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Shavy Babicka, parce qu’il vient de loin

Par Tom Binet

Belle surprise du début de saison toulousain, Shavy Babicka entend bien s’imposer en Ligue 1, et ce, dès cette saison. Un énième défi de taille pour un attaquant qui s’est exilé du Gabon dès l’âge de 18 ans, avant de connaître un parcours peu commun pour tracer son chemin dans le monde du football.

Shavy Babicka, parce qu’il vient de loin

Sur les bords de la Garonne, le nom de Beto Márcico résonne comme un mythe, symbole d’une période dorée malheureusement révolue. Alors quand un joueur s’offre le luxe d’égaler un record détenu par la légende violette venue d’Argentine, l’événement ne peut être totalement anodin. C’est bien ce qu’a réussi Shavy Babicka au fil d’un début de saison fracassant, qui l’a vu inscrire trois buts en trois entrées en jeu. Les trois premiers pions version 2024-2025 d’un TFC orphelin de Thijs Dallinga. Six mois après son arrivée de Chypre dans un relatif anonymat, le globe-trotter entend bien passer la seconde dans une ville où il assure se sentir bien et commence à avoir ses repères. « L’objectif cette année, c’est de faire mieux. Je n’avais plus d’excuses, j’ai eu le temps de m’adapter. J’ai essayé de tout mettre en place pour faire une magnifique saison parce que j’ai beaucoup à prouver dans ce championnat », lance-t-il d’emblée au bout du fil. Si depuis ce départ tonitruant le bonhomme reste sur cinq rencontres sans marquer, celui qui affirme se sentir proche d’un certain Yann Gboho depuis qu’ils ont débarqué ensemble sur l’île du Ramier a bien l’intention de saisir, encore et toujours, sa chance.

Au quartier, les grands me disaient que j’étais talentueux. Et à un moment de ma vie, il a fallu choisir entre les études et le foot. J’ai décidé de me consacrer au foot, même si ma maman n’a pas voulu.

Shavy Babicka

PK9, langue de Shakespeare et débrouille

Pas grand-chose ne prédestinait pourtant le gamin du quartier PK9 de Libreville à se faire un nom dans l’Hexagone. Seul indice pour imaginer le destin du jeune Shavy : sa passion pour le ballon rond depuis gamin. « Au quartier, les grands me disaient que j’étais talentueux, assure-t-il des années plus tard. Et à un moment de ma vie, il a fallu choisir entre les études et le foot. Au pays, ça ne paye pas vraiment comme en Europe, mais j’ai décidé de me consacrer au foot, même si ma maman n’a pas voulu. » Problème : alors que l’attaquant n’a que 18 ans, le championnat gabonais est interrompu pour des soucis administratifs. Pas question pour autant de perdre du temps : il faut jouer pour progresser. Direction donc le Rwanda et le club Kiyovu Sports pour s’aguerrir. « Tout a démarré pour moi à ce moment-là, rejoue-t-il. Nous sommes en janvier 2019, et Shavy Babicka commence son parcours dans le monde du football professionnel. Je me suis dit : “Peu importe le pays, tant que ça joue.” La première chose que j’ai apprise là-bas, c’est à vivre seul. C’était plus mental qu’autre chose. J’ai aussi appris à parler anglais. »

Malheureusement, l’expérience tourne court. La faute au Covid-19, qui vient interrompre la montée en puissance du jeune apprenti footballeur. « Je suis resté un an et demi sans jouer. Par la suite, je me suis retrouvé en Turquie pour me remettre en forme dans un camp d’entraînement. » Sur place, le futur Toulousain est repéré par le FC Khimki, pensionnaire de première division russe et participe à un tournoi de présaison avec le club… avant de bifurquer vers Chypre et l’Aris Limassol. Il raconte : « C’était un tournoi à quatre équipes, il y avait notamment le Rubin Kazan de Khvicha Kvaratskhelia et je marque contre eux. Mais comme le président de l’Aris Limassol est biélorusse et connaît des gens en Russie, il me propose de rejoindre son club. Avant d’aller à Chypre, je ne savais pas où c’était. La première saison a été normale, l’apprentissage, puis la deuxième je crois avoir tout cassé là-bas. »

« Tu t’ouvres encore plus au monde »

Six mois de bonus plus tard, l’homme et le joueur ne sont plus totalement les mêmes. L’heure est venue pour lui de voir s’il a les épaules pour aller voir encore un peu plus haut. Alors quand le Téfécé, tenant du titre de la Coupe de France et qualifié en Ligue Europa, se déplace jusqu’aux confins de la mer Méditerranée pour l’observer, il ne faut pas bien longtemps à l’intéressé pour faire à nouveau ses bagages, en janvier dernier. « J’avais le sentiment d’avoir tout accompli à Chypre, affirme-t-il. Toulouse est un grand club, avec une histoire. J’avais regardé les joueurs qu’il y avait ici, que des jeunes de ma génération, et je me sentais prêt à relever un nouveau défi. » Définitivement convaincu par son coéquipier Steve Yago, formé au pied du Stadium, Babicka saute le pas et vient ajouter son vécu au sein d’un vestiaire déjà largement cosmopolite. « D’où je viens, il y a toujours eu beaucoup de nationalités mais comme on dit, le football a un seul langage. Ça crée beaucoup de liens et fait grand bien à l’équipe. »

Surtout, le nouveau n°80 violet commence à avoir l’habitude de rouler sa bosse avec toujours en tête l’objectif de faire lever les stades et partager sa joie. « Sur le plan de la vie, ça m’a fait mûrir, dit-il à propos de ce parcours inhabituel. J’ai pu découvrir de nouveaux horizons, de nouvelles cultures, une nouvelle langue… Tu t’ouvres encore plus au monde. Par rapport à mon jeu, j’ai appris beaucoup de choses parce que tu ne tombes pas forcément sur des coachs avec la même philosophie de jeu. Au fur et à mesure que tu assimiles un nouveau déplacement, une nouvelle rigueur, tu regroupes tout ça et ça donne un bon cocktail qui te fait t’améliorer en tant que joueur. » Sous les ordres de Carles Martinez Novell, le sprinteur a d’ailleurs dû se réinventer en appréhendant notamment la fameuse « pocket » chère au tacticien catalan. « Ce jeu entre les espaces, ce n’était pas vraiment mon fort. Je me base surtout sur ma première qualité qui est la vitesse, donc je préfère jouer le long de la ligne. J’ai essayé de m’adapter à comment il veut que je joue. »

Distributeur de sourires

À l’image de son début de saison réussi, l’international gabonais semble avoir franchi un nouveau cap. Encore un, comme l’illustrent ses deux buts inscrits avec les Panthères lors des deux dernières trêves internationales, qui l’ont vu devenir un titulaire de plus en plus indiscutable avec la sélection. « Je ressens cette évolution. Il y a beaucoup de choses que j’acquiers au fil du temps. Je ressens ce progrès au fonds de moi, et les performances suivent », se réjouit-il. Aux côtés de Pierre-Emerick Aubameyang, Babicka est bien parti pour donner du bonheur à son pays en le qualifiant de nouveau pour une CAN. « Pierre, c’est un grand frère, mais d’abord une idole. Aux entraînements, j’essaie de regarder comment il se déplace, les appels qu’il fait. J’apprends beaucoup sans même lui demander, se réjouit-il. Il me parle aussi, parce qu’il se reconnaît en moi dans la vitesse, et comme il a basé sa carrière là-dessus, il y a beaucoup de points qu’il m’a cités que j’essaie d’améliorer. »

Je fais des tours à l’orphelinat au quotidien quand je suis au Gabon. Même quand je suis en compétition, si j’ai l’occasion je vais là-bas. Je suis quelqu’un qui a beaucoup d’amour à donner.

Shavy Babicka

Donner de la joie autour de lui ressemblerait presque à un mantra pour un joueur qui ne sort jamais sans son sourire. Surtout quand il s’agit d’enfants démunis. Depuis plusieurs années, le garçon rend en effet régulièrement visite aux pensionnaires d’un orphelinat à Akanda, au nord-ouest de son pays natal. « Depuis ma première saison à Chypre, je ne me suis plus séparé de cet orphelinat. Je fais des tours là-bas au quotidien quand je suis au Gabon. Même quand je suis en compétition, si j’ai l’occasion je vais là-bas. Je suis quelqu’un qui a beaucoup d’amour à donner. Ce que j’ai, je vais essayer de le partager avec ceux qui en ont besoin, s’émeut celui qui a également récemment parrainé deux enfants dans le besoin au Cambodge. Même si je ne les connais pas, ça fait du bien de savoir que tu fais du mieux que tu peux pour qu’eux aussi se sentent mieux. » Autant de moments d’échanges dont l’intéressé se nourrit également pour avancer. « J’en garde des souvenirs d’amour. Ces enfants n’ont personne, ils n’ont pas connu ce que toi tu as connu, même si ma vie n’a pas toujours été facile non plus. Les sourires que tu partages avec eux, ça fait grand bien. Je vous avoue que quand je sors de là-bas, je me sens un peu en paix. J’aime voir les gens sourire. » Et ça tombe plutôt bien : ils sont bien souvent plus nombreux partout où le bonhomme passe.

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Par Tom Binet

Propos de Shavy Babicka recueillis par TB.

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