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Timbers Army, ultras en marge
Ce soir, la dix-neuvième édition du MLS All-Star Game verra les meilleurs joueurs du championnat US affronter le Bayern Munich. Un match qui se déroulera au Providence Park, une enceinte qui héberge sans doute l'un des groupes de supporters les plus singuliers de toute la MLS : la Timbers Army. Le tout, au beau milieu d'un des fiefs de la culture indie américaine, entre Elvis et des chemises de bûcheron.
On a coutume de dire que New York voire Boston font figure de bastions européens chez l’Oncle Sam. Mais, à bien y réfléchir, la ville qui tient plus du Vieux que du Nouveau Continent se situe sans doute à l’opposé du territoire, dans le nord-ouest du pays, en Oregon. À Portland, plus précisément. « Les habitants de Portland sont très fiers de leur ouverture d’esprit et il flotte dans les rues une sorte d’atmosphère très européenne : des transports en commun développés, des marchés ouverts, des petits restos de quartier, très peu de grosses marques américaines dans le centre-ville. Il y a aussi des vélos, de la bière et du vin, affirme, pas peu fier, le critique de cinéma et écrivain Shawn Levy. De nombreux habitants se sentent en marge de la culture américaine traditionnelle. Et être fan de foot en fait partie. » De fait, s’il gribouille les jours de la semaine, Shawn se transforme les week-ends en supporter de soccer. Et pas n’importe lequel : en membre de la Timbers Army.
Genèse entre mouvement ultra et Old Firm
Une institution qui « a commencé en 1999 ou 2000, sous la forme d’un groupe qui se réunissait pour regarder des matchs de foot dans les pubs » précise Levy. Lorsqu’en 2001, Marshall Glickman remonte la franchise des Portland Timbers près de vingt ans après la fin de la NASL, les frères Lenhart décident de créer de leur côté les Cascade Rangers (en référence aux Cascade Range, ces montagnes qui traversent l’Oregon) en compagnie de six autres fans. Très rapidement, le groupe prend ses quartiers derrière l’un des deux buts de Providence Park, dans la section 107 façon Curva de Serie A. Shawn, lui, « commence à traîner avec eux en 2003, alors qu’il y avait trente ou quarante personnes dans le groupe » . Entre-temps, les Cascade Rangers sont donc devenus la Timbers Army. Eh oui, pour des mecs qui revendiquent l’influence du Celtic Glasgow jusqu’aux couleurs du maillot, avoir le nom de l’ennemi séculaire, ça la fout mal. Depuis, les Portland Timbers sont montés en MLS (en 2011) et de nombreux Portlanders sont venus garnir les rangs de la Timbers Army, qui s’étale désormais sur seize sections du stade. « On a 5000 personnes les jours de match et 25 000 écharpes ‘No Pity’ (la devise du groupe, ndlr) écoulées, toujours de la main à la main, sans site Internet ni boutique » , lâche Levy. Un juste retour des choses selon ce dernier : « Dans les années 70, l’équipe des Timbers réunissait parfois plus de 30 000 personnes au stade. La majorité des joueurs est restée dans les parages, ont commencé des programmes de foot, notamment à l’Université de Portland, et de nombreux champions en sont sortis. Culturellement, le foot colle à la peau de Portland. »
Horde de blancs plein d’alcool vs. association caritative
Tellement que lorsque la montée en MLS est entérinée pour les Timbers, le président Merritt Paulson ira jusqu’à foutre à la porte du Providence Park sa propre franchise de baseball, les Portland Beavers puis, devant l’impossibilité de reloger les Beavers, ce dernier décidera de revendre la franchise à El Paso. Un choix dans lequel la Timbers Army a eu son rôle à jouer. Conscient qu’une montée en MLS ne se présente pas tous les jours, l’organisme avait alors exercé, toutes proportions gardées, une forme de lobby auprès du City Council de Portland, propriétaire du stade, pour rénover l’enceinte à partir de 2009. Deux ans et 36 millions de dollars plus tard, les Portland Timbers avaient un Providence Park flambant neuf. Une symbiose entre le club et ses supporters rare en MLS. Il y a quatre ans, John Canzano, éditorialiste au journal The Oregonian, publie un échange de mails entre le président Paulson et une mère de famille qui se plaint d’une Timbers Army qu’elle compare à « une horde de blancs plein d’alcool » . La réponse de Paulson a le mérite d’être claire : « La Timbers Army est loin d’être composée de hooligans et les autres équipes de MLS seraient ravies d’avoir un groupe de supporters comme la TA, qui offre une vraie ambiance de foot, sans pareille aux États-Unis » . Et même si le board des Portland Timbers avait demandé à annuler le chant You Suck Asshole destiné au gardien adverse il y a quelques années, « les relations sont au beau fixe, en général » . « Parfois, il y a des petits soucis d’organisation ou d’argent mais la sécurité du stade nous autorise à faire régner l’ordre dans nos tribunes – pas de jet de projectiles, pas de propos racistes ou homophobes, pas de maillots rivaux en tribunes – et les dirigeants du club travaillent toujours avec la TA sur les manifestations caritatives » , acquiesce un Shawn Levy on duty. Là est l’une des forces supplémentaires de la Timbers Army : son engagement. Avec ses 4000 membres payants, l’association caritative 107 Independent Supporters Trust permet non seulement de financer la Timbers Army en matière de déplacement et de logistique, mais aussi de donner sans compter. « En 2012, l’association a fait don de 77 000$ aux associations caritatives locales et a participé à plus de 5000 heures de bénévolat. En 2013, c’était 100 000$ et 100 000 heures. On travaille avec les banques alimentaires, les associations écolos, on intervient dans les écoles, on offre des équipements pour les équipes de lycée voire des bourses aux joueurs qui en ont besoin » , claironne Shawn. Chassez le naturel américain, il revient au galop.
Portland, ville musicale par excellence
Mais, outre cet incroyable travail de charité, quelle est la valeur intrinsèque de la Timbers Army ? D’inspiration ultra, la TA a une vraie culture du chant, amorcée par les capos tout au long du match. Et si elle se permet de piquer par-ci par-là quelques chants aux clubs européens, la Timbers Army s’illustre surtout par sa capacité à faire sienne des standards locaux voire nationaux. Dès le coup d’envoi, invariablement, la TA lance Portland Boys puis, lorsque les Timbers prennent un but, elle se met à chanter Rose City ‘Til I Die – Rose City étant le surnom de la ville de Portland. Des chants qui, parfois, naissent d’une véritable histoire, bien loin du supposé mimétisme maladroit du soccer US. « Can’t Help Falling in Love a commencé par être un chant de défi lors d’un déplacement à Vancouver, en 2004, se rappelle Shawn. Les supporters qui avaient fait le déplacement (ils étaient une trentaine, ndlr) se sont fait emmerder par les fans de Vancouver après une défaite et, pour donner du courage au groupe, l’un d’entre eux a proposé de chanter une chanson. Ils l’ont chantée longtemps jusqu’à la ramener à la maison. On l’a donc mise dans notre liste de chants. Maintenant, à chaque match, à la 85e minute, on la chante. Peu importe le résultat » . On parle bien d’un standard d’Elvis Presley, oui. Après tout, Portland est la ville des Kingsmen, des Dandy Warhols et d’Elliot Smith. Mais la chanson qui a sans doute le plus d’importance aux yeux de la Timbers Army demeure You Are My Sunshine. Une nouvelle fois, la mélopée ne va pas sans anecdote : « Cette chanson est en l’honneur de Timber Jim Serrill, sa fille Hannah et sa petite-fille Kiana. Quand Hannah est décédée dans un accident de voiture, la TA a commencé à récolter de l’argent pour Kiana. Pour nous remercier, Timber Jim est monté avec les capos à la fin d’un match et a commencé à chanter la berceuse préférée d’Hannah, You Are My Sunshine, en guidant la foule. Les Timbers ont marqué pile à ce moment-là et le reste appartient à la légende. Depuis, nous chantons cette chanson à la 80e minute de chaque match. Encore maintenant, il m’arrive de sangloter quand on l’entonne » .
Le bûcheron et la Space Needle
Timber Jim Serrill AKA la mascotte historique des Portland Timbers. Ce bûcheron, apparu dans les travées du stade en 1978 tronçonneuse au bras et qui a fini par découper des rondins de bois sur le bord du terrain en live pour les offrir aux buteurs portlanders ou au gardien local lorsque celui-ci rendait un clean sheet. À sa retraite en 2008, Jim a été remplacé par Joey, qui sera l’objet d’un tifo considéré comme l’un des plus beaux et originaux jamais réalisés en MLS : un dessin géant et mobile de Timber Joey découpant la Space Needle, l’emblème de la ville de Seattle. Car qui dit supporters dit rivalité. Et si les Timbers se font souvent taper par les Sounders sur le terrain, la bataille en tribunes, elle, est beaucoup plus équilibrée et tourne même souvent à l’avantage des mecs de l’Oregon. « Les Sounders déplacent des foules incroyables, ils jouent dans un stade de football américain de 60 000 places, balance Levy, qui se satisfait pleinement des 20 000 places de son Providence Park. Mais honnêtement, je crois qu’ils ne nous arrivent pas à la cheville en matière d’intensité et de décibels pendant 90 minutes de match. Dans notre stade comme dans le leur. Ils nous dominent par le nombre, on les domine par la passion ! »
Par Matthieu Rostac
* Keep Portland Weird est une maxime locale censé représenter l'originalité et la loufoquerie de la ville de l'Oregon