- League One
- J28
- Wimbledon-Morecambe
Toumani Diagouraga : « La culture anglaise m’a pris aux tripes »
Avec 559 apparitions sous la tunique de douze écuries différentes, Toumani Diagouraga est devenu l’un des joueurs français les plus capés de l’histoire des divisions inférieures d’Angleterre. Légende à Brentford et actuellement à Morecambe (D3), le milieu de terrain de 34 ans revient longuement sur son aventure en terres britanniques. Entre un accident qui a failli l’empêcher de réaliser son rêve, les entraînements sur le parking ou encore les trajets dans les petits villages, entretien avec celui pour qui les ligues inférieures d'outre-Manche n’ont plus aucun secret.
Le 9 janvier dernier, tu croisais la route Tottenham en FA Cup, avec ton club de Morecambe (défaite 3-1). Est-ce que tu appréhendes ces matchs comme une revanche ? Non, pas vraiment. Quand tu es sur la pelouse, tu penses au match et à tout le travail technique et tactique que tu as fait pendant la semaine. Tu penses à la mise en place des instructions de ton entraîneur. J’avais aussi dans la tête les mots de certains supporters qui nous ont dit plus tôt dans la semaine que l’on pouvait créer l’exploit. J’ai beau revenir de loin et avoir connu des événements tragiques, j’étais concentré uniquement sur la rencontre.
Parmi ces « événements tragiques », il y a cet accident de voiture qui aurait pu il y a 20 ans t’éloigner complètement de tout ça… J’avais 15 ans. J’étais avec des amis à moi à Corbeil-Essonnes. On était dans la rue, tranquille, et on a vu le bus passer. On devait absolument le prendre, et pour essayer de le choper, j’ai couru. Malheureusement quand j’ai traversé, il y a une voiture qui est arrivé de l’autre côté. Je ne l’ai pas vue, et l’accident est vite arrivé. J’ai été violemment percuté. Ensuite, je me rappelle être au sol, sur la route. Mon épaule était complètement déboitée. Sur le coup; je n’avais pas vraiment mal. Mais ça, c’était parce qu’on ne me touchait pas encore. J’étais choqué de ce qui m’était arrivé, et mes potes ont appelé l’ambulance. Quand ils m’ont fait entrer dans le camion, ils ont dû se mettre à plusieurs pour maintenir mon bras. Il était quasiment disloqué du corps et le lien entre mon épaule et mon bras était très fragile. J’arrive à l’hôpital et pendant tout le trajet, ils font attention à mon bras. Quand il me mette sur le lit d’urgence et qu’il le laisse tomber, c’était horrible. Je n’ai jamais eu aussi mal de ma vie.
À ce moment-là, tu es au centre de formation du Paris Saint-Germain…(Il coupe) Alors ça, c’est un truc de fou ! Je n’ai jamais joué au PSG. (Rires.) On me l’a déjà fait remarquer, mais oui, je ne comprends pas pourquoi sur tous les sites, on a mis que j’ai été formé là-bas. C’est très étrange, mais, par exemple, c’est écrit noir sur blanc sur ma page Wikipédia. À chaque fois, ça me fait beaucoup rire. Avant de venir en Angleterre, je jouais à Évry. Je suis aussi passé par Brétigny et Corbeil. Bon, j’ai fait quelques essais à droite à gauche dans des clubs français, mais ce n’était jamais à Paris.
Comment on fait pour retrouver les terrains après un tel accident ?C’est compliqué, c’est long, mais en fait, j’ai toujours été déterminé à faire du football. Toujours. J’avais la rage, et ça m’a donné plus envie de revenir. Physiquement, ça allait mieux après quatre mois. Quand psychologiquement, je suis passé complètement à autre chose – même si on n’est jamais complètement rétabli de ça – j’étais reparti. Cinq mois après, j’étais sur les terrains. J’aimais trop le foot. Dans ma chambre d’hôpital, chez moi, pendant tout ce temps-là, la seule chose à laquelle je pensais, c’était de taper le ballon.
Tu en es sorti plus fort ?Oui. Grandement. En fait, j’ai appris une leçon. Aujourd’hui, je fais par exemple très attention quand je traverse avec mes enfants. J’en sors avec plus de mental, plus fort. Dès que je quitte l’hôpital, il se passe seulement quelques mois et j’ai filé à Watford. Je n’ai pas eu le temps de paniquer.
Comment ton transfert s’est-il ficelé ?Watford avait organisé des essais aux Ulis, avec tous les meilleurs joueurs U16 et U18 de la région. J’étais sur la liste, mais les organisateurs ne savaient pas où j’habitais, comment me contacter, donc j’étais à deux doigts de ne pas participer à cette sélection. Dans l’équipe de scouts de Watford, il y avait un Français. Un jour, il va chez le coiffeur, un peu avant la journée de détection. Un de mes amis était dans le salon, par hasard. Le gars parle au barbier et dit : « Putain, j’ai tout le monde, mais il me reste un gars à trouver, c’est Toumani Diagouraga. » Mon pote lui a dit direct qu’il me connaissait. Le recruteur s’est retourné et lui a dit : « Non, tu mens ? » Et finalement, mon pote m’appelle, et j’ai été aux essais sans courrier, sans mail, sans rien. En mode bouche-à-oreille.
Et donc tu prends la direction des Ulis.C’était un samedi. Je m’en rappelle. Moi, j’étais sélectionné pour jouer dans la catégorie des moins de 16. Et après vingt minutes, ils me disent de sortir. Sur le coup, je n’ai pas compris pourquoi, mais, en fait, ils voulaient que joue avec les moins de 18. Donc j’ai joué avec les plus grands, ça s’est très bien passé. Derrière, ils m’ont demandé mes coordonnées – il fallait bien qu’ils les aient un jour – et un peu plus tard dans l’année, ils m’ont envoyé par courrier une convocation pour faire un test en Angleterre. Là-bas, on fait deux matchs amicaux. Un contre les jeunes de Fulham, et un autre contre ceux d’Arsenal, et j’ai cartonné. Le contrat est arrivé plusieurs mois après.
À ce moment-là, tu te dis que tu viens de réaliser un de tes plus grands rêves ?En vrai, je m’y attendais. En fait, je ne sais pas trop comment l’expliquer, mais beaucoup de membres de ma famille ont joué au football. J’ai un oncle qui a joué en Italie pendant dix bonnes années. Un autre a joué pendant longtemps en France en National. D’un côté, je devais faire ma propre aventure et réaliser cet exploit, mais de l’autre, j’avais l’impression de suivre les pas de ma famille. Tout le monde savait que j’étais bon, mais je ne pense pas qu’ils s’attendaient à ce que je file en Angleterre dès cet âge-là. J’étais tellement heureux, ma mère aussi.
Comment se passent tes débuts en Angleterre ?Au départ, bien. Mais ça n’a pas duré très longtemps. J’avais 16-17 ans, et Ray Lewington, l’ancien adjoint de Roy Hodgson à Crystal Palace et en sélection, était l’entraîneur de l’équipe première. Je commençais à voyager avec eux et je finis par disputer mon premier match de Championship, c’était à l’extérieur. J’étais le seul du groupe à ne pas encore avoir un contrat pro. Sean Dyche, aujourd’hui l’entraîneur de Burnley, vient me voir. Il jouait encore à cette époque, défenseur central. Il me dit : « Toums tu vas jouer ? » Je lui réponds que oui, et il ajoute : « Mais si on gagne, tu ne vas pas toucher la prime… » Il est allé voir le coach pour lui dire de faire quelque chose. Finalement, on a gagné, et j’ai touché la petite prime de 500 livres sterling. Ma première.
Ça se gâte quelques semaines plus tard, quand Ray Lewington est limogé et qu’Aidy Boothroyd le remplace.Oui, il ne me faisait pas confiance. En même temps, j’étais très jeune. Je pars alors en prêt à Swindon Town en League One. Ça ne m’a pas du tout énervé. Tout ce que je voulais, c’était jouer au football. Et puis que ce soit en France ou ailleurs, je préfère et je préférais largement jouer à ce niveau-là à 18 ans, qu’en réserve ou en équipe jeune d’un gros club. Tout le monde pense que le foot anglais, surtout dans les ligues inférieures, c’est du kick and rush, où les supporters sont tous alcoolisés, où le football est juste un loisir, pas professionnel… Mais c’est tout l’inverse. Une fois que tu es dans le bain, tu es obligé de changer d’avis. Un exemple simple : en présaison, on a joué Nice, leur équipe A, et on les a battus. L’image que l’on se fait de ces championnats n’est pas la bonne.
Ensuite, c’est quinze années de bourlingue entre Rotherham, Hereford, Peterborough ou encore Portsmouth. Il n’y a qu’à Brentford que tu as pu véritablement poser ton sac à dos (246 matchs entre 2010 et 2016). Qu’est-ce qui te plaît dans ce monde-là ?Au début, j’ai été très vite surpris. À 18 piges, je ne m’attendais pas à ce que les stades soient autant blindés, que la ferveur soit aussi immense. La culture anglaise m’a pris aux tripes. Aujourd’hui, j’en suis complètement fou. Aujourd’hui, il me faut deux heures de voiture pour aller et revenir de l’entraînement. J’habite à Harrogate, pas loin de Leeds, et pour aller à Morecambe, je dois passer par de nombreux petits villages. Parfois, ça prend même plus de temps quand il y a des tracteurs ou des vaches sur la route. Enfin, les vaches, ce n’est pas encore arrivé, mais, la dernière fois, je les ai évitées de peu, donc ça ne devrait pas tarder. (Rires.) Je suis devenu un pro dans le doublage des tracteurs dans les toutes petites routes. Parfois même, je téléphone à ma femme pendant que je roule, et ça coupe tout le temps avec le réseau pourri de certains villages. Parfois c’est compliqué, mais je changerais ça pour rien au monde.
Bien que tu n’aies jamais joué en Premier League ?J’aurai toujours ce petit regret. Mais à chaque fois que je suis allé dans des divisions inférieures, c’était pour qu’on me voie, que les recruteurs m’observent. Ça ne sert à rien d’être dans un grand club pour ne pas jouer. La visibilité est importante, et j’en avais plus devant des milliers de supporters et beaucoup de caméras en League Two avec Hereford United (club disparu en 2014 à la suite d’une faillite financière, NDLR) que sur le banc de Watford en Championship. Avec Brentford en 2015, j’ai perdu les play-offs pour jouer dans l’élite anglaise. C’est dommage, mais je suis heureux quand je regarde mon parcours.
Quel est le plus beau souvenir de ta carrière ?J’en ai beaucoup, énormément, mais je me souviens d’un match face à Leeds, chez eux, avec Hereford en 2009. C’était un des derniers matchs du championnat de League Two. On était premiers, et dans le week-end, tous nos concurrents directs avaient perdu. En cas de victoire, on montait officiellement, alors qu’on n’avait pas trop de moyens. Pour te dire à quel point : la veille de la rencontre, on n’avait pas d’endroit où s’entraîner, donc on s’est retrouvés sur un parking. Le coach avait mis des coupelles alors que des voitures circulaient encore. Certains de mes coéquipiers ont frôlé la blessure en tombant sur le béton. Finalement, le lendemain, on a gagné 3-0 et on est montés dans la division supérieure.
Tu n’as jamais eu l’occasion de revenir en France ? Jamais. Jamais un club français n’a toqué à la porte. J’aurais aimé revenir pour la famille, mais surtout parce que je suis français. Mais ça ne s’est jamais fait, comme si j’étais destiné à faire toute ma carrière en Angleterre, puisque jamais un club d’un autre pays m’a contacté. Ma plus belle aventure est à Brentford. Je jouais devant presque 18 000 supporters tous les week-ends. Ça veut tout dire. Le projet était fou, et c’était un bonheur aussi de devenir le joueur de couleur qui a disputé le plus de matchs dans l’histoire du club. J’en suis si fier.
Les années passant, te sens-tu plus anglais que français ?Français ! Même si je pourrais avoir le passeport anglais dans peu de temps. Ma femme me l’a demandé parce qu’avec le Brexit, ça devient galère de rentrer sur le territoire britannique. Mes souvenirs sont plus en Angleterre. Mes enfants sont anglais, nés d’une mère anglaise avec qui je suis marié et voilà 17 ans que je suis ici. C’est pour ça que ça fait plaisir de croiser des Français. Comme Tanguy Ndombele que j’ai vu le week-end dernier quand on était à Tottenham. On a discuté un peu, et il m’a donné son maillot après le match.
Tu lui as filé le tien ?Non, il n’en a pas besoin. (Rires.)
Propos recueillis par Matthieu Darbas