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Tolisso et Lacazette, plus qu’une relation épistolaire
Tous deux formés à Lyon, tous deux partis pour faire le grand saut, tous deux récemment installés en équipe de France. Ce week-end, chacun leur tour, Corentin Tolisso et Alexandre Lacazette ont à leur manière montré qu'une amitié peut survivre aux kilomètres. Bien plus qu'une affaire de com', il s'agit surtout d'assurer ce voyage en Russie l'an prochain qu'ils ne s'imaginent pas faire l'un sans l'autre.
C’est l’histoire d’une photo prise à Clairefontaine le 6 juin dernier, de celles que l’on voit souvent lors des rassemblements de l’équipe de France. On peut y observer un cadre somme toute banal, réunissant de gauche à droite Alexandre Lacazette, Corentin Tolisso et Samuel Umtiti. Les trois Lyonnais de formation marchent, souriants, avant un match amical face à l’Espagne. En rang d’oignon, du plus petit au plus grand. De la bande de potes, il ne manque que le plus petit des Dalton, Jordan Ferri. Et si Lacazette et Tolisso, qui évoluent encore dans le Rhône, sont venus ensemble en avion quelques jours plus tôt, ce n’est pas seulement par souci d’économie : « Oui, j’ai vu cette photo, confie dans une interview au Bien Public le futur milieu de terrain du Bayern Munich. Ce n’est un secret pour personne que Sam, Alex et moi, Jordan aussi, on est très proches. Cela a pu nous retomber dessus quand il se disait que l’on semait un peu la zizanie dans le vestiaire. Ce n’était pas vrai du tout, c’est juste que l’on a beaucoup d’affinités. On ne peut pas être le même avec quelqu’un qui vient juste d’arriver au club et avec ceux que l’on côtoie depuis l’âge de treize, quatorze ans, et avec qui on a été au lycée. À notre arrivée chez les pros, on avait envie de continuer à partager ensemble notre histoire. » Une histoire qui, même si elle se déroule désormais sur des routes séparées, reste liée. Par messages interposés, par des soutiens appuyés au fil des semaines, des clins d’œil à peine cachés qui n’ont finalement qu’un seul objectif : que cette histoire d’amitié de club perdure en sélection. Et les mène ensemble à la Coupe du monde 2018.
Saut dans le vide simultané
Samedi 21 octobre, 19h22 au Volksparkstadion de Hambourg. Sur la centième passe décisive de la carrière de Thomas Müller, Corentin Tolisso ouvre le score pour le Bayern Munich d’un plat du pied du droit au fond des filets de Christian Mathenia. Le bonhomme, titularisé à une seule reprise depuis la reprise en main de Jupp Heynckes, vient là de marquer un pion important pour sa situation personnelle, son deuxième seulement en Bundesliga.
Bille en tête, il file vers le point de corner… et fête son but avec la célébration iconique de son ancien compère, avant d’en publier la photo sur son compte Instagram : « For my bro @lacazettealex #LosGangos » .
15h44, le lendemain, à Goodison Park. Servi sur une nouvelle passe d’une autre gloire allemande, Mesut Özil, Alexandre Lacazette burine le but du 3-1 sur le front des Toffees, scellant par là même le licenciement de Ronald Koeman. Mais ça, il ne le sait pas encore. Non, ce qui lui importe à cet instant, c’est de renvoyer la balle, c’est le cas de le dire. Il lève la main, écarte les doigts façon Spock, spéciale dédicace à son pote. Clin d’œil. Il se reconnaîtra.
Real recognize real! @CorentinTolisso @LacazetteAlex pic.twitter.com/lCIw0U19ND
— FC Bayern US (@FCBayernUS) 22 octobre 2017
Il faut interpréter ce soutien à distance comme ce qu’il est : celui de deux enfants devenus adultes en même temps, lorsqu’ils ont décidé de quitter dans un même élan le cocon familial. Entre frères, on s’appelle, on se soutient. Titularisés pour la première fois ensemble en équipe de France face à la Bulgarie au début du mois, les deux hommes ont fait de concert un choix risqué à un an de la Coupe du monde. Celui de sortir de leur zone de confort, celui-là même qui avait fini par faire louper l’Euro 2016 à Morgan Schneiderlin, attiré par le faste de Manchester United. Ce sont sûrement les choix de Didier Deschamps eux-mêmes qui ont entraîné cette prise de risque en duo. Malgré son statut de buteur confirmé à Lyon, Lacazette est longtemps irrémédiablement passé derrière André-Pierre Gignac, voire Kevin Gameiro dans l’esprit et les listes du sélectionneur. Même constat pour Tolisso, qui voyait l’expérience de Cabaye le devancer, lui, la tête de con. Lui, le gamin pédant qui s’embrouille avec Benjamin Mendy, le provocateur capable de faire disjoncter ses adversaires. L’enfant, quoi. Il devenait alors nécessaire de faire sa mue.
Espoirs et incertitudes
C’est une histoire d’amitié comme le football en offre parfois, entre un petit attaquant débarqué en 2003 sur les rives du Rhône, et un milieu de terrain arrivé quatre ans plus tard au même endroit. Dix ans de vie commune, dix ans de conneries et d’expérience que la distance, semble-t-il, n’est pas assez forte pour diluer. Surtout, ce lien sert à rappeler pourquoi les deux hommes sont aujourd’hui séparés : ils poursuivent un but commun, et comptent bien se tirer réciproquement vers le haut pour y parvenir. Attention, c’est une simple photographie du moment, à l’instant T. Pour l’instant, Lacazette et Tolisso sont dans le coup. L’attaquant d’Arsenal et le milieu du Bayern Munich étaient tous les deux là au début du mois lors des derniers matchs qui ont validé la qualification des Bleus pour le Mondial en Russie. Les deux potes sont plutôt en réussite sur ce début de saison, mais sont aussi liés par l’incertitude d’intégrer, ou non, cette fameuse liste des 23.
Ils ne font ni partie des installés, des « cadres » , ni des gamins aux moteurs à propulsion, comme Martial, Mbappé, Dembélé ou Coman. Eux ont tout à prouver, et logiquement, tout à perdre ou à gagner. « Pour moi personnellement, c’est un peu plus compliqué depuis l’arrivée de Jupp » , confiait d’ailleurs Tolisso après la rencontre face à Hambourg. Tout le contraire de Lacazette, actuel meilleur buteur français de 2017 avec 27 réalisations, devant Mbappé (24) et Griezmann (20). Les situations sportives sont différentes et pourtant tellement similaires qu’il paraîtrait étonnant que l’un des deux file en Russie sans l’autre. Voilà donc le réel défi des deux hommes cette saison, mus par le très public espoir de danser la Kalinka en couple le 14 juin 2018.
Par Théo Denmat