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Tony Pulis, thaumaturge des temps modernes
Enlisé dans les mauvais résultats entre novembre et décembre, West Bromwich a décidé de licencier Alan Irvine en début d'année. Pour le remplacer, les Baggies ont fait appel à Tony Pulis, spécialiste des situations délicates. Manager chevronné, le Gallois n'a jamais été relégué en plus de vingt ans de carrière et fait partie intégrante de la Premier League depuis plusieurs saisons. Mais il a toutefois dû patienter avant d'obtenir une reconnaissance légitime.
Il y a quelque chose de complètement anachronique chez lui. Une différence assumée, immuable malgré le temps qui court. Dans une Premier League devenue chaque année plus médiatisée, plus opulente, plus clinquante, presque désincarnée, Tony Pulis détonne. Casquette vissée sur le crâne, anorak ou survêtement de club selon les circonstances, le technicien cultive sa singularité. Il s’en nourrit même jusque dans ses lectures, lui le féru d’histoire. « J’aimais l’histoire à l’école, s’épanchait-il en novembre 2013. Je suis notamment fasciné par différentes choses. J’ai lu un tas de livres sur beaucoup de grands dirigeants. J’aime lire des livres à propos de gens qui sont partis de rien, n’avaient rien et deviennent de grandes figures. Comme Gengis Khan ou Napoléon, qui est né sur une petite île et est devenu l’un des plus grands conquérants de l’Europe. Winston Churchill était aussi un grand leader, même s’il faisait déjà partie des hautes sphères. »
Celui qui est né le 16 janvier 1958, à Newport, s’inspire des grands. Et cela s’en ressent. En vingt-deux ans de carrière, partout où il est passé, le Vieux Lion du championnat anglais semble, comme le déclama Churchill dans l’un de ses plus célèbres discours, n’avoir rien d’autre à « offrir que du sang, du labeur, des larmes et de la sueur » . Parce qu’au gré de ses pérégrinations (huit clubs), Pulis s’est imposé comme un pompier de service émérite. Un spécialiste des situations plus périlleuses les unes que les autres. Mais avec une seule issue possible : le maintien. L’actuel manager de West Bromwich Albion n’a jamais vécu une relégation malgré un peu plus de deux décennies sur les bancs de touche. Une prouesse remarquable pour un homme au travail accompli et, surtout, désormais reconnu.
Passion, rigueur et « voix de stentor »
Fils de sidérurgiste et catholique pratiquant, Tony Pulis a connu un parcours de joueur modeste avant de rapidement embrasser une carrière de manager, alors qu’il n’a pas encore raccroché les crampons. À seulement vingt et un ans, il obtient son diplôme d’entraîneur UEFA, devenant ainsi l’un des plus jeunes de l’histoire. « Je voudrais encourager les joueurs à faire cela. C’est une chose qui permet de réfléchir, de penser » , assurait-il à l’Independent en 2008. Plus qu’un métier, c’est une vocation qu’il a prise à bras-le-corps au début des nineties en commençant comme adjoint de Harry Redknapp, à Bournemouth. À ses côtés, il apprend et prend ensuite la tête de l’équipe après le départ de celui-ci. Chez les Cherries (1992-1994), à Gillingham (1995-1999), Bristol City (1999-2000), Portsmouth (2000) ou encore Plymouth Argyle (2005-2006), il réussit ses premiers pas, façonne son management et marque déjà les esprits.
« Je suis arrivé avec lui à Plymouth dans un contexte difficile où le club n’était pas très bien classé, souligne Lilian Nalis, ancien milieu de terrain. Il est arrivé pour éviter la relégation et on s’est maintenu haut la main. C’est un manager très rigoureux et qui dégage énormément d’assurance. On ne le sent jamais alarmé, jamais stressé malgré une situation compliquée. Il arrive toujours serein et se montre toujours clair dans ses explications. Son caractère et sa plénitude y sont pour beaucoup dans sa réussite. » Un manager charismatique, acharné de travail, mais surtout transporté par sa passion comme le révèle Franck Rolling, passé quelques semaines à Gillingham : « C’était un court passage, mais j’ai pu vivre la passion de cet entraîneur. Il aime l’organisation stricte, mais dans le bon sens du terme. C’est un perfectionniste, constamment en train de faire travailler les joueurs. Il avait du charisme et vivait avec ses convictions. Il est tellement convaincu de ce qu’il fait que les joueurs le suivent. » Quant à Marc Keller, qui l’a connu brièvement à Portsmouth, il a été saisi par sa « voix de stentor, extrêmement forte, et je peux te dire que malgré la pluie et le vent, tu l’entends… » Marathonien à ses heures perdues pour des œuvres caritatives, le Gallois arrive toujours le premier au centre d’entraînement pour s’entretenir à la gym et mène ses propres séances. Un homme impliqué et qui a foi en ce qu’il fait, d’où l’adhésion suscitée partout où il est passé.
Stoke City, entre révélation et critiques
Des premiers passages bien négociés, mais c’est à Stoke City qu’il se révèle aux yeux du Royaume. Après un premier passage quelconque aux Potters (2002-2005), il redonne dès 2006 de l’élan à un club alors en Championship. Deux ans après son comeback, il hisse l’équipe en Premier League. Dès lors, Stoke va imprimer sa marque dans sa venteuse enceinte du Britannia Stadium avec un jeu physique, caricatural et rudimentaire proche du très controversé kick and rush (ou « long ball » ). Symboles de ce style suranné à l’époque, les grands gaillards qui garnissent l’effectif tels que Huth ou Shawcross (1m86 de taille moyenne) et les longues touches de Rory Delap surnommé « la fronde humaine » . « Le coach s’appuie sur une statistique simple : plus de 60 % des buts sont inscrits à l’intérieur de la surface, expliquait Salif Diao, à L’Équipe en 2011. Pourquoi faire quinze passes au milieu si tu peux y accéder en une seule ? On a un style qui ne plaît pas à tout le monde. Ici, ce n’est pas le Barça ! »
Une telle stratégie a forcément valu à Tony Pulis de nombreuses remontrances outre-Manche, notamment de la part de ses homologues. Ainsi, Arsène Wenger lâchera, un jour, que « le jeu de Stoke ressemble plus à du rugby qu’à du football » . Ce à quoi le principal intéressé rétorquera de manière cinglante : « Les puristes, je les emmerde » . « À une époque où le football prône plus de jeu, plus de risques, de créativité chez les joueurs, lui ne s’inscrit pas dans cette lignée. Le style de ses équipes ne dégage pas ça. Sa base, c’est la solidité défensive » , éclaire Nalis. Qu’importe le flot de critiques qui s’abat alors, le technicien garde sa ligne directrice. Un choix payant puisque sous son septennat, Stoke, avec des moyens limités, s’installe dans le ventre mou de l’élite (successivement 12e, 11e, 13e, 14e et 13e). Surtout, les Potters parviennent à atteindre la finale de FA Cup 2011 face à Manchester City, leur permettant de s’inviter jusqu’en 32es de finale de la Ligue Europa l’année suivante. Une première dans l’histoire du modeste club de Stoke-on-Trent.
Manager de l’année la saison dernière
Le respect, le manager de cinquante-sept ans l’acquiert en revanche à Crystal Palace au terme d’un passage éclair, mais orchestré d’une main de maître. Au fond du trou et derniers du championnat (4 points en 11 matchs) fin novembre 2013, les Eagles nomment Pulis pour éviter la relégation, une mission qui semble alors surréaliste. Mais le briscard va transfigurer une équipe jadis exsangue en s’adaptant aux profils à sa disposition et arracher, presque sans sourciller, un maintien inespéré (11e au classement). Des résultats ébouriffants qui lui offrent au terme de la saison le titre de manager de l’année en Premier League, devant Rodgers et Pellegrini. « Je suis désormais certain que la perception des gens a changé à propos de moi » , assurait en mai dernier celui que Mourinho se plaît à appeler « The Best » . Même son de cloche de la part de Marc Keller, satisfait que son ex-coach obtienne une autre considération outre-Manche : « Il fait partie des très bons entraîneurs britanniques. Il a une très grande expérience, a gravi les échelons pas à pas. À mon sens, il a été injustement critiqué à propos du jeu pratiqué à Stoke alors qu’en réalité, il sait s’adapter à l’environnement. Bien sûr, ce n’est pas sexy en France, car on connaît plus Mourinho et les autres. Mais, en Angleterre, il a une vraie cote auprès des clubs de milieu de tableau. Surtout, il a le respect de ses pairs. »
L’aventure aurait pu s’inscrire dans la durée avec Crystal Palace, mais elle a tourné court. Deux jours avant l’ouverture de la saison 2013/2014, Pulis claque la porte. La raison ? Il souhaitait avoir toute latitude sur les transferts et des pouvoirs élargis dans le domaine sportif, prérogatives qui ne lui seront pas accordées et qui provoqueront son départ. « C’est le défaut des perfectionnistes, ils veulent tout maîtriser et très peu déléguer » , concède d’ailleurs Rolling. Alors le Gallois a attendu qu’un club s’enlise dans les mauvais résultats. Et c’est West Bromwich qui, après une série catastrophique de sept défaites lors de ces dix derniers matchs de championnat, a sollicité ses services en début d’année. Effet immédiat, puisque les Baggies ont aligné deux succès toutes compétitions confondues depuis son arrivée. Mais le boss connaît trop bien le marathon que représente la Premier League pour se laisser griser : « Juste parce que je suis ici ne signifie pas que nous allons nous maintenir. Il y a beaucoup de travail à fournir et on doit rester unis pour remplir notre objectif. » Un jour, Napoléon Bonaparte affirma que « les hommes sont comme les chiffres, ils n’acquièrent de la valeur que par leur position » . Au regard de sa carrière, on est en droit de croire qu’à l’heure de faire le bilan en fin de saison, Tony Pulis sera encore parmi ceux qui comptent beaucoup.
Par Romain Duchâteau