En 2010, Patrice Évra disait : « Il ne suffit pas de se balader avec des livres sur l’esclavage, des lunettes et un chapeau pour devenir Malcom X » , en visant Thuram. Toi, tu as déjà rappé « On fera de la politique quand Thuram sera président » et tu t’apprêtes à participer à un concert en hommage à Malcolm X. T’as un truc à dire à Patrice Évra ?
Non, au contraire, j’ai l’impression d’être un des seuls à kiffer Patrice Évra. Chez nous, on a tendance à aimer les vilains petits canards. Évra, objectivement, c’est un vrai bon sportif de haut niveau. En 2010, il a porté le chapeau pour tout le monde. Dans ce clash, pour le coup, j’avais trouvé ce que disait Thuram un peu populiste. Je l’ai trouvé très maladroit à vouloir couper des têtes. Ma phrase sur lui ne veut pas dire que je valide tout ce qu’il fait, c’était seulement un clin d’œil. Pour les gens de banlieue, il est un symbole de réussite. Je le voyais un peu comme le grand frère. Dans Jeune débrouillard, quand je dis « Le débrouillard, c’est celui qui lit et fait de la muscu » , je parle complètement de ce type de gars.
Il paraît que tu étais à l’école avec Gaël Angoula…
Au lycée, en seconde STI. C’est toujours un bon copain, même si on ne se donne plus trop de nouvelles ces temps-ci. La première fois où je l’ai vu, j’ai eu la même impression que la France a eu en le découvrant quand il s’est pris la tête avec Ibrahimović. Je me suis dit : « Lui, tu peux le fréquenter, mais seulement à petite dose. » C’était un a priori à la con, c’est un super mec. Son grand frère Aldo aussi. Ce sont des gens que je respecte pour ce qu’ils sont, pour leur cursus sportif… Ils ont eu le mérite de ne jamais lâcher l’affaire. Ils ont découvert la Ligue 1 sur le tard. Des jeunes du Havre qui ont du talent, il y en a plein. Mais ceux qui ne savent pas s’organiser ou ont la flemme d’aller à Rouen, alors que c’est juste à côté en se disant que c’est un pas en arrière dans leur carrière, j’en connais aussi beaucoup. Le super exemple de mec du Havre qui a accepté de passer n’importe où et a fini par réussir, c’est Demba Ba. Je ne le connais pas personnellement, mais ma sœur était surveillante dans son bahut.
Il n’y a jamais eu autant de rimes sur des joueurs de Ligue 1 dans le rap français qu’aujourd’hui. Tu as une explication ?
C’est dû au phénomène PSG. Ce n’est qu’une histoire de médiatisation. La plupart des rappeurs qui parlent du PSG, à l’époque du maillot Opel, on ne les entendait pas.
Dans Balla Gaye, tu commences par une dédicace à Kévin Anin ? Pourquoi ?
Parce que c’est comme ça. C’est un petit de mon quartier, le Mont-Gaillard. J’avais l’habitude de communiquer avec lui par texto quand il était à Sochaux et à Nice. Par pudeur, je ne l’ai pas contacté après son accident. Je ne voulais pas faire chier sa famille, j’ai préféré le laisser se rétablir tranquillement. Le hasard a fait que j’étais en pleine création d’un morceau. Balla Gaye, c’est un lutteur sénégalais et je trouvais que ça collait au côté combattant de Kevin. Je me souviens d’une longue conversation un jour où il était revenu au Havre. Il m’avait raconté son histoire avec Arsenal. C’est un vrai guerrier et c’était ma manière à moi de dire que je pensais à lui.
Plus jeune, il rappait, et plutôt pas mal…
Avec Din Records, on fait des ateliers musicaux. Un jour, je l’ai eu. C’était un adolescent. Il a lâché son couplet. C’était plutôt bien, d’ailleurs. Je lui ai dit : « Mais qu’est-ce que tu fais là, toi ? Fous-moi le camp, va au foot et tu viendras nous revoir si ça n’a pas marché. » Il était au centre de formation du HAC et perdait son temps dans le rap.
La ressemblance entre Aulas et Palpatine de Star Wars, elle me parle
Dans le clip de Balla Gaye, justement, on voit le maillot de Gueïda Fofana. C’est à cause de lui que tu es devenu supporter de Lyon ?
Gueïda, pour le coup, il est vraiment de chez moi. Il était dans la classe de ma petite sœur. Mais non, je supportais Lyon avant. On était à un concert avec Ness & Cité (premier groupe phare du label Din Records, ndlr) à Lyon, c’était à l’époque où l’OL écrasait la Ligue 1. On est allés en ville et il y avait une grosse banderole où il était écrit « C’est qui les tauliers ? » Je ne les ai plus lâchés depuis. Jean-Michel Aulas me fascine. Cette capacité à foutre la merde, j’aime bien. Je suis un peu l’avocat d’Aulas. À chaque fois qu’il y a une discussion où quelqu’un lui tombe dessus, je prends sa défense. C’est comme ça. Et puis sa ressemblance avec Palpatine de Star Wars, elle me parle. Bref, au quartier, quand on a su que Gueïda allait quitter le HAC et qu’on lisait les journaux, j’étais le premier à dire : « Mais évidemment, faut qu’il aille à Lyon! »
Sur Five Minutes a Slave, tu dis : « J’ai la peau noire comme Bafé. » Et est-ce que tu as déjà fait des malaises vagaux comme Bafé ?
Non ! Et à chaque fois qu’il en fait, ça me fait peur. La seule fois où j’ai failli tomber dans les pommes, c’est suite à une histoire où je m’étais pété le bras au ski. En revenant, je me suis fait opérer et le soir-même, il y avait un concert de Kery James. Je devais rester à l’hostomais je suis sorti, et puis la tête a un peu tourné.
En tant que Havrais, tu vas souvent voir le HAC ?
J’y suis allé en début de saison avec mon frère. J’ai trouvé le petit Moussa Sao pas mal. Deux mois après, il signait à Sochaux. Quand ton club en arrive à vendre ses meilleurs joueurs à des clubs de Ligue 2… Cette saison, il y a eu le feuilleton Maillol que j’ai trouvé magnifique aussi. On avait l’impression que Louvel était désespéré, qu’il voulait vendre pour vendre, quitte à ce que ce soit à n’importe qui. Le mec était interdit bancaire. Même un kebab, je ne lui aurais pas vendu ! Il y a quelque temps, il y avait le projet de rachat de Dhorasoo, mais je n’ai jamais su si c’était du sérieux ou pas. Quelque part, la situation du HAC me rend triste. C’est le club de ma ville, de supers joueurs viennent de notre centre de formation. La place du Havre est dans l’élite, on n’est pas non plus Marly-Gomont.
Sur Salam, tu salues Nicolas Anelka. Qu’est-ce qui te plaît chez lui ?
C’est un vilain petit canard, lui aussi. Il est la rébellion. Il n’y a pas plus insoumis que lui dans le foot. Il a les deux pieds dans le truc, mais il est quand même en marge. Il nous représente à 100%.
Le fil conducteur de ton album, et même de ta carrière, tourne autour d’une question : « Es-tu esclave ou maître ? » Un joueur de foot a-t-il toujours le choix ?
On a toujours le choix. Si le foot te sert à sortir de ta condition, tu es maître. Si ce que tu recherches, c’est la gloire et les sorties en boîte, tu es esclave. Et être esclave, c’est pas terrible.
France-Israël : puisque le foot est politique
Who is Malcolm X, ce soir au Bataclan, avec Médine, Tiers Monde, Lino, Casey, Kery James, Youssoupha, Disiz, Mac Tyer, Dosseh, Faada Freddy, Imany, Shone.