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« Tous les étés, je partais aux États-Unis pour voir des concerts »

Propos recueillis par Flavien Bories
10 minutes
«<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Tous les étés, je partais aux États-Unis pour voir des concerts<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

L’Ange Vert. Parfois on nous attribue des surnoms que l’on n’aime pas. Puis il nous colle tellement à la peau qu’on finit par l’accepter. Après une brillante carrière, Dominique Rocheteau est revenu à Saint-Étienne. Membre du staff dirigeant des Verts, il nous reçoit.

On vous surnommait l’Ange vert. Vous n’aimiez pas trop. Pourquoi ?Je n’aimais pas trop parce à l’époque, j’avais 20 ans. Jean-Pierre Frimbois, le rédacteur en chef de Onze, m’avait surnommé l’Ange vert, et puis c’est resté. J’étais un peu rebelle. Ange, je n’aimais pas !

Vous ne vous reconnaissiez pas dans cette appellation ?J’avais un côté rebelle, un peu anarchiste, je vivais tranquille, en solitaire dans mon chalet. J’étais assez engagé politiquement, donc « Ange » , ça ne me plaisait pas du tout, mais c’est resté. Et même l’image d’ange sur les terrains, ce n’était pas évident. Lorsqu’on allait à certains endroits, quand on tombait sur certains joueurs assez expérimentés… j’ai réussi à me faire respecter au fur et à mesure. Mais aujourd’hui, je prends ce surnom du bon côté, c’est une reconnaissance.


Dans une interview accordé à Football en 1976, vous disiez : « Jamais le joueur Rocheteau ne devra empiéter sur l’homme. » Entre ce que je disais à 20 ans et ce que je pense maintenant… Je voulais dire qu’il y avait d’un côté le footballeur, ma passion. J’aimais m’entraîner, j’aimais être avec l’équipe, être avec les autres joueurs. À côté de ça, j’avais une vie, avec d’autres amis que j’avais gardés, d’enfance ou de lycée. Je suis fidèle en amitié. J’avais deux vies différentes. Peut-être façon Docteur Jekyll et mister Hyde, enfin pas vraiment. J’aimais la musique, les concerts. Dès que j’avais un peu de vacances, je partais aux États-Unis. Pour moi le football, c’était loin. Il y avait une vraie barrière.

Mes parents étaient des paysans de la mer. Mon père était ostréiculteur. On partait en bateau, je vivais près de la mer, de l’océan. Je suis allé au lycée à Royan. C’était une enfance heureuse.

Vous avez beaucoup changé ?J’ai toujours des passions. Quand j’étais footballeur, je disais : « Moi, ce que j’aime c’est jouer et puis, après, j’arrêterai parce que le reste ne m’intéresse pas. » Finalement, je suis resté dans le football parce que j’aime ça, j’aime le foot. J’ai passé des diplômes pour être manager à Limoges pendant deux ans. Je me suis retrouvé à Saint-Étienne finalement comme dirigeant, ça fait cinq ou six ans. C’est vrai qu’à l’époque, lorsque j’étais joueur, je n’aurais pas pensé faire ça après.

Vous êtes heureux aujourd’hui ?Oui, je me sens vraiment bien dans ce que je fais. Je m’éclate avec des gens que j’aime bien. Je suis revenu dans mon club, mes racines, même s’il y a eu le PSG un club qui m’a beaucoup marqué, que j’aime beaucoup, mais Saint-Étienne, c’est mes racines.

Vous aviez un profil atypique, un style atypique, si je dis qu’il s’approchait de celui d’un neuf et demi ?Non, je ne pense pas. J’ai joué dans toutes les équipes de jeunes près à la Rochelle au poste d’avant-centre. Je comptabilisais mes buts après chaque match. Après quand je suis arrivé à Saint-Étienne, j’ai changé, enfin on m’a fait changer. Avec les valeurs d’ici on m’a fait comprendre que le football était un sport collectif. Robert Philippe qui était mon entraîneur pendant ma formation m’a placé ailier droit parce qu’il l’avait ressenti. On jouait en 4-3-3 à l’époque. Un poste que j’ai gardé pendant toute ma carrière à Saint-Étienne. C’est pour ça que j’ai moins marqué qu’au PSG, où je jouais (il hésite) un peu avant-centre, mais ça a évolué. Avec Boubacar et Toko sur les côtés, deux très bons joueurs, j’avais du mal au début, j’ai dû attendre mon septième match pour marquer mon premier but avec Paris. Après l’organisation tactique a évolué puisqu’on a joué en 4-4-2 à partir des années 1980 comme en équipe de France. Et là j’étais un attaquant libre. J’aimais bien aller sur les côtés, mais j’étais un pur attaquant quand même. Je ne revenais pas au milieu. J’étais 9, 7 ou 11.

Vous êtes né le 14 janvier 1955 à Saintes. Quel type d’éducation avez-vous reçu ?Très simple, avec des parents aimants. Une jeunesse heureuse à la campagne. Mes parents étaient des paysans de la mer. Mon père était ostréiculteur. On partait en bateau, je vivais près de la mer, de l’océan. Je suis allé au lycée à Royan. C’était une enfance heureuse. (sourire) Quand j’arrive à Saint-Étienne à 15 ans, ça me change beaucoup. Passer de la côte Atlantique avec l’océan à Saint-Étienne, il y a eu un gros changement. Après j’ai beaucoup aimé Saint-Étienne pour ses valeurs. C’était une ville de mineurs. J’apprécie beaucoup les Stéphanois, le côté très famille.

Ma mère jouait au foot avec une équipe féminine à l’époque. C’était peut-être une des premières équipes féminines.

Parlons famille, justement. Je vous cite : « Dans le football comme en beaucoup d’autres choses, mon père m’a instruit sans me forcer à apprendre, il m’a amené à la découverte. » Une enfance heureuse, mais une enfance de football, ma vie c’était le football. Dès deux ou trois ans, je suivais mon père qui était un bon footballeur de la région. Je le suivais partout. Je n’aimais pas trop au début, je préférais avoir un ballon et jouer à côté. Mais mon père était mon exemple. C’est lui qui m’a appris le football, dans le jardin…

En dehors du foot, quelles valeurs vous a-t-il inculquées ?Mon père n’est pas quelqu’un qui m’expliquait les choses. Pas très causant, mais je le regardais évoluer, sur un terrain de foot comment il se comportait. C’est lui qui m’a appris les choses. Super comportement, jamais un carton jaune, jamais un mot plus haut qu’un autre. Il se conduisait bien.


Quel regard portait-il sur votre carrière ? Vous en parliez ?Très peu. Je savais qu’il était là, qu’il me regardait. On ne se dit pas énormément de choses, mais on sait.

Votre mère et votre sœur tapaient aussi dans le ballon…Oui, ma mère jouait au foot avec une équipe féminine à l’époque. C’était peut-être une des premières équipes féminines. Elle jouait un petit peu, pas beaucoup. Toute la famille jouait au foot, mes oncles, j’étais baigné dedans.

J’aimais la musique anglaise lorsque j’avais 13 ou 14 ans : j’étais plus Rolling Stones que Beatles quand même. Après je me suis tourné vers la musique américaine, californienne et tous les courants musicaux de l’époque.

À cette époque, avoir une maman qui joue au foot, c’est rare…Elle aimait le foot, elle faisait quelques matchs, il n’y avait pas de championnat. Je n’en ai que des vagues souvenirs, mais elle aimait le football surtout. Mon père me parlait de Kopa, mais moi durant toute mon enfance je n’ai jamais vu de match professionnel. On était au bord de l’océan. Mon premier match je l’ai vu à 14-15 ans je crois, à Bordeaux pour voir l’un des derniers de Kopa. J’ai regardé les premières Coupes du monde avec Pelé. Mais les joueurs professionnels ne me faisaient pas rêver. C’était plutôt la musique. À partir de 11-12 ans j’aimais les Beatles, les Stones. Mes idoles étaient dans la musique.

Vous auriez pu être musicien ?Oui, j’aurais aimé, mais bon, j’ai choisi autre chose. J’ai essayé, j’aimais la musique, mais je n’étais pas un grand musicien.

Vous aimiez la country aussi. D’où ça vient ?Influence musicale, culturelle, des rencontres. J’aimais la musique anglaise lorsque j’avais 13 ou 14 ans : j’étais plus Rolling Stones que Beatles quand même. Après, je me suis tourné vers la musique américaine, californienne et tous les courants musicaux de l’époque. J’étais plus country rock du sud des États-Unis, les Allman Brothers. Tous les étés pour mes vacances, je partais aux États-Unis pour des trips, voire des concerts.


Un voyage vous a-t-il plus marqué qu’un autre ?Moi, c’était la Californie. J’ai fait toute la West Coast. Pacific One, en voiture, c’est ce que j’adorais. C’était le rêve américain.

J’aurais bien aimé jouer aux États-Unis. J’ai beaucoup lu Kerouac.

Racontez-moi.Je partais avec des amis, ma fiancée de l’époque. On partait à l’aventure. Je ne réservais pas. Ce n’était pas le Club Med. J’arrivais à San Francisco, on descendait et on ne savait pas trop où on allait. J’aimais bien cette liberté.

Pourquoi ne pas avoir fini votre carrière aux États-Unis ?J’y ai pensé, mais ce n’était pas le moment. Il y a eu une période où plusieurs grands joueurs – Pelé, Cruyff – sont arrivés, mais c’était avant moi. Le football américain voulait amener des grandes stars. Dans les années 1980, il a plongé, mais j’aurais bien aimé.

D’où vient ce côté hippie ? Il vient du phénomène de société ou de votre éducation ? J’ai entendu que vous avez beaucoup lu…Kerouac, c’était l’écrivain du mouvement hippie. J’aimais bien, mais je voyais ça de loin, j’étais footballeur. Rigueur et tout. Je ne pouvais pas partir dans des trucs… J’aimais bien aller voir des concerts, mais j’avais une vie de footballeur réglée. Pendant les vacances, je faisais ce que j’avais envie de faire, j’étais moi-même.

À la base, la carrière professionnelle n’était pas un de vos objectifs. Est-ce qu’il y a eu un événement décisif ?Oui, il y a eu un événement. Je ne pensais pas du tout aller dans un club pro. Je jouais dans un petit village, après je suis allé à la Rochelle qui était mieux organisée. C’est là que j’ai été repéré à 14-15 ans, par Saint-Étienne et Nantes, deux clubs formateurs, après avoir fait des sélections. Ils étaient venus au concours des jeunes footballeurs à Paris. Pierre Garonnaire, recruteur de l’époque, a rencontré mes parents durant l’été pour me faire signer. Mais moi, je ne voulais rien décider. J’étais bien chez moi. Le président de la Rochelle arrive au même moment. Il devait savoir que Pierre Garonnaire venait. Il m’avait pris sous sa coupe, était un peu paternaliste. Il y a eu une altercation entre les deux et j’ai dit à ce moment-là : « Je pars à Saint-Étienne. »

Vous arrivez en 71 comme stagiaire. Quels sont vos souvenirs ?La rencontre de grands joueurs, notamment Salif Keita. Je n’avais pas d’idole, mais certains m’avaient marqué. Keita était sûrement le plus grand joueur de Saint-Étienne. Il était adorable, vraiment gentil avec moi. Après je n’avais pas trop contacts avec eux. Je suivais des études en même temps. Mes parents voulaient absolument que j’aille au lycée, je m’entraînais le soir. Je m’étais fait pas mal de copains lycéens, je n’ai pas eu une vie de footballeur pendant deux ou trois ans. J’avais une vie d’étudiant, ce qui n’était pas plus mal. Ça m’a un peu desservi sur le plan sportif, j’ai pris un peu de retard. J’ai eu le sentiment par rapport à certains jeunes du centre de formation, de vivre une jeunesse normale.

Vous étiez impressionné d’arriver à Saint-Étienne ?Non, je ne suis pas le genre à être impressionné, mais respectueux.

Vous avez eu pas mal de blessures en début de carrière, puis vous vous révélez dans le 4-3-3 de Robert Herbin en 75-76.Je jouais avant, j’ai commencé à 17 ans. J’avais fait des matchs, mais pas régulièrement. Déjà parce que j’étais au lycée, mais aussi parce que je pars au bataillon de Joinville faire l’armée. Je devance l’appel à 18 ans. Ça m’a bien servi parce que pendant un an, j’ai bien bossé. Ce n’est que par la suite que je suis vraiment entré dans l’équipe.

Dans cet article :
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Propos recueillis par Flavien Bories

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