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Thievy Bifouma, le talent à fleur de peau
Prêté par l'Espanyol Barcelone à Reims, Thievy Bifouma a ouvert son compteur but à Caen. Si le talent du Franco-Congolais est indéniable, sa personnalité atypique a jusqu'à présent été son principal frein. Son ancien sélectionneur Claude Leroy fait les présentations.
« Je n’ai pas envie de parler de lui, désolé. » Quand on l’interroge sur Thievy Bifouma, cet ancien encadrant du centre de formation de Strasbourg ferme la porte au dialogue. « Non, il ne m’a pas laissé un grand souvenir, et je ne vous dirais pas pourquoi, c’est comme ça. » Il faut dire qu’entre la nouvelle recrue rémoise au style capillaire improbable et le Racing, l’histoire s’est mal terminée. Engagé par une convention de formation de trois ans, régulièrement appelé en CFA, le natif de Saint-Denis refuse une offre de contrat stagiaire pro du club alsacien à l’été 2010. Avec son agent, il est parti passer une journée de détection à l’Espanyol Barcelone qui ne le laisse pas repartir.
D’où le lapin pour les Strasbourgeois, qui, dans l’histoire, s’assoient sur une indemnité de formation estimée à 270 000 euros, car le gamin signe une licence amateur en Catalogne. Six ans plus tard, Bifouma est devenu international congolais et joueur professionnel, le Racing continue, lui, de vivre en National, où il est tombé en cette funeste année 2010. Mais ce serait exagéré de dire que l’attaquant a réussi en Espagne, malgré une saison 2011-2012 qui le voit gagner en temps de jeu avec l’équipe première de l’Espanyol. Prêté à de multiples reprises, il a désormais rejoint Reims, qui est son cinquième club différent en moins de quatre ans. Autant dire qu’en Champagne, il abat l’une de ses dernières cartes pour montrer qu’il peut devenir un cador, à la mesure de ses performances en sélection congolaise.
Ministre et tutoiement
« S’il a jusqu’à présent mieux marché en sélection qu’en club, c’est parce que c’est le seul endroit où il a été titulaire. Il marche à la confiance, il doit être en confiance pour donner sa pleine mesure » , estime Claude Leroy, ancien sélectionneur du Congo et à l’origine de l’intégration de Bifouma en sélection.
Et aussi l’un des premiers à avoir pris pleinement cause pour le Francilien de naissance. « Quand j’ai su qu’il avait la double nationalité, je me suis battu pour le convaincre d’opter pour le Congo. Même le ministre des Sports est intervenu. Certaines personnes se demandaient pourquoi je me battais pour un joueur remplaçant en club, mais les gens n’ont pas conscience de l’étendue de ses qualités. Elles sont immenses. » Leroy les a découvert lors de matchs entre équipe de jeunes sur le sol français et a rapidement été séduit par « la vitesse, la qualité de dribbles et les prises de risques » de l’attaquant. Un style qui ne plaît pas forcément à tout le monde, car selon Leroy, « on aime bien les gens rigoureux, besogneux, et on est plus suspicieux envers les créatifs. Mais si on les bloque tous, on tue le football. » Le technicien globetrotter en convient cependant : pour que Thievy Bifouma donne sa pleine mesure, il faut savoir appréhender sa personnalité ultra-sensible.
« Il a besoin de proximité, mais aussi de comprendre tout. Il est intelligent, il faut lui expliquer les choses telles qu’elles sont. Si on lui ment, on ne tient pas une promesse, ses réactions peuvent être excessives. Il est très sensible au sentiment d’injustice. » Un tempérament qui expliquerait qu’il n’ait jamais réussi à s’imposer sur la durée dans un club espagnol ni même à West Bromwich, le temps d’un prêt.
Mais Claude Leroy, lui, a su y faire, notamment parce qu’il a accepté l’homme avec ses défauts. « Dès la seconde rencontre, il m’a tutoyé, ce qui a surpris les plus anciens de ses coéquipiers. Mais à mon époque, je tutoyais bien Michel Le Milinaire, alors je n’allais pas m’en formaliser, car il était très respectueux malgré tout. » Cependant, le joueur de l’Espanyol a régulièrement besoin de se faire remettre les pendules à l’heure. « Même si ce n’était pas pour des choses graves, je l’ai repris de volée plusieurs fois devant ses équipiers, car il ne restait pas à sa place. Même aux entraînements, si c’était du travail athlétique, il avait du mal à se motiver. »
Victoire historique au Nigeria, intérêt marseillais et adieux déchirants
Malgré cette légèreté dans son comportement, Bifouma donne raison à son sélectionneur en plantant trois buts à la CAN 2015, dont il est l’une des pièces maîtresses du Congo. « Il a beaucoup apporté par ses buts et ses passes décisives à la CAN, mais aussi en éliminatoire avec un rôle prépondérant dans notre victoire historique au Nigeria. » En septembre 2014 pour être précis, alors que le Congo n’en mène pas large avant la rencontre, Thievy Bifouma délivre une passe décisive pour Prince Oniangué et claque deux buts pour un succès 3-2 dans l’antre des Super Eagles.
« J’avais fait le compte de ses qualités et de ses défauts » , se souvient Leroy, et au final, je lui ai dit : « La somme de tes qualités est supérieure, donc tu peux rater un match, je te ferai quand même jouer le prochain. » Résultat, il a toujours répondu présent, même quand sa situation en club ou sa situation personnelle par rapport à sa fille n’étaient pas simples. »
Leroy en est certain, Reims a fait une bonne pioche en vue de son opération maintien. « Franck Passi m’avait appelé, je lui avais conseillé de le prendre à Marseille. Pour Reims, je pense que c’est le complément idéal de Nicolas de Préville. »
Mais l’ancien sélectionneur du Congo ne voit pas son ancien protégé s’éterniser en Champagne ni même à l’Espanyol, « car s’il apprend à contrôler ses réactions épidermiques, il pourra arriver dans un très gros club. Il est un peu comme Mahrez, un potentiel qui peut éclore à tout moment. » Mais celui qui a dirigé huit sélections différentes en Afrique et en Asie n’est peut-être pas totalement objectif. Entre Bifouma et lui s’est nouée une proximité peu banale, à tel point qu’au moment de quitter les Diables rouges, « Thievy était dévasté et n’a pas arrêté de m’appeler pour me pousser à rester » . L’affection mutuelle est tellement forte que Claude Leroy serait l’un des rares à pouvoir toucher au cuir chevelu de l’attaquant rémois : « Je n’arrêtais pas de le faire pour le taquiner, mais attention, sa coupe de cheveux, c’est sacré. Mais vous verrez, quand on commencera à lui laisser du temps de jeu et qu’il pourra montrer ses qualités, il s’occupera moins de ses cheveux et il reviendra à une coiffure plus classique. » En clair, si on veut connaître les dispositions mentales de Thievy Bifouma, il suffit de demander à son coiffeur.
Par Nicolas Jucha
Propos recueillis par NJ