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Thierry Henry, Montréal en pleurs

Par Alexis Gacon, à Montréal
6 minutes
Thierry Henry, Montréal en pleurs

Quelques jours après avoir vu leur club changer de nom, les supporters de l'Impact Montréal - ou plutôt ceux du Club de Foot Montréal - viennent d'apprendre le départ de leur entraîneur Thierry Henry. Ils s'expriment, la boule dans la gorge.

Son visage, lançant un air de défi, s’affichait encore sur une pancarte il y a quelques semaines en surplomb du centre Nutrilait, le complexe d’entraînement de Montréal. En immense, on pouvait y lire : « L’Impact montréalais de Thierry Henry » . Depuis, le passé s’est fait la malle. Fini l’Impact, place au Club de Foot Montréal. Et Titi est parti. Le club est à un tournant historique et ses groupes de supporters sont dans le flou artistique pour la saison qui arrive. Car malgré des résultats décevants, Henry avait eu le temps de semer quelques promesses au Québec.

Olivier Brown, abonné à la section 131 du stade Saputo, n’est pas tombé de sa chaise en apprenant la nouvelle du départ du coach : « Comme il était parti en Angleterre début février, il allait forcément devoir rater le camp d’entraînement en revenant, avec la quarantaine obligatoire de deux semaines. En plus, il n’avait pas commenté l’annonce de la nomination de son adjoint, le Belge Laurent Ciman. Ça m’a mis la puce à l’oreille. »

« J’ai l’impression de l’avoir juste vu à la télé »

Son départ, Henry l’explique dans un communiqué. Il parle d’une année « extrêmement difficile » durant laquelle il n’a pu voir ses enfants et d’une prochaine saison où le CF Montréal devrait à nouveau avoir à se délocaliser aux États-Unis pour jouer, à cause des restrictions de voyages.

Un an et trois mois après sa signature, Titi a déjà plié bagage. Pour les ultras montréalais, comme Annie Bélanger, il laisse l’image d’un ex qui disait vouloir emménager pour du sérieux, mais qui ne nous laisse finalement qu’une brosse à dents en souvenir. « Je m’étais attachée. Mais on est habitués à des coachs qui nous quittent à tout bout de champ », indique la supportrice d’une équipe qui a connu six entraîneurs en sept ans.

Les supporters comprennent son départ, mais ni le timing (à deux semaines de la présaison), ni la forme de l’adieu. « Il aurait pu prendre sa décision dès décembre. Et un communiqué laconique, c’est un peu bateau quand on n’est pas viré, soupire Olivier. En vrai, de toute la saison, j’ai l’impression de n’avoir vu Henry qu’à la télé. Je me souviendrai notamment de lui contre le New England Revolution, un genou à terre, et le poing levé en hommage à George Floyd. »

Réputé distant – en tout cas en France -, Thierry Henry n’a pas été perçu de la sorte au Canada. Il n’a pas passé son aventure à faire des câlins au public, mais André Opzoomer, un des tauliers des 1642 MTL, est persuadé que la légende d’Arsenal était prête à donner de sa personne. À chaque but de l’Impact, les 1642 ont pour habitude de faire sonner une grande cloche dans les gradins, baptisée l’Étoile du nord. Rémi Garde, l’ex-coach, était venu la secouer. Pas Henry. « C’est sûr qu’il n’est jamais venu la sonner… mais tu sentais qu’il voulait être généreux avec les fans. Si on avait eu plus de matchs à domicile, on aurait pu avoir une réelle communion avec lui. Avec la Covid, tout s’est passé loin de nous », déplore André.

Sous Rémi Garde, on s’emmerdait

De loin ou à la loupe, le tableau Excel n’est pas tendre. Henry à Montréal, c’est 9 victoires, 4 nuls, 16 défaites. Mais jamais le mot « échec » n’est prononcé par les supporters du Bleu-Blanc-Noir. La prime au contraste, sans doute. « Sous Rémi Garde, on s’emmerdait, avoue André. C’était super défensif et on misait sur des transitions rapides pour marquer en contre. Avec Henry, on a souvent perdu, mais c’était pas chiant. » Pire défense de la division Est l’an dernier, l’Impact laissait beaucoup d’espaces, mais, par moment, avait réussi à raviver la flamme des partisans. « Henry misait sur des relances courtes, depuis le gardien, et une grosse activité des ailiers, du mouvement, ça allait vite », débite André avec nostalgie.

L’ex-buteur des Bleus martelait en effet ces préceptes dans le vestiaire et égrenait la leçon aussi en conférence de presse, quitte à prendre de haut les journalistes. Son côté prof ombrageux-à-qui-on-ne-la-fait-pas a plu. André : « En Amérique du Nord, on est parfois un peu coincé avec le politiquement correct. Là, il n’hésitait pas à recadrer, avec beaucoup de franc-parler. » On se souvient de lui sur le Rocher, désabusé devant certaines performances de ses joueurs. Avec Montréal aussi, on l’a vu ruminer tout haut sa frustration. A-t-il vraiment grandi entre-temps ? Olivier Tremblay, journaliste à Radio-Canada Sports, et fin analyste de longue date de la MLS, opine du chef : « À l’entraînement, lorsqu’une séquence ne lui plaisait pas, il arrêtait tout pour faire de la pédagogie, prendre le temps. On le sentait posé. Je pense que sur le plan humain, cette saison, vu l’épreuve qu’il vivait et que ses joueurs vivaient, il a progressé. »

Il a aussi vu la dose de confiance qu’il a injectée aux joueurs. « Je me souviens d’un des premiers matchs après sa nomination, il demande à Maximiliano Urutti de faire un grand lob sur le gardien. Le joueur n’est pas connu pour sa technique, et là, il le tente et ça fonctionne. Là, j’ai vu l’impact d’Henry. On a vu les balbutiements de ce qu’il aurait pu amener à long terme », estime le journaliste.

« On ne sait pas dans quelle direction on va »

Maxime Turpin, ancien abonné à Malherbe, est devenu un ultra de Montréal à son arrivée au Québec en 2013. Il confectionne les tifos et on sent que la vie des gradins lui manque. Le départ d’Henry lui laisse quelques regrets : « Moi, j’étais enthousiaste. Il connaissait la ligue, il y avait du mieux dans le jeu. Tu peux être sûr qu’il avait le vestiaire avec lui. Mais dans le contexte actuel, il n’aurait pas pu faire plus. » À vrai dire, l’amertume qu’on entend dans la voix de Maxime ne vient pas de là, c’est autre chose qui lui reste en travers de la gorge. Le changement de nom de son équipe, décidé cet hiver, l’a complètement scié : « Le sportif, c’est secondaire, on est en pleine crise d’identité en ce moment. Pour nous, le nom de l’équipe, c’est toujours l’Impact, les dirigeants ne nous respectent pas. » La fleur de Lys, emblème du Québec qui trônait sur le logo de l’Impact, est minuscule sur celui du CF Montréal. Le nouveau, plutôt réussi cependant, ressemble à un flocon de neige, un brin cliché pour les locaux : « Si ça prend trois ans pour qu’on retrouve notre nom, ça sera trois ans, mais on ne lâchera pas. »

André Opzoomer n’a pas non plus saisi ce changement de cap. Il estime que le club navigue à vue : « Henry, c’était un pari. Et si c’était à refaire, on le referait. Il a contribué à faire connaître le club. Là, avec le changement de nom, on ne sait pas dans quelle direction on va. » Un pari, finalement plutôt gagnant, pour l’image et dans le jeu, mais dont les gains pourraient vite s’effacer, sans résultats l’an prochain. Avoir pu garder Henry pendant cette période trouble aurait pu faciliter la transition de nom, diversement appréciée. C’est peut-être ça, finalement, l’Impact montréalais de Thierry Henry. La promesse d’un club qui grandit et de lendemains qui chantent, qui s’est enfuie.

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