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Top 6 : j’peux pas, j’ai politique

Par Nicolas Kssis-Martov
5 minutes
Top 6 : j’peux pas, j’ai politique

Finalement, l’Argentine ne jouera pas contre Israël à Jérusalem. Ce n’est pas la première fois que la pression politique a (dé)raison d’un match de football, ou du moins essaie de l’annuler au nom de considérations dites « extra-sportives » par les instances de la FIFA. Petit rappel sans évidemment aucunement prétendre comparer ni mettre les situations historiques au même niveau ni sur le même plan.

2018 : Israël-Argentine

C’est le fait du jour. Dans un contexte extrêmement tendu après le transfert de l’ambassade américaine à Jérusalem et les centaines de morts palestiniens à Gaza, sans oublier les tirs de roquette, la venue de l’Albiceleste ne pouvait que susciter la polémique, surtout que le foot est devenu un des théâtres du conflit autour du boycott des équipes israéliennes. Les Argentins ont finalement décidé de déclarer forfait. Du coté sud-américain, on met en avant le climat peu serein, la mobilisation des militants pro-palestiniens brandissant par exemple un maillot taché de rouge ainsi que la viralité de la campagne de protestation sur le net. Du côté de l’État hébreu, on pointe des menaces de mort, notamment envers Lionel Messi.


1973 : Chili-URSS

Un certain 11 septembre de 1973, Pinochet a renversé le gouvernement Allende pour la plus grande joie (et avec l’aide) des Américains et de quelques caciques réacs de la FIFA, qui balance donc son RAS quand il s’agit deux mois plus tard de jouer un match de barrage dans le stade « de la mort » national de Santiago où les militaires avaient parqué les opposants. L’URSS, trop heureuse de donner une leçon de Droits de l’homme à un Occident qui commence à découvrir l’ampleur du Goulag (l’œuvre majeure d’Alexandre Soljenitsyne est publiée cette même année), décide de montrer que « la patrie du socialisme » peut se passer d’un Mondial. C’est donc dans un simulacre de rencontre – puisque les adversaires du jour n’ont pas fait le déplacement – que le Chili se qualifie, grâce à un but inscrit par Francisco « Chamaco » Valdés Muño dans des buts vides, pour la Coupe du monde en Allemagne où il trouve le moyen de concéder un nul à la RDA. Tout ça pour ça.


1929 : Racing-Roma

Le 29 décembre 1929, une rencontre officielle franco-italienne est programmée entre l’AS Roma et une entente de clubs parisiens, essentiellement du Stade français. Seulement, depuis l’arrivée de Mussolini au pouvoir, la venue de chaque équipe italienne provoque un petit tollé à gauche. C’est pour cette raison que des sportifs de la Fédération sportive du travail, dignes représentants du sport rouge, et des militants communistes français et italiens, y scandèrent des mots d’ordre et des slogans contre le régime du Duce, massés dans un « virage » , faute d’avoir pu en empêcher la tenue. L’Humanité du lendemain racontera ainsi : « À Buffalo, magnifique démonstration contre le fascisme et la répression. Les sportifs(…)obligent les organisateurs à interrompre le match. » Toutefois après l’intervention des forces de l’ordre, il reprendra, se soldant par une victoire tricolore.


Euro 1992 : La Yougoslavie hors jeu

À quelques jours de la tenue de l’Euro 1992, l’UEFA balance une bombe et décide d’évincer la sélection yougoslave. Cette décision s’inscrit dans la continuité de l’embargo instauré contre ce qu’il reste de la Yougoslavie (Serbie et Monténégro), alors que cette partie de l’Europe est à feu et à sang. La décision de l’ONU indique que les États doivent « empêcher la participation à des manifestations sportives sur leur territoire de personnes ou de groupes représentant la République fédérale de Yougoslavie » . Vu la résolution, le comité d’urgence de la FIFA décide immédiatement de suspendre la Fédération de Yougoslavie. Conséquence, les « derniers » yougoslaves ne verront jamais le championnat d’Europe en Suède, remplacés par un Danemark qui fera le pied de nez qu’on connaît au destin.


1935 : Angleterre-Allemagne

Un banal match amical entre l’Angleterre et l’Allemagne. Sauf que nous sommes en décembre 1935, les nazis sont aux affaires et ont déjà commencé à appliquer leur politique antisémite. Or, cette rencontre doit se dérouler dans l’antre de Tottenham, à White Hart Lane, en plein cœur du quartier juif de Londres. La communauté se mobilise ainsi qu’une grande partie de la gauche d’outre-Manche pour tenter de conjurer ce sacrilège. En vain. Les Allemands envoient des milliers de supporters via le Kraft durch Freude (en VF, « La force par la joie » , vaste organisation de loisirs contrôlée par l’État nazi, N.D.L.R.). La sélection allemande entre sur le terrain et exécute le salut nazi devant la croix gammée qui flotte au-dessus du stade. La FA s’était réfugiée derrière l’apolitisme pour justifier le maintien de cette confrontation, avec l’appui d’une partie de la presse tabloïd d’alors qui éructait contre la pression des « yids » . Des hommes-sandwich portant slogans et discours vont se balader néanmoins dans les gradins pour essayer de conscientiser les 60 000 spectateurs. L’Angleterre l’emporte 3-0. C’est déjà cela.


1978 : Les Bleus iront en Argentine

Douze ans après leur dernier Mondial, les Bleus renouent avec le plus grand tournoi du monde. Mais la Coupe du monde se déroule en Argentine où une junte militaire, dirigée par le général Jorge Rafael Videla, mène une « sale guerre » contre les opposants (peut-être 30 000 morts et disparus). La société civile est divisée. Marek Halter signe une tribune dans Le Monde en octobre 1977, qui appelle directement les joueurs et les supporters à l’abstinence, dressant le parallèle avec Berlin 1936. « Si nous ne gagnons pas cette bataille, la barbarie l’emportera. » Un Comité pour le boycott de l’organisation par l’Argentine de la Coupe du monde de football (COBA) agrège une galaxie aux intentions diverses et aux origines plurielles, de trotskistes militants à people défenseurs des droits de l’homme. Il remplit même la Mutualité. Pour sa part, la classe politique française laisse passer la tempête sans se mouiller. La droite veut son Mondial, Giscard en tête, espérant faire ainsi mieux passer à sa majorité le réchauffement des relations avec l’URSS et l’adoption de l’IVG. Le petit Front National de l’époque défend bec et ongles l’équipe de France, ne s’attardant pas pour le moment à compter le nombre de noirs ou d’arabes sur le terrain. Le PS et le PC condamnent quant à eux la dictature militaire, mais préfèrent encourager nos sportifs à soutenir sur place les Argentins opprimés (les communistes notamment pensent déjà à Moscou et au risque d’un retour de bâton). L’important était de participer semble-t-il. Nous sommes bien le pays de Coubertin.

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Par Nicolas Kssis-Martov

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