, comme un pont entre les eaux de la Garonne et celles du Río de la Plata de l’autre côté de l’Atlantique. Depuis trois ans au TFC, Oscar « Chocota » Trejo aimerait bien lui aussi s’inscrire définitivement dans cet improbable panthéon argentino-toulousain.
Le tango est une danse de bal qui se danse à deux, dans les « milongas » , lieux de danse et de rencontres. Mais depuis trois ans, l’Argentin Óscar Trejo n’a pas toujours su faire du Stadium son jardin, sa « milonga » , pour faire rêver les aficionados violets. Comme une incompréhension, un malentendu entre l’esthète et son public. Une question de mésentente chronique entre ce footballeur classieux et les yeux de ceux qui le regardent sur le pré du petit Wembley tous les quinze jours. Dans les « milongas » , le « cabeceo » est une invitation faite à l’autre, à un potentiel partenaire pour accepter une danse. Un signe du regard, une invitation à partager un moment à deux. Tout passe par les yeux. L’acceptation ou le refus. Et « Choco » a parfois cherché des yeux ses partenaires sur le terrain et souvent ses soutiens dans les travées du Stadium. Une relation plutôt branchée sur courant alternatif.
L’art n’accepte pas la mesure
Une première saison d’adaptation en dents de scie dans un poste de milieu relayeur qui lui correspondait trop peu dans le 3-5-2 d’Alain Casanova. Une deuxième à l’issue de laquelle il sera élu meilleur joueur violet par les supporters, une fois replacé en pointe haute dans le milieu en losange du 4-4-2 de Dominique Arribagé (en 2014-2015). Puis la saison dernière, il s’est noyé comme ses coéquipiers jusqu’au mois de mars et l’improbable remuntada initiée par Pascal Dupraz. Un sauvetage miraculeux auquel il n’aura finalement que peu participé. Le coach savoyard expliquait après coup avoir fait un choix sportif : « Mon métier, c’est aussi de faire des choix. Et parmi ces choix, sur les dix derniers matchs de la saison dernière, je considérais qu’avec notre retard, je ne pouvais pas associer Trejo et Didot, qu’il me fallait davantage de densité athlétique dans le cœur du jeu. J’ai sacrifié Choco, je le reconnais, alors qu’il aurait certainement plus mérité de jouer que certains. Mais pour cet équilibre-là, je l’ai sacrifié. » Mais le milieu argentin du TFC n’avait pas pour autant renoncé : « Ce qu’il y a de formidable, c’est que plutôt que de ressasser sa rancœur, il en a puisé une force et s’est montré décisif à chaque fois qu’il est entré. C’est l’exemple type du coéquipier modèle. »
À l’heure où les kilomètres parcourus et les statistiques de fin de match font office de curseur pour savoir si les joueurs ont réussi un bon match ou pas, Trejo est le type de joueur qui ne peut pas être résumé à des chiffres. Car l’art n’accepte pas la mesure. Et l’Argentin est un artiste. Lui, c’est le football de l’instinct, celui qui peut illuminer un match d’un geste inattendu. Celui du ballon que l’on conduit tête haute et buste droit. Celui de la passe rêvée et du dribble soyeux qui peuvent éliminer trois joueurs en une touche. Celui qui ne s’apprend pas dans les centres de formation. Celui de l’inné, de la feinte de corps, celui de Beto Márcico. Trejo danse avec le ballon, un type de joueur rare en Ligue 1 qui a parfois fait se lever les spectateurs du Stadium. Mais qui divise. Comme Riquelme au Barça ou Pastore à Paris, ses détracteurs sont souvent plus nombreux que ses amateurs. Entre coups d’éclat et matchs sans saveur, le public toulousain se déchire souvent. Mais cet été, Pascal Dupraz a rapidement pris la mesure de son nouveau numéro 10 et l’a installé en meneur de jeu dans son 4-2-3-1. Un rôle qu’il maîtrise à la perfection et qui lui permet de faire étalage de toute sa palette technique et de donner raison à son entraîneur qui déclarait cet été voir en lui « un joueur merveilleux » .
Le souvenir de Gardel et Márcico
En confiance, le leader technique de l’entrejeu toulousain a donc vécu des matchs de préparation et un mois d’août rayonnants, avant de replonger dans l’ombre à cause d’une blessure en septembre et de l’arrivée d’Ola Toivonen à son poste pendant le mercato. Mais face à Monaco vendredi soir (3-1), pour son retour sur l’île du Ramier en tant que titulaire, le natif de Santiago del Estero a su attirer la lumière des projecteurs et donner le tempo à son équipe. Le temps d’un coup du sombrero et d’un une-deux aérien avec son capitaine Martin Braitwhaite qui lui ont permis d’égaliser de la tête. Le milonguero du Stadium a retrouvé ses marques et, une fois encore, marqué les esprits et alimenté les discussions d’après-match le long de l’allée Gabriel Biénès.
Pour sa dernière année de contrat à Toulouse, l’astre argentin espère bien imposer cette liberté de rythme qui est la sienne. Identique à celle spécifique du tango argentin, là où se cache tout leur charme. Et qui explique leur différence. Pour laisser une trace. Pas dans les tableaux de statistiques de fin de saison, mais dans les mémoires toulousaines. Celles qui aiment encore aujourd’hui évoquer le souvenir de Gardel ou de Márcico. Et peut-être demain celui de Trejo.
Par Benjamin Laguerre