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Top model, really ?

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Top model, really ?

Après chaque incident dans les stades français, les médias et les autorités sportives et politiques vantent le modèle anglais de lutte contre le hooliganisme, présenté comme la solution à tous les problèmes. Début 2007, So Foot y est allé voir de plus près.

Voilà l’exemple : le stade moderne anglais, ses places cinq fois plus chères qu’en France, ses tribunes familiales (family enclosure) où le tabac et les hommes seuls sont prohibés – et les femmes à peine plus présentes, même si elles sont désormais acceptées –, ses boutiques attenantes…mais son ambiance trop souvent “à la monégasque”. Non content de réprimer, au-delà des violences, tout comportement un tant soit peu déviant, sans autre forme de procès et parfois au mépris du respect des libertés civiques, le modèle anglais a transformé le supporter en consommateur. Le résultat ne s’est pas fait attendre : en dehors des grandes occasions, les stades se sont endormis et ne créent plus de liens sociaux.

Indifférent au consensus social

« Le modèle anglais a été répressif depuis les années 1960.
Contrairement à d’autres espaces du système pénal, il n’y a pas eu de vraies tentatives de médiation avec les fauteurs de trouble, de dialogue entre eux et les services sociaux
 » , explique Richard Giulianotti, professeur de sociologie à l’université de Durham et l’un des meilleurs spécialistes de la question en Europe, en écho aux propos de John Williams, directeur du Centre de sociologie du sport de l’université de Leicester, dans Le Monde (3/12/2006) : « La pire phase de hooliganisme, dans les années 1980, a coïncidé avec les années Thatcher, celles d’un gouvernement de droite dur, indifférent au consensus social » .

Les interdictions de stades concernent aujourd’hui [début 2007] plus de trois mille personnes en Angleterre. Elles durent de deux à dix ans et peuvent s’étendre aux transports en commun, aux centres-villes ou à certains pubs les jours de match. Elles se traduisent également par l’interdiction de sortie du territoire et la rétention des passeports lors des déplacements européens. Pour quel résultats concrets ? Si les stades de Premiership ont effectivement été largement pacifiés, les 3462 arrestations liées au football en 2005/06 laissent voir que les incidents sont encore fréquents ou, si les violences sont réellement en diminution, que de nombreuses arrestations sont abusives. Par ailleurs, le problème a été déplacé géographiquement vers des zones de plus en plus éloignées des stades où la vidéosurveillance et les caméras de télévision ne pénètrent pas. Pour Giulianotti, « le hooliganisme agit aujourd’hui à travers de plus petites ‘firms’ [groupes de supporters violents] dans différentes divisions » . Les interdictions de stades sont en effet plus nombreuses parmi les clubs de D2 (1219) que parmi ceux de l’élite (1002), alors que les clubs de D3 (581) et D4 (370) sont également très concernés par le problème. En dehors de ces données [datant de 2006-2007] issues du Home Office britannique, des statistiques fiables sur la réalité de l’évolution du hooliganisme en Angleterre manquent cependant.

Hors de prix

L’autre face du modèle anglais s’est développée autour de l’idée que, pour attirer les “bons spectateurs”, il fallait mieux les traiter. Les conditions d’accueil des stades ont donc été améliorées et, assez rapidement, un hyperconsumérisme s’est développé autour du football de haut niveau. La première conséquence a été, depuis les débuts des années 1990, l’explosion du prix des places. Le montant moyen d’un abonnement annuel pour un adulte dans la tribune la moins chère en Premiership est désormais [en 2006-2007] de 634 euros (contre 130 en L1 française). Pour un billet à l’unité, toujours dans la tribune la moins chère, il faut compter de 23 euros minimum à Blackburn ou Wigan lors d’un match de catégorie C, à 70 euros à l’Emirates Stadium d’Arsenal pour une rencontre de catégorie A (contre 11 euros en moyenne en France).

Evidemment, ces tarifs ont une répercussion sur la composition du public. Giulianotti : « L’Angleterre étire le marché jusqu’à un point de rupture. Il n’y a aucun doute que des formes sérieuses d’exclusion sociale se produisent. Beaucoup de gens, de façon évidente dans la classe ouvrière, se sentent exclus par les coûts élevés des tickets » . Et ceux qui font le sacrifice de se payer un abonnement se tiennent à carreau pour ne pas risquer une interdiction de stade qui ruinerait leur investissement.

Au-delà des prix, les autorités ont voulu lutter contre l’appropriation des tribunes par des groupes de supporters en misant sur un réflexe familial (les tribunes familiales susmentionnées) ou individualiste. Les places assises et numérotées « individualisent l’acte de supporter son équipe et refroidissent l’ambiance, selon Giulianotti, car le fait de devoir [s’abonner ou] réserver implique qu’il est impossible pour des jeunes gens qui se retrouveraient au pub avant les matchs d’entrer et de s’asseoir ensemble dans le stade » .

Virages chantants

Giulianotti poursuit : « Il y a une tentative pour favoriser certaines formes de comportements parmi les supporters, et pour que les supporters se voient comme des consommateurs qui devraient mesurer leur attachement au club selon l’argent qu’ils mettent dans les marchandises » .

Pour les aider un peu, les stades sont désormais dotés de véritables galeries marchandes. De fait, les recettes commerciales (hors droits TV et billetterie) annuelles du championnat d’Angleterre sont passées de 250 à 500 millions d’euros entre 1996 et 2004. Le spectateur-consommateur fait sagement où on lui dit de faire et cela n’est pas sans répercussions sur l’ambiance et la culture populaire du football. “ « Cela sape les communautés et réduit les opportunités d’une invention culturelle lors des matchs, par exemple en créant de nouveaux chants ou même en chantant pendant les matchs » ”, déplore Giulianotti. Ce n’est pas un hasard si les fans de Chelsea, qui déboursent un minimum de 800 euros par saison pour s’abonner, ont souvent été la cible de José Mourinho : « Pourquoi ne chantent-ils pas ? Ils sont toujours muets. Ils devraient plus participer et montrer leur enthousiasme » .

Pour ne rien arranger, il faut même compter avec un léger recul de la fréquentation des stades ces quatre dernières années : une baisse de 3% du nombre de spectateurs alors que la moyenne en la matière était passées de 28 à 35 000 entre 1995 et 2000, soit la meilleure performance européenne. Pour faire revenir l’ambiance, les clubs préparent des tifos et rameutent des fans dans des “virages chantants” (singing ends) où l’on donne de la voix sur les chants officiels, quand ce n’est pas la sono d’Anfield qui couvre le You’ll never walk alone du Kop. Ceux qui croient encore à un vrai supportérisme collectif mais refusent de se faire taxer de hooliganisme se réfugient dans la rédaction et la lecture de fanzines ou dans l’investissement dans des associations indépendantes défendant les droits des supporters. Certains en sont même réduits à se tourner vers le modèle ultra continental, comme les Ultras Red d’Aberdeen qui couvrent leur tribune de tifos.

Revenu du “modèle anglais”, Richard Giulianotti plaide aujourd’hui pour le « dialogue » et des « formes d’inclusion sociale » , d’autant que la stigmatisation intensive des fauteurs de troubles depuis trente ou quarante ans « a réellement servi à construire le ‘problème’ du hooliganisme, à donner une forme à ses identités, à rationaliser ses pratiques » . Entre les ends debout peuplés de hooligans d’il y a vingt-cinq ans et les tribunes d’aujourd’hui offrant une « expérience individuelle apaisée et orientée vers la consommation » , Giulianotti dixit, l’Angleterre n’a pas trouvé ce juste milieu où la dramatisation d’un rituel collectif, indispensable au charme du football, trouverait sa place.

Par Jean Damien Lesay et Nicolas Hourcade.

Propos de Giulianotti recueillis par JDL.

Version légèrement remaniée d’un article paru dans le n° 41 de So Foot en février 2007.

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