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Top 10 : J’ai été un migrant

Par Nicolas Kssis-Martov et Gad Messika
10 minutes
Top 10 : J’ai été un migrant

Le football allemand s'est mobilisé, de manière plutôt unanime (clubs, joueurs, supporters) en faveur des réfugiés. Le Real Madrid, la Roma et même le PSG ont fini par suivre - timidement - le mouvement. Une démarche étonnante quand on connaît l'immense frilosité habituelle du petit monde du ballon rond dès qu'il s'agit de toucher à une affaire aussi sensible. Il faut dire que pour une fois, le sort de ces migrants fuyant la Syrie ou l'Irak peut rappeler quelques terribles souvenirs à certains joueurs, ou rouvrir des pages anciennes, et pas très reluisantes, du passé du football européen...


Eugène « Genia » Walaschek

1917, la prise du palais d’Hiver. Les bolcheviques prennent le pouvoir aussi bien contre les « blancs » monarchistes que contre les autres factions « révolutionnaires » . Pour beaucoup de Russes, la terrible guerre civile qui s’annonce est synonyme d’exil. Et dans une Europe – pas encore de l’Ouest – guère plus accueillante qu’aujourd’hui, toutes les portes d’entrée sont bonnes à prendre. Un petit gamin – il est né en 1916 – de la bonne bourgeoisie moscovite va bénéficier d’un coup de pouce du destin et d’une bonne étoile inespérée. Il atterrira de la sorte dans le sanctuaire absolu en ces temps troublés, autrement dit la Suisse, protégée par ses montagnes et ses banques. Tout cela grâce à un subterfuge administratif. Sa grand-mère, helvète par ses papiers, l’inscrit comme son propre fils au consulat. Eugène fera pénitence pour ce petit mensonge envers sa nouvelle patrie en endossant le maillot suisse lors de la Coupe du monde de 1938, après une naturalisation express. Tout le monde n’aura pas cette chance durant la Seconde Guerre. La neutralité légendaire de la Confédération a toujours su trier parmi ses « réfugiés » …


Mario Stanić

Le Vieux Continent avait oublié ce que pouvait signifier concrètement la guerre, hormis quelques mouvements de troupes soviétiques en Hongrie et en Tchécoslovaquie, et des différends inter-religieux du coté de Belfast. L’éclatement de la Yougoslavie fit remonter à la surface de terribles instincts nationalistes, très XIXe siècle dans l’esprit et Seconde Guerre mondiale dans la forme. Au milieu de ce foutoir sanguinaire, la Bosnie se révéla le creuset de tous les drames, peut-être parce que tout le monde s’y côtoyait de – trop – près. Mario Stanić, jeune pousse du Željezničar Sarajevo, issu de la communauté croate, doit donc d’un coup opérer un choix terrible. Il prend la tangente en 1992, s’enfuyant de son ancienne patrie en traversant à pied la Save, pour rejoindre sa nouvelle « nation » , la Croatie nouvellement indépendante. Fini donc les équipes « mixtes » des slaves du Sud (il avait endossé deux fois le maillot bleu unitaire), il jouera désormais pour le « Croatia Zagreb » , ex et futur Dinamo (gommer le passé communiste ne se justifie pas toujours). Peut-être faute de pouvoir s’acclimater à cette nouvelle ambiance, il rejoint au bout du compte Gijón, puis Benfica, avant de poser ses valises en Belgique. Il va connaître enfin le bonheur en remportant la Coupe de l’UEFA avec Parme et Lilian Thuram… Comme quoi l’Europe pouvait malgré tout servir à quelque chose.


Alhassan Bangura

L’histoire de ce joueur abonné aux clubs anglais modestes (tel Blackpool) pourrait lui aussi tirer des larmes à Angela Merkel. Il est né en à Freetown en Sierra Leone en 1998. Il existe des lieux bien plus sympas pour débuter dans la vie. Il n’a connu ainsi que la guerre civile qui ensanglante son pays, un conflit continuellement dopé par l’exploitation des mines de diamants. Pour corser le tout, son père se trouvait à la tête d’une secte locale Soko, adepte de la sorcellerie. Destiné à prendre la succession du daron en tant qu’aîné, il préféra décliner l’offre et, devant les menaces des membres émérites de cette honorable organisation – nous sommes dans un pays où les enfants soldats dézinguent à la kalasch –, il se décide à fuir vers la Guinée, à peine âgé de quinze ans. Ses malheurs ne s’arrêtent pourtant pas là. Dormant dans la rue, il est « pris en charge » par un certain Pierre, de nationalité française, qui lui promet un point de chute tranquille et doré en Europe. Il se retrouve finalement à Londres, où le bonhomme aurait en fait tenté de le prostituer. Après une nouvelle fuite, son salut viendra du foot sous l’égide du club de Watford. Il en deviendra même le capitaine, lorsque du haut de son beau salaire et de son statut de « sans papier » de luxe, il viendra demander sa régularisation auprès des autorités britanniques.


Ferenc Puskás

L’histoire de la figure la plus emblématique du Onze d’or est d’abord celle d’une révolte avortée et écrasée dans le sang, qui conduisit sur les routes de l’exode près de 200 000 Hongrois, que les Russes laissèrent partir pour une fois sans remord, heureux de se débarrasser des éléments « contre-révolutionnaires » . Le cas du « Major Galopant » demeure un peu à part. Héros national de la « République populaire » , gloire de cette « meilleure équipe de tous les temps » , finaliste malheureux de la Coupe du monde de 1954, sa « désertion » prenait une tout autre ampleur. Alors que le 4 novembre 1956, les chars de l’armée rouge déboulent avec leur légèreté habituelle dans Budapest, le Honved part au même moment en tournée en Europe, un des privilèges des sportifs du bloc de l’Est. Ferenc Puskás ne rentrera jamais, rejoint par sa femme et sa fille qui, comme tant d’autres, sont passées à l’Ouest en enjambant la frontière du voisin autrichien. Débute une période de vaches maigres où il s’installe dans un camp de réfugiés en Autriche, victime d’une FIFA qui a accepté de le suspendre à la demande de la Fédération hongroise « normalisée » de football. Il survit alors surtout grâce à la solidarité d’anciens compagnons à crampons qui l’avait précédé chez « l’ennemi de classe » , dont László Kubala, évoluant au Barça. La rumeur lui prête d’avoir sombré dans l’alcoolisme et grossi à vue d’œil. Il renaîtra au Real de Madrid, à l’ombre de Franco.


Dejan Lovren

Lovren, c’est la génération de la guerre. Il voit le jour en 1989 – l’année où tout change – à Zenica, petite cité de Bosnie-Herzégovine que les trois communautés se partagent, avec une légère note dominante bosniaque musulman. L’éclatement du conflit va radicalement clarifier les choses, et la ville y perdra en un an 20 000 habitants (soit un quart de sa population). Parmi eux, les parents du jeune Lovren qui, plutôt que de rejoindre immédiatement la mère patrie, se dirige vers l’Allemagne qui vient de s’agrandir elle aussi. Il touchera ses premiers ballons dans son pays d’accueil. Mais une fois les armes rangées, tout le monde repart vers Zagreb où le jeune garçon sera repéré par le Dynamo. Tout cela pour finir à Liverpool… L’histoire n’est pas toujours aussi grande…


Saido Berahino

Avant d’être l’attaquant de West Bromwich, Saido Berahino a connu les galères, obligé de quitter son pays, le Burundi, à cause d’une guerre civile faisant des milliers de morts – dont son paternel – entre Hutu et Tutsi dans les années 90. Saido quitte son bled pour l’Angleterre, à dix ans. Et seul. Avant de retrouver sa maman, Liliane, et ses sœurs quelque temps et un test de maternité après. Pourtant, la jeune coqueluche du football anglais n’oublie pas ses premiers pas en Grande-Bretagne : « On était en pleine guerre civile, et ma mère voulait une vie meilleure pour ses enfants. Je suis parti en Angleterre avec un ami, je ne savais pas où était ma mère à ce moment. On m’a emmené dans un foyer où l’on m’a accueilli d’une très belle manière. Il y a eu un choc des cultures énormes, je ne parlais pas un mot d’anglais et le fait de jouer au football m’a aidé à m’intégrer. » Dorénavant, l’enfant de Bujumbura se bat pour aider son pays à trouver une certaine « normalité » à l’aide de la Saido Berahino Foundation, qui offre des pompes à eau dans plusieurs villages du pays. Saidonne après avoir reçu.


Bayan Mahmud

Bayan Mahmud est, une fois encore, une victime collatérale des affrontements entre deux différentes ethnies d’un même pays. Originaire du Ghana et de la ville de Bawku, où les habitants sont kusasi, le jeune Bayan voit ses parents tomber sous les balles de l’autre minorité du coin, les Mamprusi. Pour garder la vie sauve, il est contraint de s’enfuir dans un orphelinat et de quitter son frère, Muntala. Rêvant d’une vie meilleure, il embarque dans la cale d’un bateau pour l’Europe. Enfin, ce qu’il croit être l’Europe. Bayan arrive en Argentine le 7 octobre 2010 et se retrouve sans repère ni thune. À partir de là, sa vie change, et ça, grâce au football. Détecté par le club de Boca Juniors, il parvient à se faire une place dans un pays où les joueurs de couleur noire n’ont pas leur place. Il est formé au club xeneize et intègre son équipe B. Son histoire devenue publique, Bayan devient une star plus pour son passé que pour son présent de footballeur. Une autobiographie et des rêves d’évoluer en Europe plus tard, le type fait un essai dans le club de Troyes. Essai non concluant.


Saber Khalifa

On connaît l’homme pour ce lob fou inscrit face à Nice en 2013 sous les couleurs de l’Évian Thonon Gaillard, ou encore pour ses apparitions furtives sous le maillot marseillais. Moins pour son passé de réfugié de guerre. Explication. Entre 2008 et 2010, Saber calait ses petits buts, peinard, dans le championnat tunisien avec le CS Hammam-Lif où il est prêté par l’Espérance de Tunis. Lors d’un match entre Hammam-Lif et l’Espérance, son équipe de substitution mène 3-0 à la mi-temps avec un but de Saber. Dans le tunnel, Riadh Bennour, dirigeant de l’EST, est furieux et lui lâche une mandale en pleine tête. Il ne veut plus jamais entendre parler de lui. La fracture se fait entre le joueur et son club. À l’aube des révolutions arabes, l’EST se débarrasse de son attaquant et l’envoie au Al-Alhy Benghazi, club libyen, quatre fois vainqueur du championnat local. L’ambiance y est tendue, mais Khalifa joue un peu, quand même. Jusqu’au jour où ça part en cacahuète dans le pays de Khadafi. Le joueur est obligé de quitter le pays dans le coffre d’un taxi pour joindre l’Égypte afin de retrouver sa Tunisie. Le lendemain, Benghazi se fera bombarder. Khalifa Carways, pour lui.


Vedad Ibišević

Originaire de la ville de Vlasenica en Bosnie, la famille Ibišević est frappée de plein fouet par la guerre civile. Trois mille personnes trouvent la mort dans la bourgade de Vedad. Ce dernier garde un souvenir effroyable qu’il racontera des années plus tard à ESPN : « Ma mère était dans un bosquet près de la maison et a creusé une fosse pour ma sœur et moi. C’était une fosse d’environ un mètre de long et soixante centimètres de profondeur. Cela ressemblait à une tombe. Un matin, elle nous a pris et mis dans cet endroit qui était recouvert de draps et d’oreillers, et nous a dit de nous cacher. Ce matin-là, notre rue avait été envahie par des soldats serbes. Nous avons entendu des cris, des jurons et de la casse dans les maisons. Ma mission principale était d’empêcher ma sœur âgée de trois ans de pleurer. Si nous avions été trouvés, nous aurions été emmenés au camp à coup sûr. » Vedad et sa famille quittent la Bosnie pour la Suisse en 2000. L’aîné s’envolera ensuite pour les États-Unis afin d’exciter plus d’un Américain en manque de soccer. Avant de se crasher au PSG.


Rio Mavuba

La vie de Rio Mavuba est une belle success story, alors qu’au départ, rien n’était gagné. Le milieu de terrain français est né dans de drôles de conditions : Thérèse, la maman de Rio, accouche sur un bateau. Rio voit donc le jour en pleine mer, mais pas sur n’importe quelle embarcation. En effet, ce navire transporte des réfugiés angolais fuyant leur chère nation pour échapper à la guerre civile qui y fait rage, pour gagner la France et sa tranquillité. Invité de l’émission Le Grand Journal, le 20 avril dernier, Rio raconte son aventure personnelle, qu’il associe avec le drame de l’île de Lampedusa où 800 migrants trouvent la mort après le naufrage d’un bateau : « C’était en 1984. Mon père, ma mère mes frères et mes sœurs ont décidé de nous faire quitter le pays pour une vie meilleure. J’ai perdu mes parents, mais mes frères m’ont raconté que c’était très dur. On aspire à vivre mieux que ce qu’on a dans notre pays et ça passe par là. Quand je vois ce qui se passe aujourd’hui, ça me parle. Ça aurait pu être moi ou ma famille. » Mavuba œuvre aujourd’hui pour rendre heureux les gamins de son bled d’origine en créant l’association « Les orphelins de Makala » . Et ça, ça vaut tous les bords de mer possibles.

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