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Torres, l’enfant du paradoxe
Jamais là où on l’attend, parfois épatant, souvent déconcertant, toujours étonnant : Fernando Torres cultive l’art du contre-pied depuis le début de sa carrière. Mais El Niño est encore une fois présent en finale d’un des tournois les plus compétitifs qui soient. Comme d’habitude.
Mardi 5 avril 2016, au Camp Nou. Sans aucun complexe, l’Atlético défie l’ogre barcelonais dans son antre. Comme un symbole, Fernando Torres, modèle de sacrifice, s’arrache sur chaque ballon. Son pressing et ses efforts sont récompensés à la 25e : sur un service parfait de Koke, l’attaquant marque un but classique d’avant-centre. Sauf qu’emporté par son envie, le soldat de Diego Simeone gâche tout en dix minutes chrono, avec deux jaunes qui se colorent en rouge et une expulsion qui laisse ses partenaires avec un but en plus… mais un joueur en moins. Le meilleur et le pire du paradoxe Torres en moins d’un quart d’heure.
Un mois plus tard, bis repetita face au monstre munichois. Après une heure vingt de dur labeur où on l’a notamment vu adresser une passe décisive impeccable, Fernando – qui, au passage, est resté sur le terrain toute la rencontre au contraire de Griezmann – sort une énième accélération offensive, provoquant un penalty censé qualifier définitivement son équipe. L’Espagnol, sûr de lui, décide d’aller jusqu’au bout de son idée et se charge du péno… repoussé par Neuer. Certes, l’Atlético s’en est sorti. Par deux fois. Certes, Torres a contribué à la qualification. Par deux fois. Mais par deux fois, Torres a confirmé ce qu’il était : une énigme, roi du contre-pied, dans un sens comme dans l’autre.
L’enfant toujours là
Son style de jeu, sa façon de baisser la tête lorsqu’il court et son physique symbolisent toutes les contradictions d’un joueur qui aura participé, qu’on le veuille ou non, à l’histoire du football depuis le nouveau millénaire : est-il élégant sur un terrain ? Est-il beau à regarder jouer ? Préfère-t-on qu’il conserve tous ses cheveux soyeux, qu’il se rase sur les côtés ou qu’il passe la tondeuse ? Au-delà de ces questions qu’on laisse volontiers aux spécialistes de la mode, d’autres, qui n’ont toujours pas trouvé de réponses, concernent le footballeur. Que penser d’El Niño, 32 ans mais toujours enfant, à qui on promettait un Ballon d’or et qui termine finalement comme un gars plus collectif que jamais, destiné à jouer en pointe alors qu’il aurait peut-être pu être meilleur sur une aile ?
Bref, fini les interrogations, passons aux faits. Le constat est le suivant : Torres, que beaucoup avaient oublié, est en finale de Ligue des champions avec l’une des meilleures équipes du monde. Titulaire, qui plus est. Une surprise ? Pas vraiment. Car Fernando a toujours fait le contraire de ce qu’on attendait de lui. Quand Liverpool casse sa tirelire pour le faire venir de l’Atlético, personne n’imagine qu’il s’adapte aussi rapidement au championnat anglais. Pourtant, les caramels s’enquillent et tous les gros sortent le chéquier pour l’engager. Annoncé comme le crack de Premier League en arrivant à Chelsea, El Niño se transforme en chèvre incapable de pousser un ballon dans les filets et attend plus de quatre mois pour inscrire son premier pion. Les entraîneurs se succèdent et rien n’y fait. Déclaré inapte au football suite à un passage foiré à Milan, le natif de Fuenlabrada revient à la maison sur ordre du Cholo Simeone. Et tout s’enchaîne : travail, sérieux, retrouvailles avec la confiance, générosité. Quelques buts aussi, et une place méritée dans le onze, où son travail reste de faciliter celui de Griezmann. Un taf de l’ombre pour celui qui a longtemps connu la lumière.
Concernant sa période blues, que chacun considère loupée, elle reste ouverte à discussion. Torres, qui a toujours assumé ses choix, a quitté Anfield Road pour évoluer à un niveau supérieur et remporter des trophées. Bingo : alors qu’il n’avait soulevé aucune Coupe avec les Reds, l’attaquant remplit son armoire avec une C1, une C3 et une Coupe d’Angleterre. Le tout en deux ans. Rien que ça. Surtout, l’Espagnol joue un rôle prépondérant dans l’obtention de ces titres. Suffit de ressortir son but libérateur contre le Barça pour prouver son importance lors de la fabuleuse épopée LDC de 2012. Ou son exploit personnel décisif face au Benfica. Il terminera d’ailleurs deuxième meilleur passeur de la compétition. Pendant la Ligue Europa 2013, le serveur devient buteur avec sept goals (inscrits lors de chaque tour ; deuxième meilleur buteur) et 810 minutes disputées.
Les arguments sont trop nombreux pour ne pas sortir la conclusion, finalement pas surprenante : Fernando Torres est un homme de tournois. Une hypothèse béton quand on sait que le monsieur, malgré un immense palmarès, n’a jamais triomphé… en championnat (si l’on omet la Segunda Division 2002). Puis Torres, c’est aussi la Coupe du monde 2010, les Euro 2008 (unique buteur de la finale) et 2012 (Soulier d’or et buteur en finale). Un profil atypique qui aurait presque pu donner des idées à Del Bosque pour cet été devant la pénurie d’attaquants subie par la Roja. Simeone, lui, se frotte déjà les mains.
Par Florian Cadu