- Tottiday
- 40 ans de Francesco Totti
Totti, Rome et les Romains
Il existe peu d’exemples dans le monde d’une telle identification entre un joueur et une ville. Francesco Totti, Romain de naissance et de cœur, avait le niveau pour jouer partout. Il a préféré renoncer au succès en acceptant d’évoluer dans un club inférieur à son talent, entouré de coéquipiers plus faibles que lui. Mais en retour, il a gagné bien plus : il est devenu le Roi de Rome. Alors qu’Il Capitano fête aujourd'hui ses quarante ans, la parole est à ses disciples. Ceux qui, éboueurs, petits commerçants, intellectuels ou hommes politiques, gens du peuple ou membres de l’élite, l’ont vu grandir et vieillir, sans jamais cesser de l’aimer. Ou presque.
Massimo D’Alema
Ancien Premier ministre italien, Piazza Farnese
« Ce n’est un secret pour personne : Totti a grandi dans une famille de gauche, avec une éducation de gauche, et une sensibilité de gauche. Depuis les années 1970, Rome est une ville de gauche. Le passage au pouvoir d’Alemanno de 2008 à 2013 a été la seule exception, car le peuple de Rome est fondamentalement de gauche, et les idées de Totti sont l’expression de cette tradition populaire. Moi, quand je veux m’offrir une heure de bonheur, je vais sur Youtube, et je tape « Totti ». Cela m’arrive même quand je suis au bureau. »
Franca Persico
Vendeuse, marché de Campo de’ Fiori
« J’ai quatre-vingts ans, et je travaille tous les jours, depuis toujours, sauf le dimanche. Le dimanche, je vais au stade. Cela fait soixante ans que je suis abonnée. Ces boucles d’oreille, je me les suis fait faire pour le troisième Scudetto de la Roma (en 2001, ndlr). Elles sont uniques. C’est de l’or. Je les ai fait faire en or, parce que je considère que ce Scudetto est le Scudetto de Totti. Et que Totti, je l’aime autant que mon fils. »
Mauro Corradi
Ouvrier de voirie, Trastevere
« Totti, c’est le capitaine, mais j’en ai marre de lui. Il est la ruine de la Roma. Il est trop égocentrique, il pense trop qu’il est le centre du monde et de l’équipe. Par exemple, il tire toujours les coups francs, alors qu’il ne sait pas les tirer. Ça va toujours tout droit, toujours dans ce putain de mur. Mais enroule tes frappes, putain! »
Giulio Lucarelli
Propriétaire du restaurant « Core de Roma » , Via Vetulonia
« Quand j’ai ouvert mon restaurant en 2006, j’ai choisi de le faire ici parce que c’est la rue où Francesco a grandi. Je l’ai fait pour lui rendre hommage. Et sur les murs du restaurant, j’ai accroché la plaque : « Place Francesco Totti » . La mairie m’a mis au moins dix amendes, parce qu’il paraît qu’on n’a pas le droit de détériorer ces murs, qui sont historiques. Mais je paye leurs amendes à chaque fois, je m’en fiche. Pourquoi? Parce que Totti est bien plus historique que ces murs. Ici, c’est un petit bout de Curva sud. Par exemple dernièrement, pour la finale de la Coupe d’Italie (remportée 1-0 par la Lazio, ndlr), on a sorti dix Totti en carton, et on a bloqué la rue et le quartier. »
Federico, Alessandro et Matteo
Serveurs au restaurant « Core de Roma » , Via Vetulonia
« C’est impossible d’imaginer Totti ailleurs qu’à Rome. Impossible. Pour nous, il est plus important que le maire, le pape, le président de la République. Parce qu’il est comme nous. »
Giancarlo De Cataldo
Écrivain (Romanzo Criminale…), quartier Prati
« On dit souvent que Totti est le seul capitaine, c’est un chant des supporters. Mais moi, je le considère comme le dernier capitaine. Je redoute le moment où il s’en ira. Parce qu’après Totti, nous serons tous beaucoup plus tristes que nous ne le sommes déjà maintenant. Après Totti, c’est la Playstation qui arrivera. Messi, l’Espagne, la Playstation. Pas de cœur, pas de sueur. Voilà ce qui nous attend quand Totti ne sera plus là. Après Totti, ce sera l’enfer. On continuera à regarder le football, en s’exaltant de moins en moins, mais en insultant de plus en plus. »
Alfio Russo
Propriétaire du salon de coiffure « Alfio » , Via Vetulonia
« Francesco a grandi à trente mètres de mon salon, j’ai été son premier coiffeur. Il arrivait avec un ballon, il était tout le temps excité. Je mettais un coussin élévateur, je lui posais son ballon à côté du fauteuil, il gigotait, et hop, à peine terminé, il prenait son ballon, et repartait jouer. »
Matteo et Michele
Lycéens, quartier Porta Metronia
« On n’était pas nés quand il marquait ses premiers buts avec la Roma. Mais on sait, tout le monde sait. Ce qu’on n’a pas vécu, on nous l’a raconté, on nous l’a appris. Et ce qu’on a vu nous a plu aussi. Notre moment préféré, c’était la victoire contre la Juve 4-0, en 2004. À la fin, Totti regarde les Juventini, fait le signe « 4 » de la main, et leur dit de rentrer chez eux, à Turin. Ici, c’est Rome. Magnifique. »
Stefano Malfatti
Fondateur du groupe ultra de la Roma vecchio Cucs, Castel Sant’Angelo
« Quand Totti joue mal, je le critique, je le siffle. Et là, tout le monde me regarde et me dit : « T’es complètement fou. » Les jeunes le prennent pour eux quand je fais ça. Pour eux, c’est Dieu sur terre. Critiquer Totti devant les jeunes, c’est comme les insulter personnellement. Ils chantent « Il n’y a qu’un seul Capitaine« . Mais moi, j’ai eu des capitaines avant lui. »
Massimo Valletta
Glacier, Via dei Coronari
« L’image que je garde de Totti, c’est lui en train de parler avec Mazzone, sur le banc de touche, il y a vingt ans. Il y avait ce mieux monsieur et ce jeune espoir, tous les deux Romains. Une histoire de transmission. »
Roberto Michelini
Éboueur, Via della Conciliazione
« Je comprends que les gens qui ne sont pas romanistes détestent Totti, parce que c’est notre étendard. Mais devant son talent, tu ne peux rien dire. Alors tu fais comme les mecs de la Sampdoria quand il leur a mis, dans leur stade, en 2006, cette reprise du côté gauche, dans un angle impossible : tu te tais, et tu applaudis. »
Andrea Testa
Propriétaire du restaurant Checco allo Scapicollo, Via dei Genieri
« Une fois, mon restaurant était plein, et il se pointe, un peu à l’arrache. Je lui dis : « Francesco, t’aurais pu m’appeler avant, que je te trouve de la place, c’est blindé là, les gens vont t’embêter. » Et lui : « On s’en fout, qui va me reconnaître ? » Il s’est assis, tranquille. Voilà, ce n’est pas du tout une diva, c’est un garçon simple. Quand il vient chez nous, c’est pour manger des calamars aux artichauts. Ça, un coca-light, et un tiramisù, son dessert préféré. Un Romain comme les autres. »
Par Lucas Duvernet-Coppola, à Rome // Photos: Maciek Pozoga