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Tottenham, les raisons du renouveau
Trop longtemps considéré comme un tube éphémère, Tottenham semble être en passe de franchir un palier majeur. Toujours prétendants au titre cette saison, les Spurs affichent un visage neuf et séduisant. Un renouveau inattendu qui s’explique en plusieurs points.
Une défense enfin imperméable
Ces dernières années, la défense de Tottenham a longtemps ressemblé à un navire échoué. Mais cette époque semble aujourd’hui révolue. Après avoir laissé constamment les portes ouvertes lors des deux derniers exercices de Premier League (51 pions concédés en 2013-2014, 53 en 2014-2015), la plaisanterie est terminée. Cette saison, l’arrière-garde des Spurs s’érige comme la meilleure du Royaume avec seulement 19 buts encaissés. Si Hugo Lloris n’a plus à se lamenter chaque week-end, c’est parce que Mauricio Pochettino a enfin trouvé la bonne paire. Arrivé cet été, le Belge Toby Alderweireld forme avec son compatriote Jan Vertonghen une charnière complémentaire, savant mélange entre élégance et sobriété. « Nous parlons beaucoup avant un match pour savoir comment défendre, révélait en novembre l’ancien joueur de l’Atlético Madrid. On se connaît bien et je pense que vous pouvez le voir sur le terrain. » Mais le duo des ex de l’Ajax ne suffit pas comme seule explication à cette sérénité retrouvée derrière. Lloris scintille toujours, les latéraux ont haussé leur niveau (Walker, Rose, Davies) et, surtout, Eric Dier protège à merveille sa défense. Auparavant aligné comme défenseur central ou latéral droit (poste où il a été formé), l’Anglais a été repositionné en tant que numéro 6. Une décision lumineuse qui a stabilisé tout le bloc équipe. « Cette réussite est avant tout collective. On a travaillé dur à la pré-saison et on montre désormais qu’on est plus solides » , se réjouissait il y a peu Pochettino. Cause de nombreux maux de tête dans le passé, la défense est devenue une affaire qui marche chez les Spurs.
Confirmation du prince Harry et résurrections
Auparavant, quand il fallait narrer les péripéties de Tottenham, l’irrégularité se conjuguait souvent à la déception. Mais, cette saison, les plus grandes promesses n’ont pas précédé les plus grands regrets. Certains qu’on avait même enterrés sont revenus de manière inattendue sur le devant de la scène. Comme Erik Lamela et Moussa Dembélé. Annoncé avec insistance du côté de l’OM l’été dernier, le premier a enfin gagné en régularité. Et si ses statistiques demandent encore à être soignées (3 buts et 3 assists en 20 matchs de PL), son entente avec Kyle Walker dans le couloir peut donner le tournis à n’importe quelle défense du championnat. Le second, lui, semblait parti pour laisser le souvenir d’un immense gâchis. Éminemment talentueux, le Belge au délicieux pied gauche avait tendance à choisir ses matchs depuis sa venue à Londres, et les jeunes, Mason et Bentaleb, l’avaient même dépassé dans la hiérarchie des milieux de terrain la saison passée. Cet été, Dembélé s’est donc remis en question. Pour offrir désormais une palette séduisante : protection de balle redoutable, facilité à éliminer en un contre un et passes laser. De son côté, Harry Kane n’avait pas vu son statut vaciller. Bien au contraire. Mais l’attaquant, auteur d’une cuvée 2014-2015 XXL (31 pions toutes compétitions confondues), est en train de faire taire les derniers sceptiques qui l’estimaient en surrégime. Après un début de saison plus que poussif (1 but en 9 matchs de championnat), le prince Harry a trouvé son rythme de croisière : 13 buts claqués au total après vingt-trois journées. Et même si le board londonien lui cherche un suppléant afin de le faire parfois souffler, le bougre reste l’atout offensif phare de sa formation.
Une manière de recruter repensée
C’était l’un des premiers desiderata de Pochettino lors de son arrivée à Londres : restructurer la cellule de recrutement des Spurs. Peu inspirée ces dernières années, celle-ci collectionnait davantage les acquisitions foireuses (Chiricheș, Soldado, Capoue, Stambouli) et les paris ratés (Sigurðsson, Holtby, Dempsey) que les bons coups. Pour insuffler une nouvelle politique en matière de transferts, Tottenham a donc enrôlé en novembre 2014 Paul Mitchell, qui était la tête pensante du recrutement de Southampton. Sous son impulsion et celle de Pochettino, le club a mis un terme aux dépenses somptuaires pour mettre l’accent sur la jeunesse britannique (Davies, Alli, Dier, Trippier). Recruter principalement au sein du Royaume, c’est l’une des volontés affichées publiquement par le manager argentin : « Je préfère prendre en premier des joueurs venant d’Angleterre. Si nous avons la possibilité d’en prendre évoluant en Premier League, Championship ou League One, je suis pour. Si ce n’est pas le cas, nous avons besoin d’ajouter des joueurs avec le bon profil et qui s’adapte à notre façon de jouer. » Et, là encore, les Spurs ont eu du flair. Grâce à ses contacts chez les Saints, Paul Mitchell a activement participé à la venue d’Alderweireld. Mais pas que. Il a également joué un rôle dans les transferts de Kevin Wimmer et de Clinton N’Jie, débarqués respectivement du FC Köln et de l’OL. Seul celui de Heung-Min Son n’a pas été supervisé par lui, puisque le Sud-Coréen était suivi depuis un long moment par le board. Jeunesse, made in England et bonnes affaires à des prix mesurés, telle se veut la nouvelle ligne directrice tracée par Tottenham sur le marché des transferts.
Plus de complexe face aux cadors
Trop souvent, par le passé, Tottenham se défilait au moment d’affronter les poids lourds. Cette saison, les soldats de Mauricio Pochettino peuvent se payer le luxe de regarder dans les yeux n’importe qui. En plus de rivaliser avec Arsenal (1-1), Chelsea (0-0) et Liverpool (0-0), ils ont collé une sacrée gifle à Manchester City (4-1). Hormis son revers à Newcastle (1-2), les Spurs n’ont perdu qu’à deux reprises. En ouverture de l’exercice 2015-2016 à Old Trafford (1-0) et contre Leicester (0-1), un match où Kasper Schmeichel a été on fire et où la bonne étoile qui escorte les Foxes depuis le début était une nouvelle fois présente. « Nous n’avons plus cette peur d’affronter les grosses équipes désormais, assurait Eric Dier en septembre dernier. Nous abordons ces matchs avec une autre mentalité maintenant. On peut les regarder les yeux dans les yeux. » Un sentiment décomplexé que son manager n’avait d’ailleurs pas caché au sortir du match nul face aux Blues de Chelsea : « Vous aviez le sentiment que Chelsea, le champion en titre, était une petite équipe sur le terrain. Parce que Tottenham peut gagner n’importe quel match maintenant. » L’année dernière, Tottenham n’avait glané que huit points en dix matchs de championnat contre Manchester United, Chelsea, City, Arsenal et Liverpool. Il y a fort à parier que les comptes seront davantage flatteurs au terme de la saison.
Une philosophie et un projet de jeu lisibles
À l’heure où de nombreuses rumeurs outre-Manche affirment que Mauricio Pochettino serait sur la short list de Roman Abramovitch pour devenir le prochain manager de Chelsea, le propriétaire Daniel Levy refuse d’envisager un quelconque départ. Et pour cause. Avec l’entraîneur sud-américain (sous contrat jusqu’en 2019), le club britannique a retrouvé un élan certain et dessiné une philosophie qui tient en plusieurs points. D’abord, la volonté palpable de lancer des jeunes, notamment issus du club. Pochettino travaille en étroite collaboration avec John McDermott, boss de l’académie, n’hésite pas à superviser en personne les catégories des jeunes (U18 et U21) et insiste même pour être présent à chaque signature de contrat de ces derniers. Ensuite, l’ex-coach de l’Espanyol marche à l’affect, mais aussi au mérite et érige la notion de collectif au-dessus de tout. Si la plupart des joueurs l’ont compris, d’autres n’ont pas intégré cela et ont été priés d’aller voir ailleurs (Adebayor, Lennon, Chiricheș, Naughton, Livermore, Paulinho, Kaboul et Townsend tout juste parti à Newcastle). À cette philosophie limpide s’ajoute un projet de jeu lisible. Tottenham ne fait pas de la possession son obsession (54,9% de moyenne, 4e meilleur total de Premier League). En revanche, Pochettino veut une équipe joueuse, très généreuse (2e équipe qui a parcouru le plus de kilomètres derrière Bournemouth) et portée vers l’avant (16,3 tirs par match, 3e meilleur total) tout en gardant une assise défensive solide (10,9 tirs essuyés par match, 4e meilleur total). Tant de bonnes raisons qui font que Pochettino est déjà comparé par certains fans à Bill Nicholson, véritable légende et vestige éternel d’un âge d’or du club. Tant de bonnes raisons, aussi, qui expliquent pourquoi Levy l’estime tant. Ce dernier, conscient d’avoir un maître à bord ingénieux entre les mains, compte notamment sur la construction du nouveau stade qui affichera 60 000 places et qui devrait voir le jour en 2018 pour le retenir. Reste à savoir si le principal intéressé saura se montrer aussi patient avant d’assouvir ses ambitions.
Par Romain Duchâteau