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« Tous les matins, je vois des biches devant chez moi »

Par Florian Lefèvre
« Tous les matins, je vois des biches devant chez moi »

Le championnat norvégien est bien terminé, mais Habib Bellaïd non. Défenseur central du Sarpsborg 08 depuis le printemps 2015, il a encore une finale de coupe à remporter contre Rosenborg. Entre galères passées, renouveau sportif et dépaysement XXL, Habib raconte sa nouvelle vie.

La dernière fois qu’on avait pris de tes nouvelles, c’était il y a trois ans, tu évoluais à Sedan. Depuis, tu as connu quatre championnats différents : l’Algérie (MC Alger), la Tunisie (CS sfaxien), la Belgique (White Star Bruxelles) et la Norvège (Sarpsborg), raconte-nous…

C’est un parcours tumultueux. En 2013-2014, j’ai passé un an en Algérie où j’ai remporté la Coupe nationale avec le MC d’Alger. Ensuite, je signe au CF sfaxien et je pars au bout de trois semaines. C’est Philippe Troussier qui m’avait fait venir. 15 jours après mon arrivée, le coach me dit : « Je sais pas dans quoi je me suis embarqué. J’attends la Ligue des champions africaine et si on se qualifie pas, je me barre. » Sauf que moi, j’avais signé deux ans… C’étaient des cinglés, les mecs ne payaient pas, donc après les promesses, un jour j’ai pris mes affaires et je suis rentré à la maison. J’ai pété les plombs, je leur ai dit : « Gardez votre argent. » Ce sont des gens qui sont pourris jusqu’à la moelle, qui n’ont pas de parole. À partir de là, tu comprends pourquoi leur championnat n’évoluera jamais.

Tu as mis du temps avant d’atterrir au White Star Bruxelles (D2) ?

J’ai quitté Sfax à la mi-septembre (2014). Quatre mois plus tard, je vais m’entraîner à Bruxelles par l’intermédiaire de mon ami Ricardo Faty, qui connaissait le manager du club. Là encore, je tombe sur un mec complètement taré, égocentrique, narcissique ! Tout avait bien commencé pourtant. Je suis arrivé en janvier, à partir de février je fais tous les matchs titulaire et l’entraîneur me nomme même vice capitaine ! Un jour, il me sort à la mi-temps d’un match. Le lendemain, je vais le voir, je ne comprenais pas. On s’explique entre quatre yeux, mais il me dit que c’est rien. OK, je vais m’entraîner. Mais à la fin, il me convoque dans son bureau. Il me lance : « Prends tes affaires, tu rentres chez toi. Ici, c’est moi qui décide. » Sachant que l’entraîneur est aussi le président et le manager général (il s’agit du Camerounais John Bico, qui est aussi l’ex-agent de Franck Ribéry ou d’Eden Hazard, ndlr). Je lui ai dit : « T’es sérieux ? On est en 2015, on fait pas des trucs comme ça. » On a fait une rupture à l’amiable. Aller aux prud’hommes, ça ne m’intéresse pas. Prendre quatre mois de salaire, je m’en fous, je joue au foot parce que j’aime le foot.

Direction ensuite la Norvège. Comment tu es arrivé à Sarpsborg 08, l’ancien club de Jérémy Berthod ?

Je rentre chez moi en mars, puis en mai, je reçois un appel : « Ça te dirait d’aller en Norvège ? » « Euh, écoute, la Norvège… » Sauf que l’agent avait envoyé le gardien Quentin Westberg dans ce club (comme Faty, Habib Bellaïd a connu Westberg au sein de la promo 86 de l’INF Clairefontaine, rendue célèbre par la série-documentaireÀ la Clairefontaine, ndlr) Du coup, j’appelle Quentin. Il se dit agréablement surpris et m’encourage à venir jeter un œil. Pas de problème, j’arrive ! Et en trois jours, je suis conquis. Tu retrouves un pays où il y a du niveau, des bonnes installations, de la rigueur et un vrai plaisir de jouer au ballon. En fait, les gens sous-estiment énormément ce genre de championnat. Les dirigeants veulent me faire signer, moi je les préviens quand même que je sors d’une année compliquée, mais pas de problème. Je suis là depuis un mois et arrive en juin une petite trêve. Ça fait presque six mois que je n’ai pas joué en compétition et je suis titulaire contre Rosenborg, l’équipe numéro 1 du pays ! Je fais un super match. Trois jours plus tard, on enchaîne contre le SK Brann en Coupe et je marque le tir au but vainqueur. Encore une grosse perf’ le week-end suivant à Viking. À chaque fois, c’est télévisé, donc ça fait un gros buzz. Tu le sens quand on vient t’interviewer à la fin du match.

C’est quoi les caractéristiques du championnat norvégien ?

C’est courir, courir, courir. Ça se rapproche de l’Allemagne, il n’y a pas de temps mort. Des fois, il y a des scores de malade, un entraîneur français il péterait un câble ici ! Ils attaquent tous ! Quand le gardien chope le ballon sur un centre, on n’attend pas que tout le monde se replace, ça repart dans l’autre sens. Défensivement, c’est intéressant, tu es toujours sur le qui-vive. Je suis agréablement surpris par l’engagement et le niveau technique. Pas les dribbles, mais la vraie technique : ça joue vite à une touche de balle, tac – tac – tac – tac. Quand je vois Molde éclater tout le monde en Ligue Europa, je me dis qu’il y a du niveau !

Comment tu définirais la mentalité norvégienne ?

C’est vraiment une autre mentalité. Ce sont des gens très travailleurs, polis, serviables. C’est très agréable. Dans un vestiaire, tout se passe bien. En revanche, c’est compliqué d’avoir une relation en dehors du foot, alors qu’en France t’es toujours en train d’aller boire un café ou manger un bout avec un coéquipier. Les Norvégiens sont plus focalisés sur leurs études. Notre troisième gardien a arrêté le foot pour se lancer dans ses études d’avocat. Les deux premières divisions sont professionnelles, mais il y a des points à améliorer. Au sein de mon club par exemple, il manque un médecin et un kiné à plein temps…
L’affluence dans les stades, je dirais que c’est la seule fausse note de ce championnat. Mais tu joues sur des caviars !

Et les relations avec les jeunes joueurs ?

Ça n’a rien à voir avec la France. Quand tu entends un ancien de Ligue 1 parler, les petits jeunes ne travaillent pas. Quand j’appelle mes potes qui jouent en France, ils me disent que c’est complètement différent de notre génération. Tu te revois quand tu étais jeune, tu étais « un petit con » , mais tu avais envie de travailler. Là, les mecs se reposent sur leur talent individuel. Je pense que cela explique la baisse de niveau de la L1. Quand on a débuté au Racing Strasbourg il y a dix ans avec Ricardo (Faty) et Gameiro, on s’en mangeait des pressions par les anciens. Tu as beau faire 1m90, 90 kg, quand un Pagis ou un Cassard te disait les choses, tu fermais ta gueule. En Norvège, un jeune il a soif d’apprendre. Mais ça va aussi avec le talent. Comme ils ont peut-être un déficit à ce niveau-là, les jeunes Norvégiens ont envie de s’améliorer.

Du point de vue de la communication, comment ça se passe ?

Ils parlent tous anglais depuis qu’ils ont six ans ! (rires) À la télé, à part les informations, il n’y a aucun programme en norvégien : tout est en anglais sous-titré. Entre eux, les joueurs parlent norvégien, mais ils switchent très facilement – c’est le cas de tous les Scandinaves. Je commence à comprendre le norvégien, parler, ça sera un petit peu plus dur, mais si je continue ici, dans un an et demi, je pense que je parlerai correctement.

Cette blessure au genou fin août, ça a dû te couper dans ton élan…

J’ai enchaîné tous les matchs et le coach m’a fait souffler. Je suis allé en réserve pour avoir 45 minutes de jeu dans les jambes et c’est là que j’ai reçu un coup sur ma jambe d’appui : rupture partielle du ligament, six à sept semaines d’absence. Après la rééducation en France, j’ai recommencé les entraînements il y a deux semaines. J’espère que je serai à 100% pour la finale de la Coupe (le 22 novembre, contre Rosenborg).

Le championnat est sur le point de s’achever… (l’entretien s’est déroulé juste avant la dernière journée, Sarpsborg termine 11e, ndlr)

Bah oui, parce qu’il fait froid après ici (rires). Pour l’instant, ça va, il fait doux (8 ou 9°C), je m’attendais à pire pour un mois de novembre. Mais du jour au lendemain, tu peux te lever un matin et ne plus pouvoir sortir de chez toi parce que la neige bloque la porte ! J’aimerais rentrer en France avant de faire une dépression (rires).

La Coupe, c’est dans la tête de tout le monde ?

C’est l’effervescence ! Les gens ne pensent qu’à ça, c’est incroyable. C’est LE match de l’année. Tout le monde va à Oslo, c’est la fête, tout le pays regarde la rencontre. On va jouer dans le stade de l’équipe nationale (25 000 places) qui est aussi celui de Vålerenga. D’ailleurs, l’affluence dans les stades, je dirais que c’est la seule fausse note de ce championnat. On évolue en moyenne devant 4/5 000 personnes. En revanche, tu joues sur des caviars ! La moitié des équipes évoluent sur du synthétique, mais il est de si bonne qualité que tu as l’impression d’être sur du naturel. À Sarpsborg, une petite ville (55 000 habitants), la finale c’est une première depuis 50 ans ! Le titre, ça serait vraiment un truc de fou ! À l’image de Guingamp en France.
Cet hiver, j’espère voir des aurores boréales.

Vous allez affronter Rosenborg, un nouveau champion et leur fameux cri de guerre « Sha-la-la-ååååå » . C’est l’épouvantail ?

Oui, au milieu de terrain, il y a de sacrés joueurs. Avec l’avant-centre international Alexander Søderlund, on s’est bien tiré la bourre sur la confrontation aller-retour. Il vient me voir à la fin d’un match : « Ça faisait longtemps que j’avais pas eu un duel comme ça. » Tout dans le respect et dans le plaisir. Vraiment un super joueur et un super mec. On s’est serré la main, presque à se prendre dans les bras.

C’est quoi ta vie à Sarpsborg en dehors du foot ?

Tu t’ennuies ici. Sachant que j’ai laissé ma femme et mes enfants en France… Je vais boire des cafés avec un autre joueur français qui joue dans une ville à 15 minutes… Je vie en autarcie (rires). Mais ça me permet de travailler la musculation. Je n’ai pas les chaînes françaises et la télé norvégienne, au bout de cinq jours, ça m’a saoulé : entre 17 et 19 heures, il y a des vidéos gag sur trois chaînes, ils en raffolent. Alors je me mets à jour sur les séries. En ce moment, je regarde Empire et Scandal. Mais c’est un superbe pays. Tous les matins, quand j’ouvre la porte de ma maison, il y a deux biches devant la voiture. C’est un dépaysement incroyable. Quand tu voyages dans le Nord, comme à Tromsø, tu vois des paysages à couper le souffle. Un fjord, tant que tu ne l’as pas vu en vrai… Cet hiver, j’espère voir des aurores boréales. La pêche et la chasse ? C’est en hiver, mais c’est pas pour moi, je vais surtout m’enfermer à la maison et augmenter le chauffage !

En vrai, tu redoutes autant l’hiver que les personnages de Game of Thrones ?

J’ai peur ! (Il se marre) J’ai des coéquipiers qui me disent droit dans les yeux : « Nan, mais il va faire moins 25°C. » Ils sont super sérieux ! Et ils vont à l’entraînement. Moi à moins 25, je sors pas de chez moi, vous êtes fous ou quoi ? Ils me disent : « Nan ça va, ça peut aller jusqu’à moins 35 » ! Et encore, je suis au sud de la Norvège.

Et tu as testé la nourriture locale ?

Sushi, sashimi, au poivre… ils ont toutes les déclinaisons du saumon ! Bon moi à la rigueur, je prends des pavés de saumon, sinon je vais acheter des steaks et des pâtes. Tous les matins, on déjeune au club, il y a une espèce de bouillie, tout le monde mange ça avec de la confiture par-dessus. Je leur demande : « Mais qu’est-ce que c’est ? » Ça fait six mois, mais je n’ai pas encore testé.

Pour terminer, malgré le froid et la bouillie, t’as quand même envie de rester ici la saison prochaine ?

Oui, complètement. On va voir avec le mec qui m’a amené ici si je vais rester à Sarpsborg ou aller dans un club un peu plus huppé si j’en ai la possibilité.
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