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Top 1000 : les meilleurs joueurs du championnat de France (70-61)

Par Quentin Ballue, Jérémie Baron, Adel Bentaha, Raphaël Brosse, Clément Gavard et Steven Oliveira, avec toute la rédaction de SF

Quel est le meilleur joueur de l'histoire du championnat de France depuis sa création en 1932 jusqu'à 2022 ? Statistiques, palmarès, trajectoires personnelles, classe, dégaine, empreinte laissée : autant de critères qui nous ont permis d'établir notre classement très subjectif des mille joueurs les plus marquants de Division 1 et de Ligue 1. Le credo d'un feuilleton qui va durer précisément 100 jours.

#70 - Blaise Matuidi

Blaise Matuidi
Troyes (2005-2007), Saint-Étienne (2007-2011), PSG (2011-2018)

Longtemps moqué pour ses qualités techniques qui seraient limitées selon des personnes qui n’ont jamais joué plus haut qu’en district, Blaise Matuidi a pourtant toujours fait le bonheur de ses entraîneurs. Il n’y a qu’à écouter ce qu’ils disent sur le bonhomme. Jean-Marc Furlan, qui a lancé Blaisou à Troyes ? «  Dans sa carrière, un entraîneur ne peut connaître que trois ou quatre joueurs de la qualité de Blaise Matuidi. Ce n’est que du bonheur pour un entraîneur. Quand tu as un joueur comme ça, tu aimerais en avoir vingt ou vingt-cinq. Un garçon comme Blaise peut changer le cours d’un match. » Laurent Blanc, qui a installé le trio Motta-Verratti-Matuidi au PSG ? «  Blaise Matuidi fait partie de ces indispensables dans une équipe et dans un effectif, pas seulement parce que c’est un bon garçon, mais parce qu’il a de vraies qualités footballistiques. Il a d’abord une force mentale que peu de joueurs ont, et une incroyable force de travail. » Maurizio Sarri ? « Quel autre joueur est indispensable à part Cristiano Ronaldo ? Je dirais Blaise Matuidi. » Alors oui, celui qui a pris un coup de tête de son coéquipier Dimitri Payet à Sainté n’a pas la technique de Marco Verratti, mais il n’est pas pour autant moins important pour une équipe. Bien au contraire. Car avoir Blaisou sur le terrain est la garantie d’avoir un joueur qui avale les kilomètres, qui récupère des ballons, se projette vers l’avant et qui est même capable d’envoyer de jolis buts. À l’image de son pion du droit avec le PSG face à l’OM en 2015. Bref, un exemple à suivre. Pas pour rien qu’il a été intronisé capitaine à Saint-Étienne malgré ses 21 piges et qu’il a souvent porté le brassard durant son passage à Paris, où il a remporté 5 titres de champion de France et été élu joueur français de l’année France Football en 2015. Et puis ils ne sont pas nombreux à pouvoir se targuer d’avoir un refrain de rap à leur nom. Attaquant, défense, Matuidi Charo.

#69 - Sidney Govou

Sidney Govou
Olympique lyonnais (1999-2010), Évian Thonon Gaillard (2011-2013)

Si vous interrogez un supporter lyonnais, il est fort probable que Govou figure au moins dans son top 5 des footballeurs les plus aimés au cours de leur passage au club. Taulier de la maison OL, l’international tricolore (49 sélections) a tout connu avec son club formateur : des débuts en équipe première à 19 ans, un doublé d’anthologie inscrit contre Oliver Kahn en Ligue des champions à 20 piges, le premier titre de champion de France du club acquis en 2002 lors l’ultime journée dans une « finale » remportée contre le RC Lens à Gerland (4-1)… Puis, à l’aube d’une soirée arrosée au Fish, une discothèque lyonnaise, un surnom qui tombe : whisky-coca. « Ce surnom, c’est une légende, évoque l’intéressé dans une interview pour le Dauphiné libéré. Tout simplement parce qu’à l’époque, je ne buvais pas de whisky ! C’était après notre premier titre de champion de France avec Peguy Luyindula, on avait fini tard et une journaliste était là, elle m’avait appelé comme ça. »

Pour So Foot, Éric Carrière y était également allé de sa petite anecdote : « Si je ne me trompe pas, on termine aux Halles avec Peguy (Luyindula) et Sidney, au Ricard, à 6 heures du mat’. » Catalogué comme noceur à partir de cet épisode, Govou n’en reste pas moins un formidable ouvrier à l’hégémonie de l’Olympique lyonnais pour remporter sept championnats de France consécutifs, réaliser de magnifiques campagnes européennes en C1 en devenant la bête noire du Real Madrid et même porter le brassard de capitaine. « Je suis quelqu’un qui réfléchit beaucoup autour du football, mais pendant les matchs, je ne réfléchis pas, confiait le joueur pour notre site en 2020. Je fais ce que je sais faire, comme si j’étais en train de jouer avec mes potes. » Courtisé à l’étranger, l’attaquant n’a quitté la France qu’après un Mondial sud-africain fatal à sa carrière internationale. En fin de parcours, Govou reprend du service en Ligue 1 avec l’ETG, mais ses deux dernières années dans l’élite sont ternies par des blessures de longue durée. Au total, Govou facture 50 buts et 28 passes décisives en 327 matchs dans l’élite. Plutôt pas mal pour un mec qui était prêt à se lancer dans la recherche scientifique au cas où le football ne marchait pas.

#68 - Vahid Halilhodžić

Vahid Halilhodžić
Nantes (1981-1986), PSG (1986-1987)

Les débuts de Vahid Halilhodžić à Nantes sont loin de coller à la réputation du Bosnien. « La première année, il se casse la gueule, juge Jean-Claude Suaudeau dans les colonnes de L’Équipe. Il vient même s’entraîner avec moi, avec l’équipe réserve. » Mais Coco remplace Jean Vincent sur le banc l’été suivant, et l’attaquant remonte la pente. « C’est un guerrier. Il y en a qui en avaient peur. Donc je lui dis : « Maintenant, la statue, c’est terminé. Tu ne restes pas là-bas, tu viens récupérer le mouvement de l’équipe. Tu t’imprègnes du mouvement de l’équipe et tu t’en extrais quand tu vas sentir que c’est le moment. Et là, on verra le vrai Vahid. » Et il a tout cassé. » Alimenté par Bruno Baronchelli et Loïc Amisse, il inscrit à lui seul 35% des buts des Canaris en 1982-1983 sur la route du titre, conquis haut la main. Meilleur buteur du championnat cette saison-là (27 réalisations), il pousse le curseur encore plus haut en atteignant les 28 buts en 1984-1985, synonymes de nouveau sacre au royaume des canonniers. « Il s’est éclaté, parce qu’il savait tout faire, abonde Patrice Rio. Une technique exceptionnelle, un bon jeu de tête, il n’avait que des qualités, en fait. À partir du moment où il a saisi ce qu’on lui demandait et où on a su comment le toucher, c’est devenu réellement impressionnant. Je n’ai jamais rencontré un attaquant de pointe comme Vahid. Un talent pur, une grosse bête qui avait pourtant une vivacité gestuelle incroyable. Quand il venait en décrochage, il n’y avait pas moyen de lui prendre le ballon, il avait une présence énorme. On pouvait le comparer avec Ibra, oui, c’était parfaitement ça. (…) Et c’est vrai qu’à l’entraînement, comme moi, il ne donnait pas sa part au chien et on s’asticotait. C’était une bête athlétique. Et un caractère. » Résultat : 101 buts en 181 matchs de D1. Pas étonnant qu’on le regardait « comme (s’il était) Brigitte Bardot »

#67 - André Strappe

André Strappe
Lille (1948-1956 puis 1957-1958), Le Havre (1959-1961)

112 pions en 341 matchs de D1 : chez André Strappe, les stats parlent d’elles-mêmes. Auteur de saisons remarquables à Lille – dont il était capitaine – durant l’après-guerre (vingt caramels en 1948-1949 et en 1951-1952, dix-sept en 1949-1950), l’attaquant nordiste (il est né à Bully-les-Mines) sera champion en 1954 avec les Dogues (après un exercice à treize réalisations) au cours d’une période dorée pour le club (trois fois vice-champion entre 1949 et 1951, puis troisième en 1952). Même si c’est avec la Coupe de France qu’il garnira le plus son palmarès (trois fois vainqueur, deux avec le LOSC et une avec le HAC). L’international français (23 capes, 4 buts et participation au Mondial 1954) s’est éteint au Havre, le 10 février 2006, à l’âge de 77 ans.

#66 - Patrick Battiston

Patrick Battiston
Metz (1973-1980), Saint-Étienne (1980-1983), Bordeaux (1983-1987 puis 1989-1991), Monaco (1987-1989)

La culture de la gagne. Partout où il passe, en club comme en sélection nationale, Patrick Battiston se débrouille pour enrichir son palmarès. Sauf à Metz, son club formateur, où le défenseur est lancé dans le grand bain à 17 ans et qu’il contribue à maintenir in extremis dans l’élite, en 1980, grâce à un doublé face au PSG (5-2) à l’occasion de son dernier match sous le maillot grenat. Parti à Saint-Étienne, ce joueur polyvalent, au style élégant, à la fois très efficace dans l’exécution des tâches défensives et capable d’apporter des solutions offensives, est sacré champion en 1981, à l’issue d’une saison pleine (tous les matchs de championnat disputés). Les Verts entament alors un inexorable déclin, mais « Battiste » , lui, continue de voler de sommet en sommet, s’offrant trois nouvelles couronnes nationales avec le grand Bordeaux (1984, 1985, 1987) puis une dernière avec le flamboyant Monaco d’Arsène Wenger (1988). Champion d’Europe 1984 avec les Bleus, l’homme aux 558 apparitions en D1 est ainsi l’un des seuls joueurs de l’histoire, avec Bernard Gardon et Alain Roche, à avoir remporté le championnat de France avec trois écuries différentes. Et dire que certains ne voient toujours en lui que la victime de l’horrible charge d’Harald Schumacher…

#65 - Julien Darui

Julien Darui
Olympique lillois (1937-1939), Red Star (1939-1942), Lille (1942-1945), Roubaix (1945-1953)

Au poste de gardien, Julien Darui est parvenu à réaliser des miracles en partant de rien. Et pour cause. Mesurant à peine 1,69 mètre, le portier s’est en effet décidé à faire de son cerveau l’atout principal d’une palette physique pourtant fragile, jusqu’à être élu « Gardien du siècle » par L’Équipe, en 1999. Né à Oberkorn au Luxembourg, Darui grandit en Lorraine et se révèle à Charleville, en D2. Il y réalisera son premier exploit, en emmenant les siens jusqu’en finale de la Coupe de France de 1936, perdue face au RC Paris (1-0). Un tour de l’Est qui lui permet alors d’imposer son style, en décalage complet avec les critères de la fin des années 1930. Habitué au gardiens rugueux, solides sur leur ligne et ne prenant jamais de risque ballon en main (ou au pied), le football hexagonal voit débouler une véritable furie. N’hésitant jamais à sortir au contact de ses adversaires, dans les airs notamment, ou à quitter sa surface en conduite de balle, le feu follet détonne, au point de séduire l’Olympique lillois.

L’entrée dans l’élite, entre 1937 et 1940, est des plus concluantes (57 matchs), alors qu’il n’est âgé que de 21 ans. Quelques saisons pour se mettre en jambes et rallier le grand Red Star, pour quelques mois seulement en réalité, guerre oblige. Au terme du conflit, Darui reprend sa marche en avant du côté de Saint-Ouen, s’adjugeant une Coupe de France en 1942 et confortant son statut d’international français, entamé en 1939 (25 capes). Avec les Bleus, il devient d’ailleurs le premier gardien capitaine de l’histoire de la sélection. Innovateur sur le terrain, précurseur en dehors, Julien Darui reviendra dans le Nord, au sortir du conflit mondial, d’abord au LOSC, puis à Roubaix, de 1945 à 1953. Au sein de l’écurie roubaisienne, il vivra d’ailleurs les plus belles heures de sa riche carrière, enchaînant pas moins de 236 rencontres et remportant, paradoxalement, son seul titre de champion, au printemps 1947. Manuel Neuer n’a rien inventé.

Crédit photo : Red Star

#64 - Neymar

Neymar
PSG (2017-)

Pour être totalement transparent, Neymar a probablement été l’un des joueurs les plus durs à classer dans ce top 1000. Car c’est un fait, le Brésilien n’a jamais disputé plus de 22 matchs dans une saison de Ligue 1 depuis son arrivée au PSG pour un montant record à l’été 2017. Sauf que dès qu’il est sur le terrain, celui qui a joué dans le film XXX: Reactivated et dans la série La Casa de Papel régale par ses dribbles, sa vista, sa précision face au but, son arrogance, son insolence, son talent. Il n’y a qu’à voir ses statistiques (80 buts et 46 passes décisives en 105 matchs de Ligue 1) pour s’en rendre compte. Et surtout, il y a eu cette saison 2017-2018 lors de laquelle il a suffi de 20 matchs au Ney pour être 3e meilleur buteur du championnat (19 pions), meilleur passeur (13 offrandes), 2e joueur de champ – après Carlos Eduardo – à choper un 10 dans L’Équipe après un quadruplé et 2 passes D lors d’un 8-0 infligé à Dijon et être élu joueur de l’année par l’UNFP et France Football. Il faut dire que ce Neymar prime est peut-être le meilleur joueur de l’histoire du championnat de France (Messi débarquant en fin de carrière en Ligue 1, tandis que Zidane, Platini ou encore Benzema ont connu leur prime à l’étranger). Ou en tout cas l’un des meilleurs joueurs. Alors oui, après ça il y a eu beaucoup de blessures, beaucoup d’histoires extrasportives, beaucoup de coups de sang, beaucoup de blabla. Mais aussi beaucoup de galettes, beaucoup de crochets destructeurs, beaucoup de buts sensationnels – comme son retourné contre Strasbourg – et beaucoup de penaltys transformés. Car s’il y a bien un classement où il est, en revanche, beaucoup plus facile à classer, c’est celui des meilleurs tireurs de penaltys de l’histoire. Et il n’est pas 64e de celui-ci.

#63 - Eden Hazard

Eden Hazard
Lille (2007-2012)

Non, Eden Hazard n’a pas toujours chauffé le banc du Real Madrid. Le génie belge a même souvent eu pour habitude de faire vibrer les foules par son clinquant talent, sa patte droite de velours et sa pointe de vitesse surprenante balle au pied. Et avant d’offrir tous ses artifices à Chelsea, Hazard a fait les belles années du LOSC.

Sans barbe, plus sec, et encore plus petit, le Belge se pointe chez les Dogues à l’âge de quatorze ans, fait ses classes chez les jeunes et intègre le groupe professionnel deux ans plus tard. Première apparition à Nancy en novembre 2007, premier but un an plus tard contre Auxerre, ce qui fait de lui le deuxième plus jeune buteur de l’histoire du club : Hazard réalise des débuts prometteurs dans l’élite, jusqu’à obtenir le trophée du meilleur espoir en 2009. À partir de ce moment-là, Rudi Garcia ne s’en passera plus et fera du Belge l’une des pièces maîtresses de son projet. Un chemin pavé d’or en 2011, quand Lille remporte la Ligue 1. Avec vingt pions et dix-huit passes décisives sur les 38 rencontres de cette édition, celui qui est logiquement élu meilleur joueur du championnat est évidemment pour beaucoup dans ce sacre. Au total, Hazard sera resté cinq saisons en France, aura porté la tunique blanc et rouge à 194 reprises, mais a surtout marqué l’élite par des gestes d’anthologie. En témoignent sa frappe dantesque dans un Vélodrome plein à craquer ou encore son slalom dans la défense stéphanoise avant de crucifier Stéphane Ruffier d’un extérieur du pied.

Encensé par Zinédine Zidane après cette saison grandiose, qui n’avait pas hésité à le mettre au milieu de Lionel Messi et Cristiano Ronaldo au moment de citer les joueurs les plus spectaculaires du moment, Hazard retrouvera son idole près de dix ans plus tard au Real Madrid. Il n’y a, hélas, toujours pas retrouvé sa forme lilloise.

#62 - Jean-Paul Bertrand-Demanes

Jean-Paul Bertrand-Demanes
Nantes (1969-1987)

Un mètre 92 de charisme, 531 rencontres dans l’élite, quatre titres de champion de France, six fois vice-champion, une Coupe de France, seulement 26 buts encaissés en championnat en 1981-1982 (record de l’époque), 18 ans de carrière et un seul maillot jamais porté : celui du Football Club de Nantes, dont il est encore aujourd’hui le joueur le plus capé. Non, « Le Grand » ne l’était pas que par la taille. « À l’époque, Nantes avait trois gardiens blessés : Daniel Eon, André Castel et Jean-Michel Fouché, rembobinait le gardien de but en octobre dernier à l’occasion d’un entretien fleuve dans nos colonnes (lors duquel il racontait également son combat contre le cancer). Le club cible alors Dominique Dropsy, mais ses parents voulaient qu’il passe le bac. Blanchet et Henri Michel m’avaient remarqué en lever de rideau d’un match des Bleus, au Parc des Princes. J’avais joué une mi-temps et fait un carnaval. Ils l’ont dit à Arribas, et voilà. [Les Girondins] me tournaient autour, mais Christian Fétis, mon entraîneur de l’époque à Pauillac, me disait d’attendre. Et Nantes, le grand club du moment, vient voir mes parents. Je leur donne mon accord, et ils signent, parce que j’étais mineur. J’arrive à Nantes en train, avec ma mère, parce que mon père bossait ce jour-là. J’ai 17 ans, je joue contre Marseille dans la foulée, victoire 2-1. […] D’autres clubs m’ont sollicité : Lyon, Reims, Lille. Ok, ils proposaient 5000 francs de salaire en plus, mais ça valait une prime de victoire avec Nantes, et j’avais plus de chances de gagner un match avec Nantes qu’avec les autres clubs. Donc je suis toujours resté là, sans regret. Une ville sympa, un super club, Arribas, Suaudeau, les parents qui faisaient la route dans la Dauphine familiale tous les 15 jours… On n’était pas les meilleurs footballeurs de France, mais l’ensemble était le meilleur football de France. À part Henri Michel, on était des bourrins, hein. D’ailleurs, de ma génération, sauf Max Bossis, qui a réussi en dehors de Nantes ? »

Si sa carrière internationale ne sera jamais à la hauteur de ce qu’il réalisait en club, c’est, d’après ses propres dires, à cause de ce qui s’est joué dans l’intimité des vestiaires de Marcel-Saupin au début des années 1980 : « [En 1980-1981], je me blesse au genou et sur le match de reprise, je suis mauvais de chez mauvais. Suzanne, la femme d’Henri Michel, écoute le match sur France Inter. Le lendemain, elle appelle Henri : « Putain, je sais pas s’il avait fumé de la coke ou quoi, mais le journaliste a été odieux avec Jean-Paul. » Des phrases du style « qu’est-ce qu’il fout sur un terrain de foot », « c’est une erreur de la nature ». Au match suivant à Marcel-Saupin, le journaliste, Fabrice Baledent, arrive à la porte du petit bar privé des joueurs et du club. Je lui dis : « Ne rentrez pas ici, sinon vous allez voir ce qu’il va se passer. » Et il entre. Je l’ai pris, une baffe, et je l’ai sorti. Voilà, en 1982, Hidalgo ne voulait pas risquer que cette histoire ressorte pendant la Coupe du monde. Henri Michel, mon seul ami dans le foot, me l’a dit. » En revanche, il aura bien le droit au fameux match face à Bob Marley et sa bande, le 11 mai 1981 : « C’était un petit match, avec des buts de hockey. On en a fait des parties contre des musiciens dingues de foot. Super musiciens oui, mais très mauvais footballeurs. Alors que Bob Marley et ses gars se débrouillaient très bien, même si on a gagné. Après, je me suis mis dans les buts, et il m’a mis quelques frappes. […] Je me souviens qu’ils nous avaient invités dans leur bus pour nous remettre un disque dédicacé. Les « pétos », ça y allait là-dedans, ils avaient des cônes, des trucs de fou. Le soir même, lors de leur concert à Nantes, Bob Marley avait fait un tabac en jouant avec le maillot de Nantes qu’Henri Michel lui avait filé. C’était quelque chose, le FC Nantes, ça faisait partie de la ville. Quand on sortait, les gens nous reconnaissaient, parce qu’on était proches d’eux. Au stade, on garait notre voiture et on passait au milieu des gens pour rejoindre le vestiaire. »

#61 - Sylvain Kastendeuch

Sylvain Kastendeuch
Metz (1982-1984 puis 1985-1990), Saint-Étienne (1990-1993), Toulouse (1993-1994), Metz (1994-2001)

Le 19 mai 2001, Steve Jobs se frotte les mains : ses deux premiers Apple Store voient enfin le jour. Le premier ouvre ses portes dans la matinée à Tysons Corner, Virginie. Le second un peu plus tard dans la journée du côté de Glendale, Californie. À quelque 9247 kilomètres de là, le stade Saint-Symphorien accueille la 34e et dernière journée de Division 1 entre le FC Metz et les Girondins de Bordeaux. Personne ne retiendra de cette soirée la victoire 2-0 obtenue par les Lorrains grâce à des buts de Gérald Baticle et Jonathan Jäger, pas plus que la 12e place finale des Grenats ou la 4e des Girondins. Ce soir-là, tout le monde est venu pour participer à la même fête : la 577e et dernière apparition de Sylvain Kastendeuch en Division 1, celle qui fait encore de lui aujourd’hui le cinquième joueur le plus capé de l’histoire de l’élite française et le deuxième joueur de champ derrière Alain Giresse (586).

Le joueur messin s’est fait beau, l’émotion se lit sur chacun des traits de son visage, et sa poignée de main au capitaine d’en face, le champion du monde et d’Europe Christophe Dugarry, transpire le respect mutuel. Au nom de tout le foot français, Duga regarde son homologue avec les yeux de l’admiration : il a en face de lui un Kastendeuch qui, tout défenseur central qu’il est, n’a jamais pris de carton rouge de sa carrière. Le natif d’Hayange, sourire aux lèvres, porte dans sa main gauche un bouquet de fleurs plus grand que lui et reçoit des mains du capitaine girondin une caisse en bois qui contient certainement un bordeaux qu’on ne trouve pas en bas des rayons du supermarché. Le tableau est parfait. À 19h58, l’œil que le Paolo Maldini de la Moselle jette en tribune est humide au moment de lire une banderole « Papa on t’aime » écrite par quelqu’un dont on imagine être son enfant.

Bonnissel, assassin !

À 20h05, le printemps prend une drôle de tournure pour Sylvain Kastendeuch : le latéral gauche bordelais Jérôme Bonnissel s’envole sur son côté gauche et adresse un centre qui n’atterrit ni sur la tête de Pedro Miguel Pauleta ni dans la surface de réparation de Faryd Mondragón. En chemin, le ballon a percuté violemment le visage du numéro 5 grenat, qui s’effondre brutalement et ne gardera aucun souvenir d’un stade plein qui n’avait pas prévu de lui dire au revoir dès la 6e minute. Après avoir perdu connaissance pendant cinq minutes, Kastendeuch est évacué sur un brancard, reçoit quelques soins sur le parking de Saint-Symphorien durant un quart d’heure, passe la nuit à l’hôpital. La soirée de sa vie se passe donc sans lui, et les petits fours finiront dans les estomacs de Philippe Gaillot, Fred Meyrieu et Geoffray Toyes. Le lendemain, il ne pourra pas non plus honorer son invitation sur le plateau de Téléfoot. Le 19 mai 2001, Sylvain Kastendeuch a prouvé une chose : tomber dans les pommes n’était pas un exercice réservé aux gens de la Virginie et de la Californie.

Par Quentin Ballue, Jérémie Baron, Adel Bentaha, Raphaël Brosse, Clément Gavard et Steven Oliveira, avec toute la rédaction de SF

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