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« Personne ne veut traiter le problème du racisme dans les stades »
À la suite des cris racistes survenus dimanche lors de la rencontre de Coupe Gambardella entre les U18 de Vierzon et Bourges, Thierry Pronko, le président du VFC, écœuré, est monté au créneau. Depuis, le club du Cher a stoppé pratiquement toutes ses activités. Entretien.
Dimanche, lors de la rencontre de Coupe Gambardella entre vos U18 de Vierzon et ceux de Bourges, des cris de singe ont été entendus des tribunes du stade Brouhot. Qu’est-ce qu’il s’est passé exactement ?
Le match se passait tout à fait normalement, il n’y a pas eu de problème entre les acteurs (joueurs, éducateurs, dirigeants). Dix spectateurs, qui étaient en face de la tribune en première mi-temps, ont commencé à tenir des propos racistes et proférer des menaces contre l’intégrité des joueurs de Bourges. L’arbitre de touche les a signalés à l’arbitre central, qui a interrompu la rencontre une première fois et l’a fait remonter au délégué. Quand on a été prévenu, des dirigeants ont été à leur rencontre. La mi-temps est arrivée à ce moment-là. Ces derniers se sont installés en tribune et le groupe s’est élargi à une trentaine de personnes. On a tenté à nouveau de les calmer, en vain. Puis enfin, à la 70e minute, après une blessure d’un joueur adverse, il y a eu des cris de singes. L’arbitre a donc décidé d’interrompre définitivement la rencontre. Quand j’ai appris la nouvelle, j’étais avec l’équipe sénior en déplacement, j’ai directement demandé de contacter le commissariat. Quand ils sont intervenus, le match était déjà arrêté, donc les auteurs n’ont pas pu être identifiés, car c’est difficile de déterminer les responsables dans ce genre de situation.
Quel a été votre sentiment après cet incident ?
Cela fait très longtemps que le football ne m’avait pas empêché de dormir. J’ai dû y parvenir pendant 1h30 lors des deux dernières nuits. Je suis dégoûté, du moins nous sommes tous dégoûtés avec les bénévoles parce que je ne suis pas seul à faire tourner le club. Tout notre travail est bousillé, et notre image est salie.
Depuis près de deux ans, vous avez une pancarte « Non au racisme » dans votre stade. D’évidence, cela ne suffit pas à empêcher ce genre d’actions haineuses…
Ce panneau est arrivé à la suite du 7e tour de coupe de France que l’on a joué contre Le Havre en 2021. On avait profité d’avoir un stade plein pour organiser une journée « Stop à la violence » et « Non au racisme » en faisant notamment lire un texte à chaque capitaine. Sur les réseaux sociaux, j’ai déjà fait plusieurs appels au calme cette saison, notamment avec certains parents qui mettent de la tension pour que leur fils, qu’ils voient tous comme le futur Mbappé, soit titulaire. Bon maintenant, ce sont des problèmes que l’on connaît. On a une bande de jeunes entre 16 et 20 ans qui viennent de temps en temps se défouler au stade. Ils ne sont pas maîtrisables. Nous, en tant que bénévoles, on ne va pas mettre notre intégrité physique en jeu quand on sait qu’ils peuvent sortir une lame de cutter ou un couteau. Un des problèmes majeurs, c’est que nous n’avons plus de gardien, donc on doit aussi faire la police. Ce n’est pas notre rôle.
Dans un communiqué, vous pointez justement le manque d’accompagnement des instances sur ces problématiques…
Il y a un vrai manque de soutien des instances du football, que ce soit fédération, ligue ou district. Je me sens totalement délaissé. Que l’on nous guide sur des actions concrètes à mettre en place dans ces cas précis ! La seule réaction de notre président de ligue a été de dire à un journaliste du Berry Républicain dimanche soir que « des sanctions exemplaires seront prises » sans même connaître le dossier. J’ai aussi eu un appel de Philippe Diallo, c’est très gentil, mais bon… On veut nous faire endosser des rôles que les instances sont elles-mêmes incapables de remplir. C’est une utopie. On ne respecte pas assez les dirigeants du monde amateur. Parfois, quand je vais dans les commissions de discipline, j’ai plutôt l’impression d’avoir affaire à des gens qui se comportent comme ceux qui ont déporté mon grand-père pendant la Seconde Guerre mondiale. Il faudrait nous accorder davantage de crédit. Aujourd’hui, notre parole n’a aucune valeur.
Dans le football professionnel aussi, le racisme est un fléau. À quel point ce qu’il se passe dans les tribunes des clubs pros influe sur le monde amateur selon vous ?
En tant que passionné de football, je fréquente des stades de Ligue 1. Je peux vous dire que vu ce que j’entends en tribune, il n’y a pas un match qui durerait plus de cinq minutes. Aujourd’hui, il ne faut pas me dire que les responsables ne les entendent pas. Il n’y a rien de fait, notamment à cause de certains intérêts économiques, donc tous ces jeunes qui vont au stade, qui regardent des matchs de foot à la TV ont pu entendre les chants homophobes lors de PSG-OM et les insultes des joueurs parisiens envers les Marseillais. Quel exemple on leur donne ? Si c’est nos gars qui crient ce genre d’atrocités dans les mégaphones, ils vont prendre six mois, un an. Qu’est-ce que vont prendre ces joueurs ? L’exemple doit venir d’en haut. Il y a un problème que personne ne veut traiter.
Le match a été interrompu alors que vos joueurs gagnaient 3-1, même si cela peut paraître anecdotique aujourd’hui, quelles sont les démarches pour éviter la défaite sur tapis vert ?
Je m’attends à de lourdes sanctions. Nos jeunes réalisaient l’exploit de mener 3-1. On n’avait rien à gagner que ce match soit arrêté. On va attendre, mais je sais, on est le club organisateur donc responsable, c’est facile ! Si ça fait plaisir aux instances de nous éliminer… Après, l’important, c’est que mes jeunes puissent pratiquer dans les meilleures conditions possibles sans toute cette pollution autour. Ma bataille, elle est là.
Après avoir porté plainte contre les auteurs des faits, vous avez pris la décision de vous mettre en retrait de vos fonctions et de suspendre quasiment toutes les activités du club. Pourquoi ?
Ce sont des mesures dures, radicales. Mais à un moment donné, il faut qu’il y ait quelqu’un qui dise stop. Je ne continuerai pas comme ça. Un jour, il y aura un drame. On va perdre des licenciés, plus personne ne va prendre du plaisir. Je me bats pour que cela n’arrive pas, pour que les jeunes puissent continuer de prendre du plaisir quand ils viennent taper la balle. Je veux marquer le coup.
Cela fait 28 ans que vous êtes à la tête de ce club. Est-ce que cet incident vous fait réfléchir pour la suite ?
Bien sûr ! J’ai l’impression que tout ce que l’on a fait tombe à l’eau, je suis écœuré. Ce mercredi, on a une réunion lors de laquelle je vais exposer toutes les problématiques que l’on a. Si je suis écouté et que l’on m’apporte une aide, j’irai au bout de mon mandat et on marquera le coup : aucune de nos équipes départementale et régionale ne jouera ce week-end. On ne peut pas s’arrêter à une mesurette. Sinon, ce sera terminé pour moi. Je quitterai le milieu du foot. On ne peut pas tout accepter.
Propos recueillis par Thomas Morlec