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- 29 septembre 1981
Top 10 : déclarations de Bill Shankly
Le 29 septembre 1981, le légendaire manager des Reds décédait d’une crise cardiaque à l’hôpital de Liverpool. Triste anniversaire. Depuis, son aphorisme sur l'importance relative de la vie, de la mort et du football a fait le tour du globe et des bouquins. Et pourtant, son cynisme et sa philosophie ne peuvent se résumer en une petite phrase, loin de là. La preuve par 10.
1/ « La pression, c’est travailler à la mine. La pression, c’est être au chômage. La pression, c’est essayer d’éviter de se faire virer pour 50 shillings par semaine. Cela n’a rien à voir avec la Coupe d’Europe ou la finale de la Cup. Ça, c’est la récompense ! »
Glenbuck. Un triste village écossais où Bill Shankly a la bonne idée de naître le 2 septembre 1913. Perdu au beau milieu des collines. Frigorifié par quatre mois de neige par an. À cette époque, la bourgade accueille l’une des plus féroces communautés du pays. Ainsi, comme une évidence, notre petit taupin quitte l’école à 14 ans pour s’engouffrer lui aussi dans les puits de charbon locaux. Il y parfait son éducation morale. Au cursus : détestation précoce des politiciens, des propriétaires miniers et des cols blancs en tout genre. Avec l’âge vient la sagesse des propos. « Ma vision du communisme n’a pas grand-chose à voir avec la politique. C’est un art de vivre. C’est de l’humanisme. Je crois que le seul moyen d’y arriver dans la vie, c’est l’effort collectif. J’en demande peut-être beaucoup, mais c’est la façon dont je vois le football. Et dont je vois la vie » .
2/ « Une équipe de football, c’est comme un piano. Vous avez besoin de huit hommes pour la transporter et de trois autres pour en jouer. »
Comme cinquante autres de ses comparses nés à Glenbuck au XXe siècle, ce bon joueur de récréation devient professionnel en 1932. Son parcours ? « J’ai joué trois finales de Coupe, en 1937, 1938 et 1941. Et il n’y avait qu’un seul bon joueur sur le terrain. C’était moi. » Son style ? Les archives relatent le parcours un player collectif et ambitieux ; endurant et plutôt rude. « Un artiste du tacle » , précise bien l’intéressé. Un technicien de la parlotte et de l’intimidation ayant pour principe de ne jamais communiquer avec les hommes en noir. « L’ennui avec les arbitres, c’est qu’ils connaissent les règles, mais ne connaissent absolument rien au jeu. » Question de respect.
3/ « Même le président Mao n’aurait jamais pu bâtir une aussi belle démonstration de force rouge. »
Difficile d’imaginer quel pouvait être le visage des Reds en 1959 ? Avant l’embarquement de Shankly : un genre de sous-entreprise sportive enfoncée dans les méandres de la seconde division, sans grand talent, sans le sou, née d’une administration incompétente et d’infrastructures vieillissantes. C’est à peu près tout. « Si vous aviez vu Anfield quand je suis arrivé. J’ai dû moi-même apporter mon eau. Il n’y en avait pas assez pour rincer les toilettes. » Quinze ans plus tard, « the working class hero » du football anglais a tout bonnement changé le cours de l’Histoire. Et offert une dynastie aux quartiers rouges du Merseyside : trois titres de champion de Premier League, deux FA Cup, un titre de deuxième division et une Coupe de l’UEFA. « Liverpool était fait pour moi et j’étais fait pour Liverpool. » Un règne sans partage, en somme. « Quand j’étais à Anfield, je disais toujours que nous avions les deux meilleures équipes de la ville : Liverpool et la réserve de Liverpool. »
4/ « Quand les gens me demandent quelle est la principale qualité pour devenir un bon entraîneur. J’ai leur répond… Bill Shankly ! »
C’est Tommy Smith qui témoignera dans une interview avoir prononcé cette fulgurance. Cet ancien défenseur, que l’on surnomme ici avec emphase « Iron Anfield » , rejoint Liverpool à 15 ans en 1960 et est nommé capitaine en 1970. Comme avec Kevin Keegan, Ron Yeats ou Ian Callaghan, les deux parties ont créé une véritable relation père-fils : intense, passionnelle et parfois intimidante. Bill les aime jeunes, robustes et la tête pleine. Bill déteste les pleurnicheuses, les faibles et les excuses. « Pardon coach, j’aurais dû fermer mes jambes sur ce but » , lâche son gardien écossais Tommy Lawrence un soir de grosse boulette. « Ce n’est pas de ta faute, fils, c’est ta mère qui n’aurait jamais dû les ouvrir. » Dur.
5/ « Si Everton joue au fond de mon jardin, je tirerai les rideaux. »
Depuis 1959, la famille Shankly occupe à vrai dire une modeste demeure mitoyenne, située juste en face du Bellefield, l’ancien stade d’entraînement d’Everton. La maxime n’a donc rien d’une douce boutade. Mais tout d’un blasphème dans un lieu de pèlerinage. En effet, c’est ici que les écoliers et les riverains du quartier viennent s’encanailler de bons mots et d’anecdotes croustillantes : « La différence entre le Queen Mary et Everton, c’est qu’Everton transporte plus de passagers » . Depuis toujours, Bill le rouge ouvre sa porte à quiconque souhaite s’y aventurer. Il aime recevoir. Offrir le thé. Répondre personnellement aux lettres de ses plus fidèles supporters. Pour les harceler ensuite de coups de fils en pleine nuit. Jouer au foot avec les enfants du quartier. Et même lâcher des liasses de billets aux plus chanceux. Mais ce dont il a besoin, par-dessus tout, c’est d’ouvrir chaque matin les pages « sport » du journal local. Avec un grand sourire : « Quand je n’ai rien de mieux à faire, je regarde en bas du classement comment se porte Everton » .
6/ « Quand vous êtes premier, vous êtes premier. Quand vous êtes deuxième… vous n’êtes rien. »
C’est l’un de ses plus célèbres aphorismes. Trop célèbre pour être exact. Au départ, ce bon mot est celui de son idole James Cagney : un acteur américain des sixties célèbre pour avoir endossé au cinéma des rôles de gros durs. « Je me souviens d’avoir vu un film de gangster américain où l’un des personnages disait : « Le premier est le premier ; le second n’est rien. » Puis, il prit son fusil et tira sur un type à terre. Rares sont ceux à pouvoir, comme moi, prétendre à être les premiers au football. » Bien plus classe, hein ?
7/ « J’étais le meilleur à mon époque et j’aurais dû gagner plus de titres. Mais je n’ai jamais eu recours à la fourberie. Si j’avais joué contre ma femme, je lui aurais cassé la jambe pour gagner, mais je ne l’aurais jamais prise en traître »
Courageuse épouse que voici : Nessie, une jeune fille de bonne famille déniaisée durant la Seconde Guerre mondiale au sein de la Royal Air Force. Une charmante demoiselle avec laquelle le bon vieux Bill convole en juste noce en 1944. Pour le meilleur et pour le pire. « Je n’aurais jamais emmené ma femme voir le match contre les Tranmere Rovers en guise de cadeau de mariage ! Pour qui me prenez-vous ? C’était son anniversaire. En plus, vous croyez vraiment que j’aurais pu me marier pendant la saison ? Et entre nous, c’était la réserve des Rovers. » Cet excès de romantisme est d’ailleurs extrait du discours de retraite de Shankly en 1974. Peut-être un clin d’œil conjugal aux rumeurs, qui, à l’époque, accusent « Ness » d’être à l’origine de la décision soudaine de son mari. « J’ai été esclave du football. Il vous suit à la maison, il vous suit partout, et mange dans votre vie de famille. »
8/ « Dans un club de football, il y a une sainte trinité : les joueurs, le manager et les supporters. Les présidents n’ont rien à voir là-dedans. Ils sont juste là pour signer les chèques. »
Grinçant ! Il faut bien reconnaître qu’entre Bill Shankly et sa direction, ce n’est pas le grand amour. Un amour vache, tout du moins. « Le football est un sport simple, rendu compliqué par les gens qui n’y connaissent rien. » Bim ! Un feuilleton qui durera plus de 15 ans : subtil scénario mêlant caprices, jalousies et trahisons. The end ?
9/ « Mon travail, c’est ma vie. Et ma vie c’est mon travail. »
12 juillet 1974. Programmée en grande pompe, la conférence de presse va bientôt commencer. Le silence est pesant. On peut entendre les mouches voler. Problème : le président de Liverpool, John Smith, se fait attendre. « Attendez une minute, John Wayne n’est pas encore arrivé » , ronronne Bill Shankly aux journalistes. Quelques minutes suffisent. Et de son propre aveu, l’instructeur en chef lâche ici la plus belle connerie de toute sa vie. « Retraite ? C’est le mot le plus stupide que je n’ai jamais entendu. Vous, tenez, (un journaliste) vous prendrez votre retraite le jour où j’aurai fermé la porte de votre cercueil avec votre doux nom gravé dessus. »
10/ « Même la maladie ne m’aurait pas empêché de suivre ce match. Si j’étais mort, j’aurais demandé à ce qu’on amène le cercueil au stade, qu’on le pose près du banc et qu’on fasse un trou dans le couvercle. »
Parole prophétique prononcée en 1971 après une belle victoire face à Everton. Dix ans plus tard, quasiment jour pour jour, la légende décède le 29 septembre à l’âge de 68 ans d’une crise attaque. « Avant tout, comme Napoléon, j’ai voulu bâtir ici un bastion de l’invincibilité. Le football, ce n’est pas un fanatisme à Liverpool, mais une religion. Et Anfield est notre sanctuaire. » Amen.
Par Victor Le Grand