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Tousart, passe ton bac plus tard
À Lyon depuis l'été 2015, Lucas Tousart (dix-neuf ans) prend progressivement sa place dans l'effectif de l'OL. Une promotion pas étrangère à son titre de champion d'Europe U19 cet été, mais qu'il doit surtout à des prédispositions physiques et mentales innées. Portrait d'un mec qui n'a plus le temps pour les études.
« Tout petit, quand il allait voir son grand frère Samuel jouer, il voulait entrer sur le terrain. Il était petit, mais il insistait, on devait le retenir et il était en colère. Alors à quatre ans, j’ai signé une décharge pour qu’il puisse avoir sa première licence. » Quand il parle de Lucas Tousart, son second fils d’une seconde union, Jean-Robert Tousart n’est pas peu fier. Car lui, l’ancien professeur d’EPS, a très vite compris que son fils était hors du lot. « Il a toujours été habitué à jouer avec des plus grands en âge, mais il n’était pas forcément en dessous physiquement, il a toujours eu des prédispositions physiques. » Qui se traduisent à douze ans par un titre d’académie de cross-country avec le collège de Rignac, dans sa ville d’origine, et aussi un beau classement de 15 en tennis. « Il aurait aussi pu tenter la carrière dans ce sport » , assure le paternel. Entraîneur du futur pro des poussins jusqu’aux U13 à l’US Pays Rignacois, Claude Janin se souvient d’un gamin dont « le profil a évolué, car quand il était avec moi, ce n’était pas forcément un leader sur le terrain, il était moins solide mentalement qu’aujourd’hui. S’il avait raté un match et devait tirer un penalty, à 99% il le ratait aussi… Celui qui faisait les différences en gros matchs, c’était son pote Hendrick Foucras, qui finalement n’a pas percé, comme quoi… »
Le plan B de Valenciennes sur le toit de l’Europe
Sous les ordres de Janin, Tousart est alors un attaquant prolifique, qui à défaut d’avoir une technique hors norme, sait s’imposer en jouant des coudes. « L’hiver, quand on faisait des tournois en salle, ce n’était pas rare que des gens s’exclament sur le bord du terrain :« Mais c’est quoi cette brute ? »Il était agressif dans la quête du ballon, il mettait le pied. Mais il se faisait surtout remarquer par ses buts, hein. » Suffisamment pour qu’au détour d’un match amical entre les U13 de l’US Pays rignacois et du Toulouse FC, il soit sollicité pour un stage dans la « ville rose » . Mais les éducateurs du TFC le laissent filer au Pôle Espoirs de Castelmaurou avec pour conseil d’évoluer dans un bon club régional. Ce sera Rodez, où le gamin reste une année de plus après sa sortie du Pôle Espoirs, la faute à un transfert avorté avec Lille. Le train du monde pro est passé ? La mère du milieu de terrain tend à y voir une bénédiction, car le milieu du football ne lui inspire pas confiance, et elle préférerait voir son fils réussir dans les études. Mais Lucas et son père continuent d’y croire, alors quand Valenciennes vient le chercher en 2013, le jeune homme n’hésite pas vraiment, même si David Le Frapper, alors responsable des U19, admet qu’ « il n’arrive pas comme une priorité de recrutement, mais plus comme un joueur de complément » . Sauf qu’à force de travail, le natif d’Arras « passe devant tous les autres » . Et quand il reprend l’effectif pro en Ligue 2, l’actuel coach de la CFA de l’OM n’a aucune hésitation. « J’avais besoin de stabilité au milieu, un joueur avec un gros volume, très collectif. Son âge ne m’a pas posé problème, je l’avais eu en U19 et je savais qu’il était prêt. » À force d’enchaîner les matchs dans l’anti-chambre de l’élite, Lucas Tousart tape dans l’œil de Patrick Gonfalone, sélectionneur des U19 français, qui voit en lui « un milieu défensif très performant, physiquement au-dessus de la moyenne, et qui en plus a une lecture du jeu de grande qualité, qui intervient quand il faut, sachant ralentir le jeu si nécessaire » . Le prédécesseur de Ludovic Batelli n’hésite donc pas à surclasser le joueur de VA, « car en plus, il a une excellente éducation, donc en tous points, il méritait d’être avec nous » . La promotion entre dans le cadre d’une stratégie de la DTN avec ses sélections de jeunes, à savoir faire sauter un échelon à quelques joueurs de chaque génération pour créer des « relais » entre elles. Le jeune Tousart fait donc l’Euro U19 en Grèce en 2015, afin « de booster la génération qui a finalement gagné en 2016 » .
« L’inspecteur au bac a voulu punir le footballeur pro » (Jean-Robert Tousart, père de)
Une campagne dans laquelle Tousart assume avec brio le rôle de capitaine selon Ludovic Batelli. « À la pause contre l’Angleterre, on n’était pas bien, l’équipe ne faisait pas ce que l’on attendait d’elle, il a pris la parole et dit des choses sensées, cela a aidé l’équipe. » Peut-être un acte fondateur du triomphe tricolore, mais l’actuel sélectionneur des U20 français préfère y voir « une petite action de plus parmi beaucoup qui montrent que Lucas a parfaitement joué son rôle de relais entre nous et le groupe, et aussi de pièce centrale de l’équipe. » Après l’Euro, Palerme a senti que le potentiel du jeunot valait son pesant d’or, et en a proposé 5 millions d’euros à Lyon. Qui a refusé tout net de refourguer un joueur recruté un an plus tôt, peu utilisé certes, mais hautement estimé. Depuis, Tousart a d’ailleurs glané un temps de jeu conséquent, profitant notamment des absences sur blessure ou suspension du capitaine Maxime Gonalons. Pour ceux qui l’ont connu comme David Le Frapper, nul doute que son ancien protégé « a encore une grosse marge de progression » et que l’OL a fait une excellente affaire. « D’ailleurs pour moi, cela a été une douleur de le voir partir même si j’étais content pour sa progression, on n’a jamais su le remplacer. » Patrick Gonfalone, qui observe avec attention son évolution, voit très grand : « Il ne fait pas partie des plus doués, des plus en vue, mais il est dans un registre qui valorise les autres, il rend l’équipe meilleure. Il peut faire une carrière à la Deschamps, d’ailleurs je lui souhaite, même s’il ne faut pas aller trop vite. Et lui le sait, ce n’est pas le genre à se croire arrivé, il connaît ses qualités et défauts avec lucidité. » Une lucidité qui l’a poussé à mettre de côté les études provisoirement, et donc à renoncer à un bac ES raté de peu à l’automne 2015. « Il venait d’être transféré à Lyon, il était assez sollicité aussi par la sélection » , se souvient Jean-Robert Tousart, qui a le sentiment aussi « que l’inspecteur lors de l’oral de rattrapage a voulu punir le footballeur pro » . Aujourd’hui victime de sa réussite professionnelle, il n’a plus le temps pour se préparer aux épreuves, mais sa mère l’accepte un peu mieux, car « depuis que Lucas a signé pro, elle s’intéresse un peu plus au foot, elle regarde, elle est sûrement soulagée qu’il ne soit pas passé à côté de quelque chose » . Mais à la moindre opportunité dans l’emploi du temps étriqué de son fils, il est fort probable qu’elle le repousse dans ses livres.
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Nicolas Jucha
Tous propos recueillis par Nicolas Jucha