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- Les cartons rouges qui ont marqué l'histoire
Top 100 : Cartons rouges de légende (1er) : La Bataille de Nuremberg
Le 25 juin 2006, à Nuremberg, Portugais et Néerlandais se livraient une « bataille effroyable dont la fin n'était que pure haine ». Avec seize cartons jaunes et quatre rouges sortis par M. Ivanov, cette rencontre est la plus colorée de l'histoire de la Coupe du monde. Tout en sachant que le nombre de sanctions n'est qu'une indication de la baston qui s'est livrée ce soir-là. Récit minute par minute d'une boucherie.
#1 - La Bataille de Nuremberg - 2006
Portugal – Pays-Bas (1-0), Coupe du monde, 25 juin 2006
Contexte
Deux ans après son Euro perdu à domicile contre la Grèce, le Portugal de Luiz Felipe Scolari rejoint les huitièmes de la Coupe du monde après une balade de santé en phase de poules (trois matchs, trois victoires). La Selecção sort donc indemne de cette phase de groupes pour la première fois depuis 1966.
De leur côté, les Pays-Bas retrouvent la Coupe du monde après avoir manqué celle co-organisée par le Japon et la Corée du Sud quatre ans plus tôt. Et cela se traduit par une seconde place du groupe de la mort derrière l’Argentine pour les hommes de Marco van Basten. Un sélectionneur qui n’hésite pas à égratigner publiquement Ruud van Nistelrooy et Mark van Bommel pour leurs performances. Ou à foutre Khalid Boulahrouz sur le banc pour être venu en Bentley à l’entraînement.
Avant-match
Au moment des hymnes, la caméra montre un CR17 (le 7 étant réservé au capitaine Luís Figo) souriant, détendu. Le Portugais se pourlèche, inconscient du danger. Visiblement, il ne sait pas encore ce qui l’attend.
Le « Cannibale » Boulahrouz, lui, est déjà dans son match. Impassible, immobile. Pas une lèvre qui bouge, pas un clignement d’œil. Le regard est fixé sur sa proie. Voilà des heures qu’il la guette. Il sait que le moment de bondir est proche.
Avant le coup d’envoi, Edwin van der Sar et Luís Figo s’échangent le blason de leur pays comme s’ils s’échangeaient un faire-part de décès. Les deux capitaines semblent n’avoir qu’une envie : déchirer l’horrible « cadeau » adverse.
Côté Pays-Bas, toujours, nul n’ignore ce que l’icône Rinus Michels a synthétisé un jour : « Le foot, c’est la guerre. »
Première période
2e : Petite astuce bien connue dans le milieu des arbitres : coller un carton jaune précoce à l’emmerdeur de service (qu’il soit amateur de fautes utiles ou contestateur invétéré), pour se rendre le reste de la partie tranquille. Soixante secondes après le coup d’envoi, CR17 s’enfuit sur l’aile gauche, et Van Bommel tacle le fuyard par derrière, aux yeux de tous : c’est presque trop beau pour être vrai pour Valentin Ivanov, qui peut paisiblement se diriger vers 89 minutes zen.
5e : Coup franc longue distance. Van Bronckhorst décide d’envoyer une patate du gauche. Heureusement pour les Portugais, on n’est pas encore en demi-finales de Coupe du monde 2010.
7e : CR17 contrôle un ballon de la cuisse. En retard, Boulahrouz arrive le pied en avant et imprime ses crampons sur cette même cuisse. Carton jaune qui aurait dû être rouge. « Le Cannibale » trouve le moyen de lever les mains en signe d’incompréhension.
8e : La caméra montre la trace des crampons de Boulahrouz sur le genou de Cristiano. Le staff portugais vide tous ses stocks de bombe froide pour soulager CR17.
20e : Maniche rend justice à Ronaldo en fonçant sur Van Bommel. Premier carton jaune portugais.
23e : Ouverture du score du Portugal. Pauleta contrôle un centre dans la surface et file subtilement le cuir à Maniche, qui se joue d’Ooijer avant de tromper Van der Sar. L’action est superbe : 1-0.
25e : Si Henri Matisse avait été néerlandais, il se serait probablement appelé Mathijsen. Ça tombe bien : le défenseur de Málaga, qui n’a pourtant rien d’un peintre, laisse vibrer sa fibre artistique et vit sa meilleure vie en tentant une volée à la retombée d’un corner. Le beau Joris ne se rendra compte qu’après la rencontre, en discutant avec des journalistes en zone mixte, de la boucherie à laquelle il a assisté aux premières loges. Furieux d’aller à la guerre avec un tel pusillanime, Van Basten remplace le pleutre onze minutes avant la trêve de la mi-journée.
28e : Ah, Cristiano est de retour. Qui d’autre pour claquer un coup du foulard aussi esthétique que non nécessaire ?
31e : Le jaune pour Costinha, qui a cisaillé Cocu sans vergogne.
33e : Cristiano, qui a la cuisse strappée, reste au sol. Manifestement, il ne peut plus continuer. Chaussettes baissées, il se résout à quitter la pelouse, direction le banc où on le retrouve en pleurs.
39e : Ah, enfin le premier attroupement ! Après une semelle de Costinha sur Ooijer, les esprits s’échauffent. Deco vient réprimander le défenseur néerlandais, au sol, pour en avoir rajouté.
42e : Heureusement pour Nuno Valente que Kuyt était hors jeu parce que le latéral gauche portugais balance un high kick mémorable sur Robben dans la surface. Qu’on ne vienne pas se plaindre que Nigel de Jong se soit vengé sur Xabi Alonso quatre ans plus tard…
45e : Le demi-centre Ooijer envoie la balle en direction du but adverse, mais Titi Costinha Omeyer réalise un superbe arrêt de la main droite. En récompense, le Portugais récolte un deuxième jaune, synonyme de premier carton rouge du match. Pas un Expert, ce Costinha.
Mi-temps
Seconde période
49e : Les Pays-Bas attaquent fort cette seconde période et Cocu fait trembler la barre transversale avec cette reprise de volée.
50e : Petit accroche Van Bommel par la taille. Carton jaune.
59e : Rassemblement partie 2. Van Bronckhorst mordille les chevilles de Deco. Ce qui énerve passablement Luís Figo, qui assène un coup de boule à Van Bommel dans le dos de l’arbitre. Carton jaune pour le capitaine portugais et pour Van Bronckhorst.
61e : Rassemblement partie 3. Figo déborde sur le couloir gauche et reçoit le coude de Boulahrouz au visage. Et alors que le latéral néerlandais reçoit son second carton jaune synonyme d’expulsion, Nuno Valente et Ooijer se chauffent avant d’être séparés par le quatrième arbitre.
72e : Rassemblement partie 4. Face à l’antijeu des Néerlandais qui refusent de mettre le ballon en touche pour permettre à Ricardo Carvalho de revenir sur la pelouse, Deco découpe violemment le nouvel entrant John Heitinga. Et reçoit un jaune orangé. De leurs côtés, Sneijder et Van der Vaart se prennent pour les frères Derrick en envoyant Petit au tapis. Avant d’écoper chacun d’une biscotte.
75e : Les Portugais font déjà tourner le chronomètre. Et le portier Ricardo reçoit un carton jaune pour avoir mis du temps à effectuer son six-mètres.
76e : À 50 mètres du but adverse, Van Persie pense pouvoir effectuer sa remise dos au jeu de manière tranquille. Raté, Nuno Valente est là pour lui mettre une balayette. Carton jaune. Le quatorzième du match.
77e : Finalement, Deco n’aura eu que cinq minutes de répit puisqu’il écope d’un second jaune pour avoir refusé de rendre le ballon aux Néerlandais après une faute. Et si cela n’était pas suffisant, il se fait bousculer par Cocu.
94e : Alors que la boucherie est sur le point de se terminer, Van Bronckhorst remet les compteurs à zéro en écopant, lui aussi, d’un rouge pour une balayette sur Tiago.
95e : Boulahrouz, Van Bronckhorst et Deco assistent à la fin du match côte à côte assis devant l’entrée du tunnel.
96e : Coup de sifflet final. Le Portugal s’impose 1-0 dans ce qui reste encore le match avec le plus grand nombre de cartons en Coupe du monde.
Après-match
Alors que L’Équipe titre « Rouges de honte » , que Bild fustige une « bataille effroyable dont la fin n’était que pure haine » et que le Times estime « logique qu’une ville connue pour ses épisodes militaires ait été le théâtre de la plus grande bataille de l’histoire de la Coupe du monde » , le quotidien portugais A Bola valorise les « nerfs d’acier » de ces « Héros de la résistance » . De son côté, Record met en avant le cœur portugais avant de mettre une balle à l’arbitre qui s’est offert « un départ lamentable » . Même son de cloche chez O Jogo qui célèbre « L’âme portugaise » et chez le Jornal de Notícias qui titre : « Marquer, souffrir, vaincre » .
Les journaux néerlandais et portugais sont au moins d’accord sur une chose : tout est de la faute de l’arbitre. Comme Dagblad Trouw qui parle d’un « arbitre défaillant » . De Telegraaf, lui, tacle le Portugal en reprenant une décla d’après-match de Van der Sar : « Nous étions les meilleurs, ils étaient les plus malins. » De son côté, AD affiche un implacable « Totalement inutile » en une tout en évoquant « un duel de bandits » , tandis que Het Parool titre : « Les Oranje mis à mort dans le sang » .
Par Douglas de Graaf et Steven Oliveira
Propos de Nuno Matos recueillis par SO et ceux de Frank Snoeks recueillis par DDG. Les propos des autres protagonistes sont tirés, sauf mentions, des conférences de presse ou de la zone mixte.