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Mark Landers : « Au début, je me faisais appeler Dark Landers »
Sa longue crinière, son maillot sans manche et son tir du Tigre ont marqué toute une génération de footballeurs. Modèle pour les uns, véritable mentor pour les autres, Mark Landers a écrit l’histoire de ce sport en lettres d’or. Aujourd’hui âgé de 53 ans, Mark a accepté de revenir sur sa carrière et de lâcher quelques vérités.
#1 - Mark Landers, Olive et Tom
Bonjour Mark. Déjà, avant même de commencer, une question d’ordre national. Faut-il t’appeler Mark ou Kojirō ?
Heureusement que tu poses cette question en 2023, car il y a 30 ans, je me serai beaucoup énervé. (Rires.) En réalité, aujourd’hui, j’accepte les deux. Mon nom de naissance est Kojirō, mais quand j’ai eu 8 ans, j’ai vu pour la première fois Star Wars, et je suis tombé amoureux de Dark Vador. J’ai voulu aussi un nom qui sonne « méchant ». Au début, je me faisais appeler Dark Landers, j’avais même acheté une cape noire, je trouvais ça cool. Mais j’ai fini par changer ça en Mark, parce que des professeurs m’ont fait des réflexions à l’école. Tout le monde a commencé à m’appeler comme ça, j’ai fait un véritable rejet de mon vrai nom, je ne voulais plus du tout qu’on m’appelle Kojirō. Ça a duré quasiment jusqu’à la fin de ma carrière. Quand j’ai raccroché, et que je suis revenu m’installer à Meiwa, j’ai petit à petit renoué avec mon vrai prénom. Aujourd’hui, mes proches m’appellent Kojirō, et ceux qui m’ont connu sur un terrain de football m’appellent Mark.
Merci pour ces précisions. Alors, on meurt de savoir, que deviens-tu ?
Ça ne va pas vous rajeunir, mais j’ai 53 ans. (Rires.) Ça fait un peu plus de dix ans que je suis revenu m’installer à Meiwa, ma ville natale. Ma maman a 74 ans, elle n’est plus toute jeune, et c’était important pour moi de venir vivre à côté de chez elle. J’ai été beaucoup absent pendant toute ma carrière, à voyager un peu partout, donc je n’ai pas été très présent, contrairement à mes frères et sœurs. Aujourd’hui, je n’ai plus besoin de partir à l’autre bout de la planète, donc ça me paraissait important d’être proche d’elle.
Du coup, le foot, c’est complètement terminé ?
Ah non, pas du tout. Bien au contraire… Depuis trois ans, je suis revenu aux sources, et je suis désormais l’entraîneur de la Toho !
Oh, le coup de nostalgie !
Eh oui… Quand je suis revenu à Meiwa, mon fils avait 11 ans, il entrait au collège. Je l’ai donc inscrit à l’école de la Toho. Je me suis complètement replongé dans cet univers du football scolaire, j’étais le papa insupportable sur le bord de la pelouse qui hurle sur les joueurs. (Rires.) Je suis resté en contact avec le proviseur, et il y a trois ans, il m’a proposé de venir coacher l’équipe. Comment refuser ?
Et alors, tu as pris ta revanche en remportant le championnat national ?
Oui, nous l’avons gagné l’année dernière et cette année. Facile, il n’y a quasiment pas de rivalité… Depuis 2018, ils sont tous traumatisés par la défaite du Japon contre la Belgique et sont trop occupés avec leur projet Blue Lock qui ne mène à rien. Mais il semblerait que la Flynet, qu’on a battue en finale cette année, soit sur le coup pour faire revenir Philip Callahan au poste de coach…
Tu lui avais mis une sacrée gifle gratuite devant tout le monde quand tu étais gamin. C’est un geste que tu regrettes ?
Oh, ça va… Il m’agaçait avec ses petits airs de gamin gentil avec tout le monde. Je voulais le titiller un peu, ce n’était pas méchant, ce sont des conneries d’enfant… Visiblement, ça a quand même eu un petit impact, puisque quelques jours plus tard, au moment décisif, il a foiré son penalty en demi-finales contre Ed Warner.
Tu avais une relation particulière avec Warner.
Oui. On était très similaires, on a vécu des choses dans notre enfance qui faisaient écho l’un chez l’autre. On a vécu toute notre adolescence ensemble, pour le meilleur et pour le pire.
C’est-à-dire ?
Disons que quand j’étais enfant, je ne vivais que pour le foot. J’ai eu une vie compliquée, j’ai dû faire des petits boulots très jeune pour aider ma mère après le décès de mon père. Le foot, c’était ma porte de sortie, c’était absolument tout pour moi. Je savais que cela me permettrait de financer mes études, donc je ne pensais qu’à ça. C’était un peu la même chose pour Ed. Mais du coup, on a un peu oublié le reste, et quand on a été ados, tout ça a ressurgi. On a fait nos premières conneries ensemble. Les sorties en douce la veille d’un match important, les clopes en secret à la mi-temps… On se couvrait toujours l’un l’autre. Et puis de toute façon, on savait que le coach avait trop besoin de nous, on était indispensables, donc quelque part on était intouchables.
Revenons-en à toi. On t’a découvert très jeune, tu avais un sacré caractère, légèrement « petit con » si tu nous permets l’expression.
Je la permets, je l’adoube même ! J’étais clairement un petit con, mais c’est ça qui faisait mon caractère et mon personnage. Ça insufflait la peur chez mes adversaires, et ça forçait le respect chez mes coéquipiers, notamment le petit Danny Mellow qui me regardait toujours avec des grands yeux. Je l’ai même soupçonné d’avoir des sentiments pour moi, tellement il était collant… Après, c’est sûr qu’à un moment donné, je me suis un peu enfermé dans ce personnage. Si j’avais le malheur d’avoir un mot gentil pour un adversaire, mes coéquipiers me regardaient de façon bizarre, comme si j’avais laissé passer une faiblesse.
Comment faisais-tu pour avoir des bras de bodybuilder de 25 ans alors que tu avais 11 ans ?
Comme je te l’ai dit, j’ai fait pas mal de petits boulots pour aider ma mère. Personne ne m’a jamais parlé d’âge légal, j’ai bossé. Je soulevais des trucs, j’aidais à porter des cartons. L’école de la vie, quoi. Du coup pour m’endurcir, j’allais à la salle pour pousser la fonte, ça ne choquait personne. Mais je peux te dire que s’il y avait eu Instagram à l’époque, j’aurais fait un carton, c’est certain.
Ces manches retroussées, c’était ta marque de fabrique. Comment ça t’est venu ?
Toute personne qui fait un peu de musculation aime montrer ses résultats, non ? OK, j’avais 11 ans, mais j’étais fier de mes petits biceps. Du coup, j’ai commencé à retrousser les manches de mes T-shirts. Puis celles de mon maillot. Ça m’a donné un style, et je sais que ça a marqué les esprits. Dans les rues de Meiwa, je voyais souvent des gamins qui retroussaient leurs manches pour faire comme moi. En 2002, la Fédération camerounaise m’a appelé pour me dire qu’ils allaient sortir un maillot en mon honneur, avec les manches coupées. Eto’o m’en a d’ailleurs envoyé un, dédicacé, en me disant qu’il était l’un de mes plus grands fans. C’est sympa.
Tant qu’on est dans les confessions : la fameuse scène où tu tires dans les vagues, c’est fake, non ?
Comment ça ?
Bah, c’est un montage. Le ballon n’a jamais traversé les vagues, il est toujours revenu ou bien il est parti à la dérive…
Je ne me souviens pas bien. (Hésitant) J’allais tous les jours à la plage pour entraîner, donc je confonds un peu, ce n’est pas très clair dans mes souvenirs… (Il regarde son téléphone.)
On a souvent parlé de ta rivalité avec Olivier Atton. Tu te souviens de ce que tu t’es dit la première fois que tu l’as vu ?
Si je veux être tout à fait sincère, la toute première fois que je l’ai vu, je me suis dit qu’il avait une tête de victime. Je pensais que j’allais l’écrabouiller. Ensuite, je l’ai vu sur un terrain de football, et j’ai changé d’avis. Il avait du talent, mais il y a toujours eu un truc qui m’agaçait chez lui. Il était vraiment tout ce que je détestais dans le football, et pourtant j’étais bien conscient qu’il était hypertalentueux.
Aujourd’hui, on compare votre rivalité à celle entre Cristiano Ronaldo et Messi. Évidemment, tu es Ronaldo…
Encore heureux. Messi, je ne peux pas le piffrer. C’est comme Olivier… Ce sont des gars, tu n’as rien à leur reprocher. Ils sont forts, ils sont gentils, ils ont un énorme palmarès, ils ne font pas de vagues, et pourtant, je n’y arrive pas. Olivier, avec le temps, nous sommes devenus de vieux compagnons de route, on se croise, on se salue. On a vécu pleins de choses, mais je ne pourrai jamais dire de lui que c’est un ami. C’est quelqu’un que je respecte, bien sûr, mais il y a trop de points sur lesquels nous sommes trop différents.
Tu étais quand même à son mariage…
Et ?
Bah, c’est que vous êtes quand même un minimum proches, non ?
Tu sais comment est Olivier, c’était surtout pour ne pas faire de polémiques, à mon avis… Il invite tout le monde, comme ça personne ne peut dire « ah mais moi, il ne m’a pas invité ». Mais moi, par exemple, je ne l’ai pas invité au mien… (Silence)
Mark Landers, aujourd’hui âgé de 53 ans.
Image générée par Midjourney
Tant qu’on est dans les confessions, tu peux peut-être nous le dire : Roberto Sedinho, il était avec la mère d’Olivier, non ?
Ah, ça, c’est le grand tabou. (Rires) Ça faisait rire tout le monde à l’époque mais Olivier était hypersensible sur le sujet. J’ai toujours gardé ça comme une botte secrète, je savais que si je voulais déstabiliser Olivier de manière irréversible, il fallait que je joue cette carte-là. C’était un peu la ligne rouge à ne pas franchir, de lui balancer un truc du genre « Eh, Olivier, Roberto Sedinho, tu l’appelles Papa ? » ou bien « Dis donc, Olivier, ton père est super sympa de prêter son côté de lit à Sedinho ! » Heureusement, je n’ai jamais eu à en venir jusque-là. Mais c’est sûr que c’est un sujet qui faisait jaser.
Revenons-en au football, c’est mieux. L’un des matchs qui ont marqué ta carrière, c’est cette finale du championnat national terminée sur le score de 4-4 face à la New Team. Comment tu as vécu le fait d’être déclaré champion à égalité ?
Franchement, aujourd’hui, il y a prescription, car c’était il y a près de 40 ans, mais c’était vraiment une connerie monumentale. Champion à égalité ? Ça ne veut rien dire. Il n’y a qu’un champion. Vous imaginez, la finale de la Coupe du monde 2022 entre la France et l’Argentine ? Frappe de Kolo Muani, arrêt de Martinez, coup de sifflet final, bravo messieurs, vous êtes tous champions du monde ! Sérieusement ? Je me rappelle être allé voir l’arbitre pour lui demander d’organiser une séance de tirs au but, il m’a dit qu’il n’était pas question de déterminer un champion « à la loterie ». Insupportable.
Après la Toho, tu pars en Italie, à la Juventus. Mais ça ne s’est pas passé comme tu le souhaitais.
La Juventus, c’est un club bizarre, tu sais. Grand club, grands joueurs, grands dirigeants, aucun problème. Mais le fonctionnement interne, et c’était vrai pour pas mal de grands clubs italiens à l’époque, est très spécial… Disons qu’il faut accepter certaines choses que moi je n’étais pas prêt à accepter.
Comme quoi ?
Tu sais très bien de quoi je parle… (Il mime un geste de seringue.)
Ah… C’est à cause de ça que tu es parti en prêt à la Reggiana ?
En partie oui, et aussi parce que je me suis battu avec un coéquipier à l’entraînement. Il se trouve que c’était l’un des chouchous du coach. L’un dans l’autre, je me suis dit que je ferais mieux de me tirer. Et j’ai bien fait, puisqu’à la Reggiana, j’ai remporté le championnat et le titre de meilleur buteur.
En troisième division.
Oui, en troisième division. Mais sans tricher… (Encore un silence pesant.)
Ton prêt là-bas tourne pourtant court, puisque tu te fais « voler » la vedette par ton compatriote Shingo Aoi qui… (Il coupe.)
J’ai pas envie de parler de lui…
Pourquoi ?
Parce qu’on ne s’improvise pas footballeur, c’est tout ! Le mec arrive d’un lycée japonais pour signer à l’Inter, se fait arnaquer par son agent, et se retrouve comme par hasard dans toutes les pages de la Repubblica. Il a même été pistonné pour que l’Inter accepte de le signer. Quand on était tous les deux en Serie C, lui à Albese, j’ai voulu lui rendre visite, il a refusé de me voir. Le mec se la joue italien, il fait pitié. Et puis, vous l’avez vu jouer ?! Depuis quand courir vite fait de vous un bon footballeur.
On a l’impression que ta rancœur est plus personnelle, que sportive. On pense notamment à ce match face à l’Italie justement…
Franchement, on avait un super groupe en sélection espoir, on se connaissait tous depuis la primaire. Et là, la fédé décide de nous ramener ce mec arrogant pour foutre la merde. Déjà en qualifs de la Coupe du monde espoirs contre la Thaïlande, il est arrivé en retard et ils l’ont quand même laissé jouer. J’ai préféré la fermer, pour le bien de tous. Mais là, en plein Mondial et contre l’Italie en plus, le mec se pointe pour me donner des conseils de « grand frère ». Mais dégage ! Je l’ai attrapé par le col devant tout le monde, pour lui faire comprendre.
C’est finalement le résumé de ta carrière : beaucoup de hauts, tout autant de bas.
Comment dites-vous déjà ? Les « incompris » (dans un joli français) ? Cantona, Anelka, Ribéry, Nasri, c’est à eux que je m’identifie. J’ai mené ma carrière jusqu’à la Juventus, j’ai remporté des trophées avec mon pays, et j’ai fait fermer des bouches. Le reste, je le laisse aux beaux parleurs. Aujourd’hui, quand on pense « Tigre », grosse frappe, et victoire, on pense à Mark Landers.
Allez, on finit quand même sur une note légère : toujours accro au Coca-Cola ?
Olivier dit que le ballon est son meilleur ami, moi c’est une canette rouge. (Petit clin d’œil en retroussant sa manche.)
Propos recueillis par Eric Maggiori