- Premier League
- J3
- Bournemouth-Tottenham
Tottenham : les premiers sauts réussis d’Ange Postecoglou
Pris en main cet été par Ange Postecoglou, Tottenham a déjà changé d'allure et intrigue par son approche. Certitude : il faudra suivre de près l'évolution de ce projet de jeu.
Il ne semble plus y en avoir que pour eux : le soleil, les sourires, les bras levés. Le charme et les mystères qui émanent traditionnellement du football du mois d’août y sont, bien sûr, pour beaucoup, mais il est toujours assez fascinant de voir à quel point la météo peut vite changer dans un club de foot. En août 2023, il paraît qu’on peut même perdre la gâchette la plus fine de son histoire et tout de même avoir la banane. Mais que se passe-t-il donc, au juste, pour que les premières balades officielles de la version Postecoglou de Tottenham – un nul encourageant à Brentford (2-2) et un succès face au Manchester United (2-0) de Ten Hag – génèrent à ce point de la curiosité et autant de discussions sur le jeu ? Réponse : rien de moins qu’un début de révolution sur le fond et la forme. S’il est évidemment bien trop tôt dans la saison pour jouer au jeu des grandes conclusions et si tout ça n’est jusqu’ici qu’un ensemble de premières pierres, il est en effet possible de noter des teintes novatrices et de saluer le fait qu’Ange Postecoglou a réussi son premier pari, lui qui est arrivé à Londres cet été comme il a déboulé à Glasgow en juin 2021, soit en affichant son désir de développer un « football passionnant, dont les gens parlent et qui dépasse le cadre du résultat final ».
Si les gens aiment déjà en parler, c’est ici pour une raison simple : avec leur tout nouveau pilote australo-grec, accueilli en grande pompe par son nouveau public, les Spurs ont radicalement changé. Ils ne sont certainement pas encore prêts à lutter sur la durée avec les meilleures meutes du pays, mais ils attirent tout d’abord le regard, car on n’avait plus vu une équipe de Tottenham vivre autant avec le ballon depuis de nombreuses années. Lors des deux premières journées de Premier League, Postecoglou a ainsi vu sa troupe afficher un taux de possession moyen de 62%, soit un taux égal à celui présenté par Manchester City. Ce n’est évidemment qu’un détail, mais un détail qui veut dire beaucoup, d’autant plus lorsqu’il est accompagné d’un autre fait : si les Spurs ont passé les deux dernières saisons en étant plutôt passifs dans leur pressing et en chassant avant tout les contres à grande vitesse, ils ont aujourd’hui déjà basculé dans une approche beaucoup plus agressive et se sont déjà fait une place au beau milieu des formations les plus intenses sans ballon d’Angleterre (Arsenal, Chelsea, Brighton…). Premier adversaire d’Ange Postecoglou sur un banc anglais, Thomas Frank a d’ailleurs noté à haute voix : « On a affronté un Tottenham différent, beaucoup plus offensif, moins dans la réaction, et je pense que tout le monde a pu le voir. Maintenant, ce n’est pas une surprise par rapport à ce qu’ils ont fait lors des matchs de préparation et par rapport à ce que faisait Ange avec le Celtic. »
Le matraquage de l’intérieur
Au-delà des chiffres et de l’attitude, le Tottenham de Postecoglou est surtout très différent dans la forme de celui d’Antonio Conte, notamment car il a choisi d’adopter à son tour un outil utilisé par la grande majorité de ses concurrents directs (Liverpool, Arsenal, Brighton, Manchester United, Manchester City) : l’envoi des latéraux à l’intérieur lors des phases de possession. Mais à quoi cela sert ? « À avoir plus de joueurs à l’intérieur pour se passer le ballon et gagner en contrôle, répondait Guardiola il y a quelques années. Le gros concept derrière tout ça, c’est aussi que nous défendons avec le ballon et qu’avoir un maximum de joueurs à l’intérieur permet de mieux réagir à la perte, d’être plus agressif. Jouer ainsi a trois objectifs : être mieux protégé des transitions adverses, avoir plus de contrôle et être plus imprévisibles entre les lignes quand on a le ballon, ce qui permet de se créer encore plus d’occasions. »
Lors des matchs de préparation, puis contre Brentford et Manchester United en championnat, on a ainsi vu le jeune latéral gauche Destiny Udogie et les deux latéraux droits (Emerson à Brentford, puis Porro face à MU) venir se glisser de part et d’autre de l’hyperactif Yves Bissouma lors des phases de relance, tout en prenant soin de s’étager différemment. Cela a alors été précieux pour un paquet de choses : la fixation des milieux adverses pour dégager du temps et de l’espace aux ailiers (Son et Kulusevski) ; le maintien de la qualité et du rythme de la possession ; un contre-pressing efficace et un confinement de l’adversaire dans son camp (à Brentford, les Spurs ont, par exemple, touché 358 ballons dans le dernier tiers adverse, un chiffre jamais atteint la saison dernière) ; des combinaisons à trois plus qu’intéressantes sur les côtés, surtout côté gauche, où Udogie adore foutre le boxon en dribblant, prenant des risques dans ses transmissions et enchaînant les courses dans la profondeur ; la libération de Pape Matar Sarr, buteur le week-end dernier, dans un rôle où il peut jouer un cran plus haut et enchaîner les courses verticales…
Sur cette séquence, on voit bien les déplacements vers l’intérieur d’Udogie et Porro devant Bissouma, placé juste au-dessus d’une paire Romero-Van de Ven très rapprochée.
Cette disposition favorise la pose du pressing adverse, qui devient naturellement très étroit, et pour contourner ce fait, Postecoglou demande régulièrement à ses deux autres milieux (Sarr et Maddison) de venir décrocher dans les couloirs pour rapidement toucher les ailiers, chargés de fixer et stresser les latéraux adverses. Ici, on voit le déplacement de Sarr côté droit, en haut de l’écran.
Exemple de l’utilité de cette approche face à Brentford, organisé en 5-3-2 : on voit ici qu’Udogie, Bissouma et Emerson aident à fixer le milieu adverse, alors que Skipp se balade un cran plus haut, aidant à former un 2-3-5. Ici, Davinson Sanchez va alors écarter vers Kulusevski…
… positionné en faux pied, le Suédois peut alors rentrer intérieur, venir toucher Richarlison en pivot, tandis qu’Emerson Royal a démarré dans le demi-espace, où Skipp, qui s’est écarté pour fixer Ajer, a libéré un couloir à attaquer…
… au bout de cette situation, Emerson choisira de jouer avec Son plutôt que de frapper, mais l’idée était là.
Contre Manchester United, c’est Udogie qui a davantage montré le bout de son nez, comme sur cette séquence, où il est venu se positionner très intérieur après un ballon récupéré. Romero a alors pu le trouver…
… Udogie a assuré avec une première touche bien orientée, dans le sens du but adverse…
… puis est allé percuter et dribbler…
… avant de décaler Maddison, qui verra sa passe interceptée.
À Brentford, la proximité entre les deux latéraux et Bissouma a débouché sur le 2-2, avec Udogie encore au départ, qui va ici jouer avec Maddison, sur sa gauche…
… avant d’attaquer l’espace libre…
… libérant ainsi l’accès à Emerson, qui égalisera d’une lourde frappe.
Face à Manchester United, cette approche a contribué au 2-0 avec au départ cette passe de Romero, alors que Ben Davies, entré à la place d’Udogie, est déjà à l’intérieur, prêt à démarrer…
… ce qu’il va vite être en mesure de faire…
… avant d’être trouvé dans la surface et de dévier devant Lisandro Martinez.
Après deux matchs officiels, les signaux sont positifs, mais la route est encore très longue. Face à Manchester United, Tottenham a d’ailleurs grandement souffert en première période, notamment pour sortir les ballons, et aurait pu se faire punir si Postecoglou n’avait pas vite ajusté certains détails (les distances entre les joueurs des Spurs ont, par exemple, été progressivement agrandies pour brouiller le pressing mancunien). À Brentford, tout n’a pas été parfait non plus et les Spurs, qui ont concédé 14 frappes en moyenne sur leurs deux premières sorties (4,3xG concédés, 17e plus haut total de Premier League), ont principalement peiné dans la gestion des espaces situés dans le dos des latéraux, ce qui est le risque naturel de l’approche avec ballon de Postecoglou, d’autant plus avec un Bissouma parfois désordonné sans ballon (l’utilisation des latéraux à l’intérieur vise également à compenser à la perte les quelques égarements du milieu malien). Néanmoins, ce projet de jeu, porté par un milieu (Bissouma, Sarr, Maddison) très complémentaire dans les profils, des ailiers créatifs, des centraux vifs, encouragés et conditionnés à absorber la pression avec courage, un gardien (Guglielmo Vicario) qui n’hésite pas à briser au sol la pression adverse et des latéraux aventureux, donne envie et mérite d’être suivi de près, encore plus après d’aussi curieuses prémices.
Ce Tottenham rajeuni recevra forcément des coups, et Ange Postecoglou a prévenu ses nouveaux supporters qu’il y aurait des déceptions, mais il y a toutes les bases pour que ce navire fasse de belles choses. Heureusement pour ses cibles, Harry Kane est parti cet été, sinon, cela aurait certainement pu faire mal, encore plus vite. En attendant, le rassembleur Ange Postecoglou savoure, ce qu’il a longuement fait samedi dernier avant de lâcher : « J’aime ce que le foot fait aux gens. Après un match comme celui qu’on vient de faire contre United, on prend le temps de penser aux 60 000 personnes présentes, à celles qui regardent le match chez elles… Ce moment est exactement ce qui m’aide à apprécier la chance que j’ai de faire ce que je fais, d’être au milieu d’un tel stade, à la tête d’un club de football fantastique. » Vite, la suite.
Par Maxime Brigand