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Ton héritage (lettre à Franck Ribéry)
Zidane a arrêté sur un coup de tête, toi sur un coup de tonnerre et une lombalgie. Marre d'aller faire le clown à Saint-Denis pour un public qui te siffle une fois sur deux. L'Euro-2016 ? Très peu pour toi. Retour à la maison, à Munich, là où on ne te juge pas. Même les jours où tu n'es ni bon ni très malin.
Il y a dix jours, tu devais être dans ton canapé, devant Metz-Nantes, en te disant que dix ans plus tôt (à neuf jours près), la vie était plus paisible, même si le canapé était moins confortable. Tu as donc mis les pieds dans le plat un 7 août 2004, à Saint-Symphorien, contre les Canaris. Comme n’importe quelle personne née en 1983, tu as vu tes 20 ans disparaître un jour de 2004. Tu as compris que le temps qui passe n’est qu’un compte à rebours et que, quitte à se rapprocher de la mort, autant le faire en restant un enfant. Alors tu as mis du sel dans le verre de jus de pomme de ton coéquipier quand il a eu le dos tourné, tu as découpé le bout de ses chaussettes avant un match et tu as scotché la porte de sa chambre pour qu’il ne puisse pas en sortir. Ta carrière est une grande colonie de vacances où, quand tu as envie de jouer à faire tomber ton préparateur physique par terre, eh ben tu le fais.
Tes blagues sont synonymes de joie de vivre en Allemagne, mais de débilité en France, pays où on ne rigole pas avec l’humour. Ta carrière – dont la portion internationale a fatalement étendu ta notoriété – a au moins l’avantage d’avoir rempli le frigo des guignols avec une majuscule ou pas (PPD, Nicolas Canteloup, Laurent Gerra). Car en France, la liberté d’expression est un laisser-passer pour la méchanceté, où il est question de blagues aussi fines que tes cicatrices et de moqueries qui visent ton parler maladroit. OK, il y a des fautes de français dans tes phrases. Mais dans un pays où le premier benêt venu peut écrire qu’il a eu son bac avec « mansion » , est-il raisonnable de te faire passer pour le principal criminel de la langue ?
T’en sais rien et ce n’est pas parce que tu n’es pas fort en maths que tu as arrêté de compter les fois où ta personne a été salie. Par exemple, un jour, tu as dit ça : « La roue tourne… va vite tourner. » On t’a attribué ça : « La routourne va vite tourner. » Ceux qui rient de tes conjugaisons hasardeuses savent-ils que pour jouer au foot à ton niveau, la lecture du jeu, la synchronisation de tes déplacements par rapport à ceux de tes coéquipiers, ainsi que la puissance et l’effet donnés au ballon sont des preuves que sur le plan de la géométrie, la logique et la prise de responsabilité, merci, tout va bien pour toi ? Apparemment, non.
Bon employé, mauvais directeur
Les supporters des Bleus t’ont successivement adoré (2006-2009), détesté (2010) et toléré (2011-2014). Car ils ne t’ont jugé que sur les phases finales de grands tournois. Tu ne leur as jamais dit que tu ne les aimais pas, mais tu leur as fait comprendre que c’était un peu le cas en annonçant ta retraite à Kicker, un magazine… allemand. Car en Allemagne, on t’accepte comme tu es. Là-bas, ils n’auraient pas eu le culot de résumer ta personne à cette sortie minable sur le plateau de Téléfoot à l’été 2010. Peut-être aussi parce que – thèse à ne pas négliger – nos cousins germains n’auraient pas été plus choqués que cela par le combo claquettes-chaussettes pour lequel tu avais opté ce matin-là. Plus tu y penses, plus tu es persuadé que ton mode d’emploi n’existe qu’en allemand.
À l’heure où ta retraite est officielle, tes 81 sélections, 16 buts et 14 passes décisives ne riment à rien. Tu n’as soulevé aucun trophée avec les Bleus et c’est ton principal crime. Ton statut de vice-champion du monde 2006 est une broutille de ton CV dont le seul mérite revient à Zinédine Zidane, c’est bien connu. Mais n’empêche, Francky, c’est vrai que tu étais meilleur quand tu avais quelqu’un au-dessus de toi. C’est le cas au Bayern, où la structure encadre l’homme. En France, une fois que Zidane t’a lâché la main, on a cru que pour que tu grandisses, il fallait te confier les clés. Mais toi, les clés, à moins que ce ne soit celles du bus de ton équipe que tu décides d’envoyer dans le décor, tu t’en tapes. Tu excelles contre l’Espagne en huitième du Mondial 2006, mais tu te liquéfies quand le défi est d’être une locomotive. Tu ne veux pas être le délégué de la classe, mais semer les fous rires et la terreur à côté du radiateur. C’est pas parce qu’on est un très bon employé qu’on fantasme sur un avenir de directeur.
Tu n’as jamais rien gagné en France ni pour la France. Tu ne soulèveras jamais de Coupe du monde ni d’Euro ni de Ballon d’or. Car tu as vieilli, Francky. Et avec le temps, tu as compris que tu avais déjà dans ton armoire à trophées un truc que Neuer, Müller, Benzema, Ronaldo et Messi n’auront jamais : une Coupe de Turquie remportée avec Rigobert Song.
Par Matthieu Pécot