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Tijuana champion à épines, Cruyff viré
Johan Cruyff égaré à Guadalajara. Un champion novice et sulfureux : les Xolos Tijuana. Mais aussi, des clubs qui violent le règlement FIFA. Notre condensé du tournoi d'ouverture mexicain qui vient de s'achever.
Xoloitzcuintle : chien originaire du Mexique et présentant la particularité d’être dépourvu de poils, appelé communément chien aztèque. Depuis dimanche, ce mot quasi imprononçable désigne également le nouveau champion mexicain : les Xoloitzcuintles de Tijuana. Un curieux club fondé il y a seulement cinq ans (rachat d’une franchise de deuxième division), et qui vient d’obtenir son premier titre dix-huit mois après avoir accédé à l’élite. Deuxième de la saison régulière, le club fondé par le sulfureux homme d’affaire et politicien, Jorge Hank Rhon, est venu à bout de Toluca, le leader, lors de la finale de la Liguilla (les play-offs qui concluent le tournoi mexicain). Victoire au match aller, à domicile (2-1), et également au retour (0-2). Beware of the dog !
À l’origine de la fondation du club, Jorge Hank Rhon n’est toutefois plus son président. Le 4 juin 2011, quelques jours après la montée en première division du club de Tijuana, la villa de l’ex maire de la ville était perquisitionnée. Un véritable arsenal y était découvert. Devant la menace de désaffiliation du club, un communiqué précisait que l’un de ses 19 enfants, Jorge Alberto Hank (27 ans), en est le président. Passionné d’animaux exotiques, – tigres, boas, chameaux, parsèment sa villa – Jorge Hank Rhon, fils d’une importante figure du PRI (parti révolutionnaire institutionnel), a été soupçonné par la DEA d’ entretenir des liens avec le narcotrafic.
Malgré la mauvaise réputation des Hank Rhon, les Xolos se veulent une institution modèle dans une ville où prospère le trafic de drogue et la prostitution. Leurs résultats valident leur politique sportive. Outre des installations de premier ordre, l’audacieuse politique de recrutement du club explique, en grande partie, sa réussite. Les Xolos vont ainsi repérer des pochos (américains d’origine mexicaine) de l’autre côté de la frontière pour alimenter leur centre de formation, mais aussi leur équipe première. Les internationaux ricains Edgar Castillo et surtout l’excellent Joe Corona sont deux titulaires indiscutables du néo-champion. Le club de Tijuana se plaît aussi à relancer du footballeur revanchard, et quand le besoin s’en fait sentir, le carnet de chèque de la famille Hank Rhon permet de s’accaparer des talents sud-américains. Auteur d’une excellente Copa Libertadores en 2012 sous les couleurs du Deportivo Quito, Fidel Martinez, le Neymar équatorien – même renard sur la tête – a ainsi été débauché. Il disputera l’édition 2013 avec les Xolos. Un club qui sent le souffre mais dont le vorace appétit redonne du piment à un championnat trop sclérosé.
Cruyff lost in Guadalajara
Pendant la finale du tournoi d’ouverture, un communiqué des Chivas, club le plus populaire du pays est tombé. Il annonçait la fin de la collaboration entre Johan Cruyff et les Chivas, entamée en février dernier. Le projet dénommé pompeusement « football total chivas » devait, à l’origine, se développer sur trois années. Cruyff supervisait à distance, et avait installé ses hommes à Guadalajara, dont l’entraîneur John Van’t Schip, vainqueur de l’Euro 88 en tant que joueur, et adjoint de Van Basten pendant l’Euro 2004. Huitièmes de la saison régulière, les Chivas se sont qualifié in extremis pour la Liguilla, d’où ils ont été éjectés dès les quarts de finale par Toluca. Lors de l’un de ses trois courts séjours au Mexique (moins d’une semaine, à chaque fois), Cruyff avait vu le club le plus titré du pays (11 championnats) toucher le fond. Le 25 octobre, les Chivas étaient ainsi éliminés de la très peu relevée Ligue des champions de la CONCACAF dès la phase de poules. L’ex club de Chicharito cohabitait dans son groupe avec un représentant de Trinidad et Tobago, et un Guatémaltèque.
Devant ce triste panorama, Cruyff, Van’t Schip et Vergara ne cessaient d’en appeler à la patience des média et des supporters. Grand sanguin et consommateur d’entraîneur, le président des Chivas a finalement préféré écourté la coûteuse collaboration. Il y a neuf mois, cet homme d’affaire jamais avare d’une déclaration grandiloquente avait assuré que les Chivas deviendraient avec Cruyff « meilleur que le Barça » . Outre Van’t Schip et son espagnol approximatif, une douzaine d’entraîneurs et adjoints bataves officiaient au sein de cette institution réputée pour la qualité de son centre de formation (Vela, Chicharito, Salcido …). Rompre à l’échéance des neuf mois, un classique. Au Mexique, comme ailleurs.
Des clubs hors-la-loi
Loin de la médiocrité des Chivas, une autre équipe a surpris le Mexique cette saison : le promu, Leon. Absent de l’élite depuis dix ans, ce club de tradition a atteint les demi-finales, où les Xolos, l’autre sensation de la saison, ont mis fin à la belle histoire (0-2, 3-0). Réjouissant sur le terrain, Leon appartient depuis 2011 au groupe Pachuca, propriétaire du club du même nom. Une institution qui a régné sur le foot mexicain lors de la première décennie de ce siècle. Président du Pachuca FC, Jesus Martinez a installé son fils et homonyme, Jesus Martinez, 27 ans, à la tête de Leon. Au mois de septembre, Carlos Slim, l’homme le plus riche du monde (selon Forbes), a pris possession de 30% du capital du groupe Pachuca. De quoi envisager l’avenir avec sérénité pour les deux clubs frères.
Sauf que Leon et Pachuca violent une règle de la FIFA, qui interdit la multi-propriété. Un cas pas vraiment isolé au Mexique. Les Jaguares Chiapas et Morelia appartiennent ainsi à TV Azteca, géant des média. Et jusqu’en juin dernier, San Luis et l’America étaient détenus par le concurrent, Televisa. De nombreuses rencontres entre ces deux clubs ont d’ailleurs été considérées comme suspectes. Mais le Mexique, pays hispanophone le plus peuplé, représente un trop gros marché pour que la FIFA mette son nez dans ses petits arrangements entre amis. Leon et Pachuca n’ont pas grand-chose à craindre. Le Mexique est un pays du tiers-monde au football prospère. Il peut attirer Johan Cruyff, pas vraiment réputé pour être un philanthrope, tandis que ses propriétaires louches ou illégaux savent qu’ils peuvent continuer à y œuvrer en toute impunité. À propos,Jorge Hank Rhon est le patron d’une chaîne de casinos, où l’on peut parier sur les résultats de l’équipe présidée par son fils…
Par Thomas Goubin, à Guadalajara