- Top 100 : les équipes mémorables de la décennie
Top 100 : les équipes mémorables de la décennie (de 10 à 6)
La décennie 2010, c'était Mourinho qui danse sur la pelouse du Camp Nou, Balotelli qui bombe le torse, Bielsa assis sur une glacière, Eder qui fait pleurer un pays, Griezmann qui le console, mais c'était surtout des équipes qu'il ne faudra pas oublier. En voici 100, pour l'histoire.
#10 - Luzenac 2013-14
Luzenac 2013-14, un village de 640 habitants qui aurait dû débarquer en L2
Au printemps 2014, le Luzenac Ariège Pyrénées fête une improbable montée en Ligue 2. Plus dure sera la chute au mois d’août avec un retour à la case DHR (7e échelon national). La raison invoquée alors par la LFP ? Le stade Ernest-Wallon de Toulouse ne pouvait pas convenablement héberger un club de Ligue 2, pas plus que le stade municipal de Foix où Luzenac jouait en National.
Cinq ans plus tard, la justice a déclaré en août dernier que le conseil d’administration de la LFP n’avait pas le droit d’empêcher le Luzenac Ariège Pyrénées et son village de 640 habitants d’accéder à la Ligue 2. Un rêve brisé injustement, donc. Aujourd’hui, l’équipe première du LAP joue en Régional 1. La bonne nouvelle, c’est que le club a retrouvé ce bon vieux stade Paul-Fédou, où Luzenac a écrit son histoire avant devoir se délocaliser, puis de se faire enfler par la LFP. Ce stade, c’est une certaine idée du foot de village en montagne, comme nous l’a raconté Tristan M’Bongo, l’ancien buteur de Luzenac reconverti chauffeur VTC :
« Ah, ce fameux terrain en pente de Luzenac ! C’était mon petit terrain fétiche. Au début du match, à la pièce, on choisissait toujours le côté en pente, côté sapinettes ! C’était une technique du coach et de notre capitaine Sébastien Mignotte pour qu’on essaye de faire la différence rapidement. On jouait de ce côté pour surprendre l’adversaire d’entrée. Comme ça, moi, en première période, je faisais la différence le plus vite possible en jouant sur ma vitesse. En plus, le terrain était assez petit et donc j’arrivais assez vite aux cages adverses… Et en pente encore plus vite ! Moi, je pouvais tenir une mi-temps et demie, pas beaucoup plus… Trop de soirées sans doute ! Les équipes pros qui venaient jouer chez nous, comme Créteil ou Strasbourg, hallucinaient en arrivant sur le terrain avant le match. On entendait toujours : « Mais c’est quoi ce terrain en pente ?!« » FL
Le XI du match contre Boulogne que l’on croyait être celui de la montée en L2 : Westberg – Dieuze, Outrebon, Mango – Sanaïa, N’Gosso, Makalou (Diakota, 65e), Hergault, Ech-Chergui – Hébras (M’Bongo, 80e), Boutaïb.
#9 - Inter 2009-2010
Inter 2009-2010, un triplé inédit en Italie
Pour beaucoup, l’Inter 2010 de José Mourinho se résume à cette demi-finale retour de Ligue des Champions au Camp Nou face au Barça où Samuel Eto’o a évolué latéral droit durant quasiment la totalité de la rencontre. Sauf que ceci est malhonnête. Déjà parce que si l’attaquant camerounais a fait un dépassement de fonction c’est en grande partie à cause de l’exclusion très sévère de Thiago Motta – pour une main sur le visage de Sergio Busquets – dès la demi-heure de jeu qui oblige alors l’Inter à laisser le ballon aux Blaugranas. Mais surtout car si l’Inter a pu se permettre de défendre et de s’incliner 1-0 lors de la manche retour, c’est parce que la plus grosse partie du travail avait été réalisé à l’aller. Un match où Samuel Eto’o n’a pas joué latéral droit, mais bien à l’avant, comme l’ensemble de son équipe qui a livré un véritable récital offensif et tactique. Car oui, c’est bien dans le jeu que le Barça de Pep Guardiola s’est fait manger par l’Inter de José Mourinho. Le moindre une-deux au milieu de terrain était intercepté par la paire Cambiasso-Motta, tandis que Maicon se chargeait de mettre Lionel Messi dans sa poche et que Zlatan Ibrahimovic était coincé entre les larges épaules de Lucio et de Samuel. Une fois le ballon récupéré, l’Inter pouvait alors déployer son jeu à lui avec Wesley Sneijder à la baguette et Diego Milito à la conclusion. Un duo qui a, de nouveau, fait des merveilles en finale de la Ligue des Champions face au Bayern Munich (2-0), en finale de Coupe d’Italie contre la Roma (1-0) et en championnat que l’Inter a remporté devenant ainsi le premier club italien à réaliser le triplé. SO
Le XI de l’Inter qui a roulé sur le Barça en demi-finale aller de Ligue des Champions (4-2-3-1) : Julio César – Zanetti, Lucio, Samuel, Maicon – Cambiasso, Motta – Pandev, Sneijder, Eto’o – Milito.
#8 - Chapecoense 2016
Chapecoense 2016, pour ne jamais oublier
Article publié le mardi 29 novembre 2016 :
C’était la belle histoire brésilienne de l’année. Chapecoense, un club sorti de nulle part : fondé en 1973 dans la ville de Chapeco, à l’ouest de l’État de Santa Catarina, encore en Serie D en 2009, promu en Serie A en 2014, qualifié pour la deuxième année consécutive pour la Sudamericana, la Ligue Europa d’Amérique du Sud. Et l’aventure continue : élimination de deux poids lourds argentins, l’Independiente de Gaby Milito (huitièmes) et San Lorenzo (demi-finales), et des Colombiens de Junior de Barranquilla (quarts), pour se glisser jusqu’en finale. Dimanche, l’équipe dans laquelle a débuté Vitorino Hilton s’inclinait 1-0 avec ses remplaçants dans la folie de l’Arena Palmeiras, où le club du même nom de São Paulo était sacré champion du Brésil. Lundi soir, à 22h34, heure de Bogota, l’avion CP2933 de la compagnie vénézuélienne LAMIA, qui transportait l’équipe, se crashait dans la localité de Cerro Gordo, à une cinquantaine de kilomètres de Medellín, sa destination finale. Mercredi soir, le match aller de la finale face à l’Atlético Nacional devait avoir lieu devant 45 000 personnes, à l’Atanasio Girardot. « On était comme une famille qui vivait en harmonie, a réagi Plinio de Nês, dirigeant historique du club. Avant d’embarquer, les gars disaient qu’ils voulaient faire de ce rêve une réalité. Ce rêve s’est terminé cette nuit. »
« Une immense tragédie »
Le bilan provisoire : 76 morts (joueurs, staff, équipage, journalistes, invités) et cinq survivants, dont les joueurs Neto, Follmann et Ruschel. L’épouse de ce dernier, le premier à être évacué, a été l’une des premières à informer sur les réseaux sociaux : « Grâce à Dieu, Alan est à l’hôpital, dans un état stable. Nous prions pour tous ceux qui n’ont pas encore pu être secourus. Une situation difficile. Seul Dieu peut nous donner de la force. Merci Dieu. » Malgré un climat hostile, qui a empêché les hélicoptères d’intervenir dans la nuit, six personnes encore en vie (l’avion, coupé en trois, n’a pas explosé) ont pu être transportées dans les hôpitaux locaux. L’une d’entre elles est décédée sur le chemin. Danilo, le gardien titulaire, héros des tours précédents, est mort à l’hôpital. « On travaille encore pour évacuer les corps afin de pouvoir les rendre aux familles, a précisé le général José Acevedo, chef de la police d’Antioquia. Au lever du jour, nous pourrons commencer à les envoyer vers leur pays d’origine. » Le motif évoqué de l’accident est une « faille électrique » . L’avion avait décollé hier de São Paulo, avant de faire une escale à Santa Cruz de la Sierra, en Bolivie. Après le Torino et Manchester United en Europe, The Strongest et l’Alianza de Lima en Amérique du Sud et l’équipe nationale de Zambie, Chapecoense est la nouvelle équipe décimée par un accident aérien. « Alors qu’on était arrivés, je ne vais pas dire au summum, mais à se faire une place sur la scène nationale et internationale, cette tragédie nous tombe dessus. C’est très dur. Une immense tragédie » , exprimera Ivan Tozzo, le vice-président du club. LR
Le XI battu par Palmeiras (1-0) la veille du crash (4-1-4-1) : Danilo – Gimenez, Marcelo, F. Machado, Ruschel – Biteco – L. Gomes, S. Manoel, C. Santana, Tiago – B. Rangel.
Retrouvez un reportage complet sur la terrible histoire de Chapecoense dans le SO FOOT #144.
#7 - Zambie 2012
La Zambie championne d’Afrique à la surprise générale
Ils s’appelaient David Chabala, Samuel Chomba, Derby Makinka, Wisdom Mumba Chansa, Winter Mumba… Le 27 avril 1993, ils font partie des trente victimes du Vol 319 Zambian Air Force. Ce jour-là, un moteur de l’appareil s’enflamme, mais le signal lumineux censé avertir l’équipage ne fonctionne pas et l’avion qui transporte la sélection de Zambie s’embrase petit à petit, avant de s’écraser tragiquement dans l’océan, à quelques encablures des côtes gabonaises. En tout, dix-huit joueurs périssent. Ils étaient censés rallier Lusaka, la capitale zambienne, à Dakar, via une escale à Libreville, pour disputer un match qualificatif pour le Mondial 94. La plus belle génération du football zambien venait de disparaître.
Signe du destin et exploit d’entrée
Près de dix-neuf ans plus tard, les Chipolopolos rallient la finale de la Coupe d’Afrique 2012, organisée au Gabon et en Guinée équatoriale, à la surprise générale. La Zambie va-t-elle remporter la CAN pour la première fois de son histoire au stade d’Angondjé de Libreville… à une poignée de kilomètres du lieu du crash de 1993 ? Le sélectionneur, Hervé Renard, y voit alors « un signe du destin » et n’a de cesse de songer depuis le début de la préparation à cette finale à Libreville, le 12 février 2012. Il faut se rappeler l’exploit colossal de la Zambie 1994, qui était parvenue à reconstituer une équipe autour de Kalusha Bwalya (le capitaine et entraîneur de l’équipe en 1993 avait été retenu par son club, le PSV Eindhoven, quand la sélection mit le cap sur le Sénégal), pour atteindre la finale de la CAN, un an seulement après la tragédie.
D’entrée, lors de cette CAN 2012, la Zambie crée la sensation contre le Sénégal (2-1). S’ensuivront un match nul avec la Libye (2-2), une victoire contre la Guinée équatoriale (1-0). Puis une raclée infligée au Soudan (3-0) en quarts de finale et une nouvelle prouesse contre le Ghana (1-0), en demies. La Zambie tient alors son rendez-vous avec l’histoire. « Ce groupe avait un état d’esprit exceptionnel. Au niveau humain… J’en parle toujours avec émotion parce que je ne suis pas sûr de pouvoir revivre ça une nouvelle fois dans ma vie, témoigne Hervé Renard, la voix tremblante au bout du fil. On avait une foi en commun. Les joueurs ne se plaignaient jamais, ne se mettaient pas en colère. Mais c’est dans la culture zambienne parce que ça a toujours été un pays pacifique. »
Trois jours avant la finale contre la Côte d’Ivoire, la délégation zambienne part se recueillir sur le sable gabonais, face à l’océan, en mémoire des victimes du Vol 319 Zambian Air Force. « En 1993, les Chipolopolos sont venus dans cette ville pour tenir une promesse. Ils n’ont pas réussi, mais ont donné leur vie pour une noble cause, le rêve d’apporter la gloire à leur pays, la Zambie. C’est la même cause qui nous a amenés ici. La seule différence, c’est que nous sommes vivants alors que mes anciens partenaires ne sont plus là. Mais leurs rêves sont désormais les nôtres » , déclare Kalusha Bwalya lors de la cérémonie. « C’était notre devoir de nous recueillir » , souligne aujourd’hui Hervé Renard.
Le maillot orange et la mort subite
À l’heure de la causerie d’avant-match, le coach qui avait formé la génération zambienne entre 2008 et 2010, avant d’être rappelé en 2011, évoque la mémoire des disparus de 1993 à ses joueurs. « J’en ai parlé, mais sans trop en rajouter. Je leur ai aussi dit que la Côte d’Ivoire avait déjà perdu une finale de la CAN (contre l’Égypte, en 2006, ndlr). Ça laisse des traces indélébiles, ils pouvaient douter. » Face aux Éléphants, annoncés ultra-favoris, les Zambiens font jeu égal. À la mi-temps, le score reste bloqué à 0-0 malgré plusieurs occasions. Vient alors ce frisson, qui parcourt le stade à la 69e minute. Isaac Chansa fait tomber Gervinho dans la surface : penalty ! Didier Drogba s’avance, lui qui s’est déjà manqué dans l’exercice en quarts de finale contre la Guinée équatoriale. Et c’est encore raté ! Le capitaine ivoirien tire largement au-dessus de la cage. En fin de match, les deux équipes ont une balle de match chacune, mais ni Max-Alain Gradel ni Emmanuel Mayuka ne saisissent leur chance.
Pas mieux durant la prolongation, où la tension paralyse les débats. Cette 28e édition de la CAN se jouera aux tirs au but. Cheik Tioté marque pour la Côte d’Ivoire, Chris Katongo lui répond pour la Zambie. Et ainsi de suite, tous les tireurs convertissent leur tentative, jusqu’à la mort subite. À une exception près : Souleymane Bamba, le troisième tireur ivoirien, s’est vu stopper sa tentative par Kennedy Mweene, mais l’arbitre a fait retirer le penalty, jugeant que le gardien s’était avancé vers le tireur au moment de la frappe. Comme le font à peu près 99% des gardiens lors des séances de tirs au but sur la planète – Boubacar Barry Copa, y compris, côté ivoirien. « À ce moment-là, on sourit de façon ironique, mais on a la rage » , lâche Hervé Renard. Deux heures plus tôt, les Zambiens s’étaient vu refuser de porter leur maillot orange malgré le fait qu’ils étaient l’équipe numéro un sur la feuille de match, et le commissaire de la rencontre avait même ordonné aux Chipolopolos d’enlever leur veste de survêtement pendant les hymnes. « Bien sûr, on a refusé. Pourquoi on aurait dû les retirer le jour de la finale, alors qu’il n’y avait eu aucun problème pendant le reste de la compétition ? » , s’indigne Hervé Renard.
Après seize tentatives réussies sur seize, Kolo Touré craque le premier, donnant la possibilité à Rainford Kalaba d’offrir la Coupe d’Afrique à la Zambie ! Mais la frappe du huitième tireur zambien termine en tribune. Coup de théâtre, dans la foulée, Gervinho tire à son tour au-dessus de la barre. Cette fois, Stoppila Sunzu ne gâche pas l’occasion de sacrer la Zambie. « Le premier souvenir qui me revient de cette finale, c’est cette longue course de Sunzu, conte Hervé Renard. Et après, c’est comme si on s’envolait, on planait… Un sentiment de liberté. » L’homme reprend, ému : « En rentrant au pays, on m’a dit : « Vous avez placé la Zambie sur la carte de l’Afrique. » C’est le plus beau compliment qu’on ait pu me faire. » Sûr que là-haut, les disparus du Vol 319 Zambian Air Force ont apprécié. FL
Le XI de la finale remportée aux tirs au but face à la Côte d’Ivoire : Mweene – Nkausu, Sunzu, Himoonde, Musonda (Mulenga, 12e) – Lungu, Chansa, Sinkala, Kalaba – Katongo, Mayuka.
#6 - Chili 2015-2016
Chili 2015-2016, double vainqueur de la Copa América
Hommage publié en juillet 2017
Comme souvent en Amérique du Sud, cela a commencé par une révolution. En 2007 quand il arrive au Chili, Marcelo Bielsa interroge une quinzaine de gamins d’à peine vingt ans. Une quinzaine d’idéalistes aux rêves violents dont les chefs d’escadrille s’appellent Arturo Vidal, Alexis Sánchez ou Gary Medel. Il leur pose cette question : pourquoi le Chili, sélection mineure du football sud-américain, devrait continuer à courber l’échine docilement devant les grandes puissances continentales ? Pourquoi la fatalité voudrait que l’Argentine, le Brésil ou l’Uruguay soient supérieurs ? L’idée qu’ils peuvent renverser la table germe dans la tête de ces jeunes gens irrévérencieux : « Qu’importe où nous allions, ils étaient convaincus de pouvoir gagner et c’est contagieux, ils disaient : « On va jouer en Espagne, ils sont champions du monde, et alors ? » Rien ne fait peur à ces types, littéralement rien. Cette génération n’a pas de plafond. Quand je discute avec Arturo Vidal, le type est absolument convaincu qu’il peut être champion du monde » , se souvient Pablo Contreras, l’un des vieux grognards de l’équipe. En réalité, Arturo Vidal ne doute jamais de rien. C’est même à cela qu’on le reconnaît. Alors, quand avant un match éliminatoire contre le Paraguay en novembre 2016, le Rey déclare avec sa morgue habituelle que le Chili est la meilleure sélection du monde, on n’est pas obligé de le croire. Pourtant, les faits parlent pour lui. Depuis deux ans, la Roja a gagné les trois compétitions dans lesquelles elle était engagée : l’anecdotique China Cup et deux Copa América, une compétition que le pays n’avait jamais remporté. En deux finales très semblables, le Chili a imposé sa « paternité sur l’Argentine » , son pire ennemi. Decime que se siente ?
Argentina, Decime que se siente ?
À chaque fois, le même scénario : des matchs tendus, au couteau, Lionel Messi qui enrage de ne pas se défaire de l’étreinte de Gary Medel, deux résultats nuls et vierges et deux titres aux forceps, remportés aux tirs au but. Un domaine qui est devenu une spécialité chilienne depuis le 28 juillet 2014. Ce jour-là, à Belo Horizonte, le Chili s’incline lors de l’épreuve fatidique face au Brésil, en huitièmes de finale du Mondial quelques minutes après que Mauricio Pinilla ait fracassé la barre transversale. Un geste dont Jorge Valdano parlait ainsi : « Le résumé parfait, ce qui sépare la chance et la malchance, le hasard qui revendique toujours son importance dans ce jeu. » Mais ce jour là, les Chiliens se disent : « Nunca Mas ! » Ils ne veulent plus dépendre du hasard. Ils n’acceptent plus de se nourrir de triomphes moraux. L’acte manqué de Pinilla trouve un curieux écho quelques années plus tard, à la 118e minute d’un match contre le Portugal. Quand Arturo Vidal frappe le poteau et Martin Rodríguez la barre lors de la même action. La logique aurait voulu que le Chili s’écroule lors du dénouement. Mais non. Comme lors des deux finales de Copa América gagnées, Claudio Bravo est devenu gigantesque, les jambes des tireurs n’ont pas tremblé, prouvant ainsi que les tirs au but ne sont pas une loterie, mais bien une épreuve collective de force mentale. Gigantesque. Le Chili est porté par cette croyance irascible que l’équipe est plus forte que la fatalité. Comment expliquer, sinon, les succès de la Roja ?
Le miracle chilien
Il faut observer le corps trapu de Gary Medel pour réaliser que cette domination est une incongruité totale. Le fait qu’un type d’1m70, au corps d’haltérophile, que son club vient de placer sur la liste des transferts, soit capable de neutraliser Messi et Cristiano Ronaldo confine au chamanisme. Le fait que son associé Gonzalo Jara, défenseur moyen, parfois contesté à la U de Chile, se mue en roc infranchissable avec la sélection encore plus. À une époque où il est quasiment impossible de mesurer moins d’un mètre 85 pour évoluer en défense centrale, le fait que la troisième sélection au classement FIFA aligne une charnière dont aucun des membres ne dépasse le mètre 77 sous la toise est un anachronisme réjouissant. Et un petit miracle dont le Chili s’est fait spécialiste. En club, Edu Vargas n’a pas mis plus de cinq buts par saison en championnat depuis 2011. Il ne s’est imposé ni à Naples, ni à Valence, ni à Hoffenheim, ni aux Queens Park Rangers. Aujourd’hui, il croupit sur le banc des Tigres dans l’ombre d’André-Pierre Gignac. Et pourtant, dès qu’il se pare de rouge, il devient un goleador inarrêtable. Jean Beausejour et Mauricio Isla sont de bons joueurs, ils font les beaux jours de l’Universidad de Chile et de Cagliari. Mais soyons francs, intrinsèquement ils sont loin du top niveau international à leurs postes. Alors comment expliquer qu’en sélection, ils deviennent des contre-attaquants magnifiques et des défenseurs intraitables, capables de délivrer du caviar sur leurs centres et de rendre leurs couloirs hermétiques. Cette mue n’existe dans aucune autre sélection. Le Chili l’a érigé au rang d’art. Les joueurs chiliens ne se subliment pas avec le maillot rouge, ils se transfigurent ! Évidemment, cette transformation serait impossible sans la présence de deux joueurs extraordinaires : Arturo Vidal et Alexis Sánchez. Et d’un excellent gardien. Mais faire une telle équipe de trois chevaux de course et huit bourriques est un impensable tour de force.
Onze types et un drapeau
Certains argueront que le prototype de Bielsa – qui attaquait à tout-va, sans jamais laisser de répit à l’adversaire et sans se soucier des conséquences –, ou que le onze flamboyant de Sampaoli lors du Mondial brésilien étaient de plus belles équipes que le Chili de Pizzi. Ils ont tort. Jusqu’en 2014, la Roja ne gagnait rien. Et aussi bête que cela puisse paraître le football est avant tout une affaire de victoire. Et le Chili a appris à gagner, porté par les mêmes hommes depuis dix ans. La quinzaine d’idéalistes aux rêves violents de Bielsa brûle toujours du même feu, mais ils ont gagné en maturité. Ils sont conscients de leurs limites, savent gérer les temps faibles, endormir l’adversaire sans avoir rien perdu de leur talent, leurs fulgurances ou de leur grinta. Ils sont moins naïfs, savent être vicieux, truqueurs quand il le faut. Ils se connaissent par cœur, affichent une discipline collective qui n’existe nulle part ailleurs, un esprit sacrificiel unique. Ils sont l’expression maximale de ce que doit être une sélection nationale. Pas un assemblage de talents, mais onze types qui font corps pour un drapeau qu’ils aiment plus que tout (sans nationalisme nauséabond). Récemment, Jorge Valdano déclarait : « Le Chili, c’est le triomphe d’une génération. L’Allemagne ou l’Espagne, le triomphe d’une école. » Comme souvent, l’Argentin a raison. Derrière Medel, Vidal, Aránguiz, Beausejour et consorts, c’est presque le néant. La Roja affiche plus de trente ans de moyenne d’âge. Le joueur le plus jeune de l’équipe type a 27 ans. Le Chili est à la croisée des chemins, quelque part entre la force de l’âge et déjà bientôt le début du déclin. La domination chilienne s’arrêtera un jour, alors profitons encore un peu de ces onze types aux tatouages de taulards et aux gueules intimidantes. Ils sont ce que le football a de plus beau à offrir. AJ
Le XI vainqueur de l’Argentine en finale de la Copa América Centenario (4-3-3) : Bravo – Isla, Medel, Jara, Beausejour – Vidal, Diaz, Aranguiz – Fuenzalida, Vargas, Sanchez.
Par la rédaction de sofoot.com