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Timothy Weah, made in USA
À 22 ans, Timothy Weah est devenu une figure incontournable en Ligue 1. Et si le Lillois, formé au PSG et passé furtivement au TFC, possède tout un tas de passeports, c'est l'américain qu'il a décidé de représenter. Portrait du fils de George et du neveu de Sam.
Le parvis du luxueux hôtel Pearl de Doha n’avait sûrement jamais connu pareille agitation. En cette douce soirée du 21 novembre 2022, la vue sur la mer dohanaise était ringardisée par un cortège présidentiel, à mesure que les yeux scrutaient l’arrivée grandiose de George Weah. Ce n’est pourtant pas en qualité de chef de l’État libérien, ni même en tant qu’ancien Ballon d’or, que Mister George étrennait son costume trois-pièces, mais bien en excellent papa poule. Un père ému aux larmes au moment d’embrasser son fils Timothy, buteur quelques heures auparavant en Coupe du monde avec les États-Unis face au pays de Galles (1-1). Le pion nécessaire aux Yankees pour idéalement lancer leur Mondial – achevé en huitièmes de finale contre les Pays-Bas (3-1) – et à haute valeur symbolique.
2 – Timothy Weah a inscrit 2 buts lors de ses 4 derniers matches avec les États-Unis toutes compétitions confondues, soit autant que lors de ses 22 premiers. Dogue. #USAWAL pic.twitter.com/PV4muxGnc1
— OptaJean (@OptaJean) November 21, 2022
Derrière la réalisation de l’attaquant du LOSC, sacré champion de France un an auparavant, se cache effectivement l’accomplissement d’un rêve pour toute la famille Weah, qui n’a jamais eu l’occasion de voir George disputer une Coupe du monde. « C’est un honneur de voir mon fils disputer le Mondial, s’émouvait le patriarche de façon prémonitoire, la veille de ce duel USA-Galles. Il réalise son rêve, car c’est le sien, et à travers lui, je peux également vivre le mien. Et s’il venait à marquer, ce n’en serait que plus beau. » Chose faite donc pour l’enfant de New York, décidé à hisser haut la bannière étoilée.
Coup de foudre à Manhattan
Ce destin américain, Timothy le doit d’abord à une banque. La Chase Bank de Manhattan. C’est là, à la fin des années 1980, que George Weah, venu déposer ses premiers deniers glanés en professionnel, rencontre la guichetière qui deviendra sa femme : Clar Duncan. Une native de Saint-Andrews en Jamaïque, footballeuse du dimanche, immigrée aux USA en quête de bonne fortune. D’abord infirmière, Clar va donc changer de voie et de vie en intégrant le secteur des finances. Coup de foudre à Manhattan, Weah et Duncan se marient le 26 juin 1993. Et si le couple accueille son premier enfant dès 1987 – George Weah Junior, futur footballeur à la carrière ratée avec les équipes réserves de l’AC Milan ou du PSG –, cette union officielle lui en offre deux autres : Martha, et le petit dernier, Timothy, né le 22 février 2000 à Brooklyn. Pour Tim, les USA deviennent ainsi le point de repère d’une trajectoire ascendante. « C’est sa mère, Clar, qui s’occupait de son début de carrière, rejoue Stéphane Pounewatchy, son premier agent. George entamait son cursus politique et était donc pris par le temps en voyages d’affaires. » Ancien défenseur de Martigues et Gueugnon, Pounewatchy fait la connaissance de Mister George sur les pelouses de D1. Une amitié qui l’amènera à conseiller son plus jeune fils bien des années plus tard. « Timothy a grandi comme un Américain, poursuit-il. Dans sa culture et sa manière d’être, il est définitivement lié à New York. » Car c’est bien dans la Big Apple que le gène du « footeux » s’empare de l’adolescent, malgré l’absence de ce légendaire paternel, trop occupé à tracer son après-carrière. Le salut vient alors d’une maman qui n’a jamais abandonné le football, sport souvent relié à la diaspora jamaïcaine. Et c’est d’ailleurs dans une structure familiale, le Rosedale Soccer Club of New York, gérée par son oncle Michael Duncan, que Timothy tape ses premiers ballons.
Dans le quartier de Bedford-Stuyvesant (Bed-Stuy), le gamin se découvre des qualités de vitesse et de finition. Des gestes travaillés sur le synthétique de Rosedale, West Pines en Floride – où la famille a brièvement emménagé – ou du BW Gottschee, une fois revenu à NYC. Les étapes sont toujours franchies sous l’œil d’une mère qui n’hésite pas à accompagner le fiston sur le béton des playgrounds voisins pour parfaire sa technique. Cette vie de quartier permet surtout à Tim de rencontrer Tyler Adams, actuel milieu défensif de Leeds United et capitaine de la sélection américaine. Membre de l’académie des New York Red Bulls, Adams convainc son pote de le rejoindre pour définitivement donner forme à sa future vie de footballeur. Chose faite en 2013. Les Red Bulls ouvrent la porte, rapidement défoncée en Europe. Bien qu’éloigné, George s’implique à distance en lui dégotant un essai du côté de Chelsea (club où il a évolué six mois en 2000), puis au Toulouse FC. Nous voici au printemps 2014, et Stéphane Pounewatchy entre en scène. « Quand je me suis lancé dans ma carrière de conseiller sportif, la famille Weah m’a mis en lien avec Timothy pour l’encadrer. Avec mes associés, nous sommes allés plusieurs fois le rencontrer aux USA, que ce soit à New York ou à Miami. Au même moment, je finalisais le transfert d’Issiaga Sylla à Toulouse, et j’ai donc soumis l’idée d’un petit essai de Tim là-bas. »
Le Téf, la confiance et la soul
À 14 ans seulement, Timothy traverse donc l’Atlantique. Présent pour l’accueillir, Christophe Bastien, recruteur pour le centre de formation du TFC, se souvient de ce teenager rapidement devenu mascotte. « Timothy était là dans le cadre d’une validation de formation qu’il devait rendre aux New York Red Bulls. Comme un rapport de stage, en quelque sorte. » Ces deux petites semaines en Haute-Garonne, auréolées d’une participation au très référencé tournoi de Sens (tournoi international U14), viennent le métamorphoser. C’est là que l’adolescent sera repéré par le Paris Saint-Germain, adversaire des Toulousains. Mais en attendant, retour en Amérique. « C’était assez touchant parce que nos petits Toulousains s’efforçaient de parler anglais pour le mettre à l’aise, et lui le français, pour s’adapter au groupe. À son retour à New York après le tournoi, il a fondu en larmes. Il est venu nous voir avec sa mère pour qu’on le garde, il était effondré », rejoue Bastien. Le TFC entame les démarches nécessaires à la prolongation de cette aventure particulière, mais se heurte à un règlement FIFA strict. Le recruteur enchaîne : « La FIFA prévoit que dans le cadre d’un changement de confédération pour un mineur (passage de la CONCACAF à l’UEFA dans ce cas précis), le joueur doit avoir une adresse postale dans sa ville d’accueil. Or, il n’en avait pas à Toulouse. Ses parents ont cherché quelque chose à acheter dans le coin, mais ça n’a pas pu se faire. Le PSG a donc sauté sur l’opportunité, puisque George Weah avait un pied-à-terre en région parisienne. » Le rêve français s’écrira en rouge et bleu. Débarqué au centre de formation à Paris, l’Américain y fait ses classes jusqu’à obtenir une première apparition professionnelle, en mars 2018 contre Troyes, à 18 ans. « La barrière de la langue a fait que, parfois, il a eu un peu de mal à intégrer ce qu’on lui demandait sur le football français », se souvient François Rodrigues, son entraîneur en U19 puis en réserve du PSG.
8312 – Timothy Weah dispute son premier match de Ligue 1 avec Paris, 8312 jours après le dernier de son père George Weah avec le club francilien (v le Havre le 31 mai 1995). Héritage. pic.twitter.com/G7o2ZxZWNf
— OptaJean (@OptaJean) March 3, 2018
Le coach se remémore surtout l’environnement très protecteur autour du jeune homme : « Sa maman était là en permanence. Je pense qu’elle a fait quelques sacrifices pour que son enfant puisse être où il est. Elle a aussi quitté son pays pour que Timothy puisse vivre pleinement sa passion. » Scolarisé en France, l’ado se démarque toutefois par un caractère estampillé New York. « Tim, c’était l’adolescent américain typique : quelqu’un d’hyper enjoué, qui faisait tout pour s’intégrer tout de suite. Même dans sa mentalité, il y a ce truc très américain, d’ultramotivation. Il ne se cachait pas et avait beaucoup de confiance en lui », résume aujourd’hui Bastien. Une exception culturelle que nourrit le principal intéressé. Confession dans La Voix du Nord. « Je suis né aux “States”, c’est pourquoi j’ai choisi de jouer pour les États-Unis. Mais à part ça, je suis très jamaïcain. J’ai été élevé comme ça. Je me souviens, petit, quand je rentrais de l’entraînement, le repas jamaïcain était prêt… On est cool, on profite de la vie. » La nourriture, check. La musique, encore plus. « Ma passion pour la musique, par exemple, vient principalement de mon éducation américaine. Le fait d’avoir grandi à New York m’a largement influencé en ce sens. » Cet intérêt prononcé pour la soul et le RnB, il l’emporte dans ses bagages vers l’Europe, au point d’installer son propre studio d’enregistrement chez lui, à Lille. « C’est un très bon chanteur, notre Timothy, en rigole Rodrigues. On était obligés d’écouter ce qu’il faisait parce qu’il était toujours en train de chanter. Force est de constater que c’était plutôt pas mal, il avait ce talent caché pour la musique. » Timothy développe : « Sitôt le football terminé, je passe au studio, et j’y reste toute la journée, imageait-il pour Hypebeast. Au PSG, j’essayais de me connecter aux enceintes avant les joueurs français, sinon c’est parti pour Booba, Kaaris… » Sous le pseudo « X-Rated », le buteur partage ainsi son talent avec six morceaux déjà produits, parmi lesquels Paris Interlude. Le seul disponible à l’écoute pour les curieux.
Figure populaire
Formé au PSG, et prêté astucieusement au Celtic de janvier à juin 2019, avant de devenir l’indiscutable que l’on connaît aujourd’hui au LOSC, Weah Jr. a toujours gardé son attachement pour les États-Unis. Sa fidélité aux équipes nationales américaines ne lui a pas laissé d’autres choix. « Je suis né et ai grandi à New York. Aux États-Unis, j’ai fait toutes les sélections de jeunes, glisse-t-il à la Gazzetta dello Sport. Donc j’ai toujours eu une fibre américaine très développée, et au moment de choisir ma sélection A, il n’y a eu aucune hésitation. Mon père a beau être président du Liberia, cela n’a joué aucun rôle dans mon choix. » Sélectionneur du phénomène lors de son passage en U20, Tab Ramos en garde un souvenir indélébile. « Pour Timothy, le choix était fait depuis toujours. Il est né et a grandi aux États-Unis, dans une culture populaire américaine. Le choix de représenter les USA n’a donc jamais prêté à discussion chez lui ou dans son entourage. » L’ancienne gloire américaine, brillamment assommée par le coude de Leonardo un après-midi d’USA-Brésil de la World Cup 94, sait de quoi il parle : « Je suis moi-même un “multicultural player”. Je suis né en Uruguay et j’ai appris à aimer les États-Unis. Aujourd’hui, à l’image de Tim, on dispose de nombreux jeunes immigrés de première ou deuxième génération. Par mon vécu, j’ai toujours échangé avec eux, en œuvrant pour leur permettre de faire le choix du cœur. »
Né aux États-Unis d’un père libérien (pays qu’il connaît relativement peu) et d’une mère jamaïcaine, Timothy, qui possède en outre un passeport français, est ce qu’on appelle un cosmopolite. Tab Ramos assure toutefois que son cœur a toujours penché pour sa terre natale : « L’un des symboles de cette attache au maillot reste sa convocation pour la Coupe du monde U20, en 2019. Pour Tim, j’avais prévu qu’il nous rejoigne un peu plus tard, car il devait disputer la finale de Coupe d’Écosse avec le Celtic. Mais il y a renoncé afin d’être présent avec nous dès le début du stage. Il a sacrifié une finale en club pour l’amour du maillot et de sa sélection. On ne peut pas mieux montrer son attachement à un pays. » La stratégie est largement payante, confirmée par le statut glané au fil des ans au sein de Team USA. « Il fait partie des porte-drapeaux du soccer sur le continent européen », apprécie François Rodrigues. Au pays de l’Oncle Sam, l’attaquant joue surtout un rôle d’ambassadeur populaire. « Ici, nous avons quatre autres sports majeurs : le basket, le football américain, le baseball et le hockey. Mais le football devient de plus en plus populaire, les joueurs sont de plus en plus reconnus dans la rue, décrit Richie Williams, qui l’a coaché en U17, avant d’intégrer le staff de Dave Sarachan lors de ses débuts chez les A. Christian Pulisic (sobrement surnommé « The LeBron James of soccer »), Weston McKennie, Timy, Tyler Adams ou Brendan Aaronson font des super choses en Europe. Mais même si ce sont des super joueurs, je ne veux pas les mettre dans la même catégorie qu’un LeBron James. Pour autant, ils sont en train de devenir des figures très populaires dans le pays. »
Une situation loin d’étonner Ramos : « Timothy a été l’un des premiers de cette génération à réaliser toute sa post-formation en Europe. Sa réussite nous a poussés à envoyer nos jeunes vers le Vieux Continent. Les empêcher de partir n’avait aucun sens, car en restant aux USA, ils risquaient de perdre un certain temps. » Coéquipier – même éphémère – de son idole Neymar, sacré champion de France voilà deux saisons, annoncé dans le viseur de l’OM pour l’été à venir : Timothy Weah s’est pleinement fait une place dans le paysage de la Ligue 1. Et le voilà déjà pris à rêver de la prochaine fois. Celle où son père viendra le revoir en Coupe du monde, bien entouré de cette génération de superstars. Un Mondial qui se tiendra chez lui, en 2026. Privilège que même LeBron James n’a jamais connu.
Par Adel Bentaha et Tom Binet
Tous propos recueillis par AB et TB, sauf mentions.