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Toulouse : la Coupe, mais pas d’Europe ?
Toulouse savoure à peine sa Coupe de France, qui consacre la renaissance du club, que déjà de sombres augures bruissent dans les oreilles des supporters. Les Violets pourraient être privés d'Europe, en raison des règlements de l'UEFA qui, pour l'instant, bloquent les multipropriétés. Oui, le foot a bien changé en 66 ans, le TFC aussi...
Le peuple toulousain a communié comme il se doit autour de cette victoire au Stade de France et au Capitole contre les Nantais en finale de Coupe de France. Une belle histoire, de celles qui nous ont toujours fait aimer cette compétition à part, depuis ses débuts à la fin de la Première Guerre mondiale. Un trophée soulevé par un club qui ressuscite dans l’élite, mais qui par ailleurs ne peut guère songer en l’état à remporter le championnat ni même d’une place en C1. Car au bout de ce sacre, en bonus, une place en Ligue Europa apporte la cerise sur le gâteau. Le conte de fées semble parfait, de quoi réenchanter un foot français morose, plombé par ses échecs sur la scène européenne et la déliquescence du PSG. Seulement une ombre se dessine petit à petit : Toulouse pourrait fort bien être privé de cette reconnaissance légitime obtenue sur le terrain. En cause, son propriétaire américain, le fonds d’investissement américain RedBird Capital Partners, également actionnaire majoritaire de l’AC Milan depuis 2022. Or si les Rossoneri, qui affrontent bientôt dans une demi-finale au goût de derby l’Inter, se qualifient pour une quelconque compétition européenne, la ville rose risque, en toute logique administrative, de devoir céder sa place en C3.
En effet, l’UEFA tente de suivre le rythme des évolutions de plus en rapides et complexes du capitalisme sportif sur le Vieux Continent, notamment en y mettant de timides limites, par exemple via son très douteux fair-play financier. Il s’agit de donner le change (auprès du public et des diffuseurs) et surtout l’impression de garantir une équité sportive, protégée de toute potentielle magouille. En l’occurrence, pour comprendre la situation toulousaine, il faut se pencher sur l’article 5 du règlement de l’UEFA : « Aucun club participant à une compétition interclubs de l’UEFA ne peut directement ou indirectement : détenir ou négocier des titres ou des actions de tout autre club participant à une compétition interclubs de l’UEFA, être membre de tout autre club participant à une compétition interclubs de l’UEFA, être impliqué de quelque manière que ce soit dans la gestion, l’administration et/ou les activités sportives de tout autre club participant à une compétition interclubs de l’UEFA, ou détenir un quelconque pouvoir dans la gestion, l’administration et/ou les activités sportives de tout autre club participant à une compétition interclubs de l’UEFA. » Ces interdictions ont pris une autre ampleur au fur et à mesure des transformations des compétitions européennes, en particulier avec le principe de « reverser » en cascade, d’une compétition à l’autre. Des Milanais malheureux en C1 pourraient se consoler avec la virtuelle 5e place en Serie A en Ligue Europa, où le TFC devrait pour sa part atterrir.
Ce qui ferait le bonheur du Téf’, ferait le malheur du foot vrai
Dans un environnement économique où la multipropriété se généralise, sous diverses formes et configurations, cette rigidité pseudo-morale devient un tantinet handicapante pour les affaires. Au point qu’Aleksander Čeferin, président de l’UEFA, obsédé par la menace de la Superligue, avait confié lors d’une interview accordée à Gary Neville sur la chaîne Youtube The Overlap que ce système allait être étudié prochainement et sûrement révisé (à l’instar du fair-play financier, et pour les mêmes raisons opportunistes). En attendant, il s’imposerait que les propriétaires américains procèdent à quelques adaptations au sein de leur organigramme, comme s’y était résolu auparavant Red Bull. On doute néanmoins qu’ils soient prêts à consentir ce type d’efforts, le rapport de force entre ces deux clubs semblant bien trop disproportionné. Dans ce scénario, la première équipe de Ligue 1 qualifiée en Ligue Europa Conférence récupérerait le ticket d’entrée laissé vacant en Europa.
Pourtant, le président du Toulouse FC, Damien Comolli, tente de rassurer les supporters et s’est « engagé personnellement sur le fait que le club sera en Coupe d’Europe l’année prochaine. (…) On a envoyé tous les documents à la Fédération française de football pour obtenir la licence de club UEFA. On a aussi eu des discussions avec la FFF et ils nous ont dit qu’on avait absolument tous les prérequis. Après, si l’UEFA a des questions à nous poser, on sera bien évidemment à leur disposition. » Cet épisode illustre en tout cas la réalité du foot pro actuel. Le TFC serait aussi victime de l’hypocrisie de l’UEFA que de sa propre logique de construction économique. La joie des Indians Tolosa représente de ce point de vue un précieux anachronisme. Ils pourront toujours préparer un tifo de protestation avec la célèbre phrase de Roland Barthes : « Tout d’un coup, il m’est devenu indifférent de ne pas être moderne. »
Par Nicolas Kssis-Martov