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- 32e journée
- Torino/Juventus Turin
Torino, culture de la lose ou de la guigne ?
Voilà maintenant vingt ans que le Torino ne remporte plus le derby de Turin, ce qui fait de ce club un loser en puissance. Mais les événements de sa longue et riche histoire font plutôt penser à une poisse sans précédent.
Ils y étaient pourtant presque lors du match aller. Bruno Peres avait inscrit un but spectaculaire au Juventus Stadium après une longue chevauchée, et les Granata s’apprêtaient enfin à sortir indemne du classique turinois après six revers consécutifs. Ce but du Brésilien était d’ailleurs le premier pour le Toro depuis treize longues années. Puis, Pirlo achève le Bovin à la toute dernière seconde du match et le Zèbre l’emporte une nouvelle fois. Ce 189e Derby della Mole résumait à lui tout seul les souffrances du Torino. Quand le sort s’acharne autant, il n’y a plus grand-chose à espérer. Il faut simplement vivre avec et assumer d’en baver.
Titres avortés
Revenons pile-poil un siècle en arrière, le 23 mai 1915 précisément. Au lieu de siffler le coup d’envoi des rencontres, les arbitres lisent le communiqué de la Fédération qui annonce la « suspension immédiate des compétitions à cause de la mobilisation » . Le Royaume d’Italie s’est enfin décidé à entrer dans le premier conflit mondial en déclarant la guerre à l’Empire austro-hongrois. Il ne restait qu’une seule journée à disputer dans la poule Nord dont le classement était le suivant : 7 points pour le Genoa, 5 pour le Torino et l’Inter, 3 pour le Milan. Le derby milanais et Genoa-Torino étaient les affiches au programme. À l’aller, les Granata avaient explosé les Rossoblù (6-1) et pouvaient prétendre atteindre les barrages. Convaincues que la guerre allait être courte, les autorités pensaient que ce championnat se conclurait. Loupé. En 1919, la FIGC estime qu’il est inutile de le mener à terme et attribue ce Scudetto partiel au Genoa, faisant également fi de la finale nationale face aux vainqueurs de la poule Sud.
Douze ans plus tard, le Torino remporte enfin son premier titre après avoir devancé Bologne et la Juventus lors du tour final. Puis une affaire de corruption éclate. Avant un derby turinois que le Torino s’est adjugé sur le score de 2-1, Luigi Allemandi, arrière latéral bianconero, aurait été soudoyé par un dirigeant granata pour favoriser la victoire du rival. C’est un journaliste logeant dans un appartement voisin qui a révélé tout ceci au grand jour. Problème, ce même Allemandi a été un des meilleurs joueurs de la Juventus ce jour-là ! Qu’importe, la Fédération révoque le Scudetto et ne le réattribue pas. Lui est suspendu à vie, puis bénéficie de l’amnistie un an plus tard. Une histoire dont on n’a jamais vraiment su les réels tenants et aboutissants. En fait, il y aurait bien eu un passage d’argent, mais pour le transfert d’Allemandi à l’Inter.
Décès tragiques
Le 4 mai prochain, le peuple granata se rendra comme chaque année à la basilique de Superga pour rendre hommage à ses héros décédés dans le tragiquement célèbre accident d’avion de 1949. Une équipe qui avait glané quatre championnats d’affilée (le 5e fut attribué à titre posthume) en battant record sur record (le plus impressionnant, les six ans d’invincibilité à domicile). En cette période, la Squadra Azzurra vit même jusqu’à dix joueurs du Torino la composer au coup d’envoi. Il s’agit peut-être de la plus grande génération de l’histoire du football italien avec le Milan de Sacchi/Capello et la première Juve de Trapattoni. Pour beaucoup, Valentino Mazzola est même le meilleur joueur italien de tous les temps.
Néanmoins, la faucheuse n’en avait pas fini avec le Torino. Gigi Meroni eut également affaire à elle plus tôt que prévu. Cet ailier virevoltant était le symbole de la renaissance après la tragédie précédemment citée. Au sortir d’une rencontre face à la Sampdoria en 1967, Meroni rentre chez lui à pied et se fait faucher de plein fouet par deux voitures, succombant à ses blessures quelques heures plus tard. Il n’avait que 24 ans. Ironie du sort, le conducteur de la Fiat 124 qui le percuta en premier est le jeune Attilio Romero, futur président du Torino en 2000. Son coéquipier Giorgio Ferrini, lui, a eu le temps de finir sa carrière et d’établir tous les records de présence. Capitaine et bandiera, il passe 16 saisons en tant que joueur, puis devient l’adjoint de Gigi Radice dans la foulée. Quelques mois après sa retraite, il décède d’une double hémorragie cérébrale à 37 ans et ne verra jamais ses anciens coéquipiers remporter le titre lors de cette saison 1975-76.
Épilogues douloureux
Le 7e Scudetto de l’histoire du club est donc enfin arrivé. La Serie A est alors une affaire de Turinois. Granata et Bianconeri se tirent la bourre au milieu de ces magnifiques 70s et remettent ça la saison suivante. Le Torino fait d’ailleurs mieux en récoltant 5 unités supplémentaires, ce qui fait beaucoup à l’époque de la victoire à deux points. 50 points engrangés, c’est un record, mais la Juve en amasse un de plus et est sacrée championne ! Transposé avec le barème d’aujourd’hui et une Serie A à 20 équipes, c’est comme si la Vieille Dame avait fini première avec 93 points, et son éternel rival second avec 90.
Moins performant par la suite en championnat, les Granata se rabattent sur la Coupe d’Italie dont ils atteignent la finale trois fois consécutivement de 1980 à 1982. Les deux premières éditions contre la Roma se soldent par des défaites aux tirs au but, la 3e contre l’Inter sur le score de 2-1 sur l’ensemble des deux matchs. Enfin, il ne manquait plus qu’une Coupe d’Europe pour compléter le tableau. Nous voici en mai 1992, le Toro et l’Ajax s’affrontent en finale de Coupe de l’UEFA et le 2-2 à domicile, à l’aller, contraint les Granata à s’imposer à Amsterdam. Casagrande touche le poteau, Mussi aussi. Pour Sordo, ce sera la transversale à trois minutes du terme. Au milieu de tout ça, un péno refusé qui fait sortir Emiliano Mondonico de ses gonds. L’entraîneur granata agite une chaise en guise de protestation. Une image d’Épinal qui résume l’histoire meurtrie de ce club légendaire.
Par Valentin Pauluzzi