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Gabriel Suazo, un Mapuche chez les Indians
Arrivé sans faire de bruit cet hiver à Toulouse, Gabriel Suazo, latéral gauche chilien de 25 ans, est sûrement l’un des transferts qui ont fait le plus parler, chez lui, au ChilI. Portrait de celui qui a fait exploser le compte Instagram du TFC.
L’Estadio Monumental est vide. Gabriel Suazo, masque sur le nez, assiste à la déroute depuis le banc. Un de ses anciens coéquipiers, Ramon Fernandez, capitaine d’O’Higgins, ouvre le score d’une volée parfaitement exécutée, 0-1. À la télé chilienne, on voit les « hinchas » du club de Rancagua exulter depuis une discussion Zoom. Ce 9 septembre 2020, cela fait moins de deux semaines que le championnat chilien a repris dans un pays encore confiné. Et Colo-Colo se retrouve dans la zone de relégation à l’issue de la 10e journée. Historique pour un club qui n’a connu que la première division. Muets face à O’Higgins, Los Albos le restent lorsque les micros de la presse se tendent. Quelques jours plus tard, c’est un jeune de 23 ans qui assume. « Il faut être matures, convainc Suazo. Nous sommes des joueurs professionnels et nous devons savoir passer à autre chose. On m’a toujours répété depuis petit que “l’Indien mord par derrière”. » Une résilience peut-être naïve, mais pas anodine puisqu’au bord du précipice, Colo-Colo se sauve, le 17 février 2021, lors d’un match de barrage que certains célèbrent comme un trente-troisième titre de champion. Gabi, brassard au bras, arbore un sourire fier, le même qu’il aura un an plus tard, pour la vraie « Estrella 33 ».
Un nouvel espoir
Été 2006. Comme chaque année, les terrains de Colo-Colo accueillent le tournoi interécoles de football. Dans l’équipe de Colo-Colo Cordillera, filiale du Cacique dans le sud de Santiago, un gamin de 9 ans fait parler sa vitesse. « Lizardo Garrido, notre responsable du recrutement, l’a directement repéré, raconte Ricardo Ramos, infirmier du centre de formation depuis plus de 50 ans. Et il a tout de suite voulu l’intégrer au centre. » C’est un petit garçon « frêle, très rapide et à l’aise balle au pied » qui arrive à la cantera (centre de formation), se souvient Luis Perez, entraîneur de la catégorie U11 à l’époque. Quand celui-ci intègre son groupe, le coach ne peut que confirmer l’instinct qu’a eu son collègue du scouting. « Cela se voyait qu’il allait être un joueur professionnel, un élément important pour le club. Il avait toutes les qualités pour réussir, et à n’importe quel poste. »
Parce qu’avant de s’imposer comme la référence à son poste au Chili, Suazo était, comme bon nombre de latéraux reconvertis, un joueur offensif. « Depuis tout petit, il jouait ailier gauche, c’était un très bon centreur, rappelle Luis Pérez, qui l’a eu sous ses ordres de ses 11 à ses 13 ans. Il était très concentré et au point tactiquement. Puis il a commencé à reculer sur le terrain et a appris à jouer latéral gauche et milieu de terrain. » Une polyvalence remarquée et un replacement presque naturel. « Ça lui convenait beaucoup mieux, poursuit Luis Pérez, il ressortait facilement le ballon et avec sa très bonne lecture du jeu, il était au-dessus. »
Cœur indien
Un pied gauche calme comme outil, un état d’esprit irréprochable comme moteur. « C’était un garçon qui était toujours prêt à faire des sacrifices, note Ricardo Ramos. Il était capable de répéter les efforts. » Si on voulait être réducteur, on pourrait résumer Gabriel Suazo au mythe de la grinta sud-américaine. Certes, son agressivité fait de lui un vis-à-vis exténuant, mais c’est bien plus que ça. Et c’est à la fin de l’adolescence que ce caractère se révèle. « Aux alentours de 16 ans, il a changé. Il est devenu un vrai leader, développe Luis Pérez. C’est lui qui organisait ses coéquipiers. Ses entraîneurs comptaient beaucoup sur ses qualités humaines. » Gabi devient Gabriel, un joueur plus mature. « Dans les vestiaires, il prenait la parole pour préparer la lutte, comme on dit chez nous, complète en riant Ricardo Ramos. Il représente l’écusson de Colo-Colo : un indien Auracan (ou Mapuche, NDLR), un guerrier. Gabriel est un de ces guerriers. »
Un petit guerrier veut rapidement faire ses armes. Suazo fait sa première apparition avec l’équipe première en Coupe du Chili, le 19 juillet 2015, à 17 ans. Couteau suisse sur son flanc gauche, il ne tarde pas à gratter des minutes. Pablo Guede lui fait confiance 17 fois lors de la saison 2016-2017, parfois en tant que latéral, parfois au milieu. L’année suivante, à seulement 21 ans, il joue 27 matchs toutes compétitions confondues. Il est installé et ne descendra jamais en dessous de ce total.
De honni à « Capi »
En 2020, Suazo n’est déjà plus ce petit jeune du centre qu’on voudrait voir percer. Il est un indéboulonnable. Son palmarès s’est garni : deux titres de champions (2015, 2017), autant de sacres en Coupe du Chili (2016, 2019) et un trophée de Supercoupe du Chili (2018). Il entre dans sa sixième année avec l’équipe première, sûrement la plus compliquée de sa carrière. Avant que la pandémie de Covid-19 ne frappe le pays, la situation est critique. Ricardo Ramos, depuis le centre de formation, voit le Cacique sombrer. « Colo-Colo ne gagnait plus et était coincé au bas du classement, c’était une période très difficile pour l’ensemble du club. » L’arrêt du championnat entre mars et août 2020 n’y change rien. Dès la 10e journée, Los Albos sont relégables, et Suazo n’est pas épargné. « C’était un joueur formé au club, un des cadres de l’équipe, et il faisait partie de la sélection, donc forcément les critiques s’abattaient souvent sur lui parce qu’on en attendait beaucoup », regrette Luis Pérez. Sur les réseaux sociaux, les supporters demandent à ne plus le voir sur le terrain, le petit garçon du pays est presque renié, il ne lui reste plus qu’à s’accrocher. « Je me souviens rentrer chez moi après les matchs et m’effondrer en pleurs, retrace le latéral, encore les larmes aux yeux, dans une interview pour la chaine Youtube du club. Comme quand j’étais enfant. »
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El Eterno Campeon est alors proche du drame ce 17 janvier 2021, lors du match de barrage contre Universidad de Concepción. Il faut un miracle pour éviter la relégation. Il arrive dès la 19e minute et s’appelle Pablo Solari, un ami de Gabi. L’Argentin n’a pas encore soufflé ses vingt bougies qu’il sauve déjà, d’un but en solo, le club le plus populaire du Chili. Déclic ? Signe du destin ? En tout cas, il n’en faut pas plus pour que Suazinho retrouve ses jambes. La saison suivante, il hérite du capitanat et s’installe définitivement dans le couloir gauche de la défense. Ses fulgurances offensives étonnent autant que sa solidité défensive. Il est désormais le « Capi » d’une équipe qui gagne tout. La Coupe du Chili, la Supercoupe du Chili et surtout, un soir d’octobre 2022, le championnat. En fin de contrat, Gabriel aspire à changer d’air. Alors, ce 30 octobre, lorsqu’il soulève le Huemul de Plata, dans un Monumental l’acclamant, il a presque déjà fait ses adieux à son club de toujours.
Des envies d’Europe
Dans les petits papiers du Beşiktaş ou de l’Olympiakos, c’est dans ceux de Damien Comolli, spécialiste des bons coups à moindre coût, qu’il termine. Le président du TFC a encore fait confiance à la data pour dénicher le gaucher chilien, qu’il fait signer mi-janvier. Pour l’instant, il a eu le nez fin. Déjà, depuis sa première dans le groupe, Suazo n’a perdu qu’un seul de ses cinq matchs sous la tunique rose, contre le PSG (2-1). Il semble s’être parfaitement intégré au 4-3-3 de Philippe Montanier, dans le rôle de latéral gauche qui lui convient le mieux. Dans les vestiaires, une relation s’est déjà tissée avec Rafael Ratao, le Brésilien. Après tout, Luis Pérez avait prévenu : « Quand ils sont venus chercher Gabriel, on n’était pas surpris. Il ressemble à ces latéraux brésiliens qui sont bons offensivement et techniquement. » Il a aussi ramené avec lui toute sa bande chilienne, il n’y a qu’à regarder les commentaires du compte Instagram du Téf, envahis de « Suazinho » et de cœurs noirs et blancs. Le Mapuche s’est déjà approprié le Stadium, et a tout pour ravir les Indians.
Par Simon Magny
Tous propos recueillis par SM