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Tottenham : le chant du cygne
De mercato en mercato, dans une volonté à court terme d'aller plus haut, plus vite, Tottenham s'est complètement flingué, achetant et revendant les joueurs par paquets de douze. Chronique d'une stagnation.
Lors de la saison 2009-2010, pour la première complète d’Harry Redknapp, les Spurs terminent quatrièmes, leur meilleur classement, et accèdent ainsi à la Ligue des champions pour la première fois de leur histoire. À l’époque, l’entraîneur est anglais, tout comme la majorité de l’effectif : Defoe, Crouch, Dawson, King, Bentley, Lennon, Jenas, Huddlestone. Il y a aussi la colonie croate (Modrić, Kranjčar, Ćorluka) et quelques rogues (Bassong, Palacios, Gomes, Kaboul, Assou-Ekotto). Un groupe cohérent, réuni grâce à des transferts sensés, pour la première fois depuis longtemps : seulement sept nouveaux joueurs, et dix-sept dehors. Une direction conservée la saison suivante : des joueurs internationaux confirmés arrivent (Gallas, Van der Vaart, Sandro, Pienaar) et personne ne part, si ce n’est Robbie Keane et des prêts sans importance. Résultat : une honnête cinquième place, un quart de finale de Ligue des champions contre le Real, et un VdV meilleur joueur et meilleur buteur. 2011-2012 maintenant, rien ne change : Adebayor arrive et finit meilleur buteur, Friedel prend la place de Gomes dans les buts, Parker solidifie le milieu. De nouveau quatrième, mais pas de Ligue des champions, la faute à la victoire du Chelsea de Di Matteo. Mais tout cela n’est pas assez bien pour Daniel Levy. Le 12 juin 2012, Redknapp est licencié, faute d’avoir accepté les termes d’un nouveau contrat. André Villas-Boas est nommé le 3 juillet. Le début des ennuis.
L’auberge anglaise
Levy décide que Tottenham mérite une autre équipe. Alors il refourgue quasiment tous les derniers arrivés : Modrić, Van der Vaart, Pienaar, Kranjčar, Ćorluka, Bassong, Saha, puis Jenas, alors que King arrête, les genoux définitivement trop friables. Pour les remplacer, on fait dans le melting pot : Sigurðsson et Holtby de Bundesliga, Vertonghen d’Eredivisie, Lloris de Ligue 1, Dempsey et Dembélé de Fulham, Fryers du Standard. Un joli bordel, au milieu duquel seul Dembélé apparaît surpayé, les autres étant dans les 10-12 millions, plutôt des bonnes affaires. Si la mayonnaise ne prend évidemment pas complètement, les Spurs sont sauvés par l’explosion de Gareth Bale, passé de latéral gauche à deuxième attaquant pour empiler les pions et finir à 26 toutes compétitions confondues. Dans son sillage, les Spurs accumulent 72 points, leur meilleur total, et finissent cinquièmes, à un point d’Arsenal et de la Ligue des champions. Évidemment, le Gallois est trop fort pour rester, alors il part, rapportant quand même 100 millions d’euros dans les caisses. À ce moment-là, Tottenham peut décemment espérer construire une équipe capable de faire plus que rivaliser dans la course à la CL. Mieux, le club peut même devenir un prétendant légitime au titre. Pour bien négocier ce virage, Villas-Boas demande un directeur technique – ce sera Franco Baldini, passé par la Roma, le Real et l’Angleterre avec Capello. Dani Levy est serein et se frotte les mains derrière son discours de façade : « Nous avons, donc, avec beaucoup de réticence, accepté cette vente parce que nous savons que nous avons une équipe exceptionnellement forte à laquelle nous avons ajouté pas moins de sept top joueurs internationaux. Plus important encore, nous avons un immense esprit d’équipe et un vestiaire qui a soif de succès. »
Grand nettoyage
Malheureusement, ces sept « top joueurs internationaux » ne sont pas de la trempe de Bale, ni de Modrić ou Van der Vaart d’ailleurs. Dans la foulée du mercato précédent, ils viennent de partout et ont coûté beaucoup trop d’argent. Soldado (Espagne, 30 millions), Lamela (Italie, 30 millions), Paulinho (Brésil, 20 millions), Eriksen (Pays-bas, 13,5 millions), Capoue (France, 11 millions), Chiricheș (Roumanie, 9,5 millions) Chadli (Pays-Bas, 8,5 millions). Plus de 100 millions d’euros, aucun Anglais, aucun joueur habitué à la Premier League. Dans le même temps, Levy et Baldini se débarrassent des types confirmés et habitués à prendre des coups : Defoe, Dempsey, Huddlestone, Parker, même la promesse Caulker. Tout le monde dehors. L’échec de l’OM post-Drogba n’est rien à côté, d’autant plus qu’AVB envoie Adebayor en réserve. Le text book de ce qu’il ne faut pas faire. Inéluctablement, le Portugais finit par se faire virer après une défaite infamante (5-0) face à Liverpool en décembre, et se défend comme il peut : « Le président proposait le challenge d’augmenter le niveau concurrentiel de Tottenham, mais… on n’a pas eu une seule des cibles que j’avais identifiées, telles que João Moutinho, Willian, Oscar ou Leandro Damião. Ce sont des promesses non tenues. J’ai eu un groupe de joueurs que je n’avais pas choisis. En deux ans, j’ai perdu Van der Vaart, Modrić, Bale, et toutes les promesses faites n’ont pas été tenues. » Tim Sherwood récupère alors la chimère, s’appuie sur Adebayor pour survivre, et parvient à sauver les meubles en finissant la saison sixième.
Pochettino pour tout reconstruire
L’échec est retentissant. Levy prend les choses en main et fait venir Mauricio Pochettino, qui s’y connaît en reconstruction. Sauf que les transferts restent plus ou moins dans la même lignée. On se débarrasse des Anglais (Dawson, Fryers, Naughton), des derniers arrivés (Sigurðsson et Holtby), des mecs installés (Assou-Ekotto, Sandro), et on relance le brassage, moins cher cette fois : Davies (12 millions) et Vorm (6 millions) de Swansea, Stambouli (6 millions) de Montpellier, Fazio (10 millions) de Séville, Dier (5 millions) du Sporting, Yedlin (2,5 millions) de Seattle. Au moins cette fois, il y a de l’Anglais ou du joueur rodé à la PL. Sauf que ces garçons ne sont toujours pas voulus par le coach. Levy continue de suivre sa conviction qu’il existe toujours une amélioration plus jeune, moins chère, plus forte quelque part ; on jette les joueurs sur le gril et on voit qui s’en sort. Un appétit sans fin du transfert qui aboutit au malaise actuel. Parce qu’encore une fois, cette année, Tottenham ne se qualifiera pas pour la Ligue des champions, même la Ligue Europa apparaît utopique.
Pourtant, les Spurs ne se sont pas nécessairement trompés dans leurs achats. Si Soldado semble perdu pour le football, Lamela et Chadli, après un premier exercice entre médiocre et pas trop mal, sont titulaires sur les ailes et se débrouillent comme ils peuvent. Eriksen, bien qu’un peu en dedans en ce moment, est une sacrée bonne pioche. Chiricheș, Capoue voire Paulinho avaient bien commencé avant de disparaître des feuilles de match. Un mercato en arrière, Lloris est un monstre, Vertonghen plutôt honnête. Ce qu’il manque, c’est de la continuité, du temps et de la logique. Pourquoi prendre Vorm, un très bon gardien de PL, pour le foutre numéro 2 ? Pourquoi vendre Sigurðsson pour prendre Stambouli alors qu’on a déjà un million de milieux récupérateurs et qu’on manque de talents créatifs ? Pourquoi acheter deux défenseurs centraux et deux milieux défensifs par mercato ? Heureusement, Paul Mitchell est arrivé en novembre pour répondre à ses questions. Un homme qui a prouvé à Southampton qu’il savait y faire en tant que responsable du recrutement. Et Mauricio Pochettino a démontré qu’il savait faire place aux jeunes. Harry Kane en est l’exemple typique, mais aussi la paire Mason-Bentaleb, ou encore Townsend (les trois Anglais ayant découvert cette année les Three Lions). Des jeunes, des Anglais, de la stabilité, de bonnes idées. La dernière fois que Tottenham avait touché la Ligue des champions, cela avait commencé comme ça.
Par Charles Alf Lafon