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Thierry Guillou : « Avoir des idées énerve ceux qui n’en ont pas »

Propos recueillis par Christophe Gleizes
Thierry Guillou : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Avoir des idées énerve ceux qui n’en ont pas<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Passé par les équipes de jeunes du FC Lorient, du Burundi et du SM Caen, Thierry Guillou est un éducateur passionné, qui réfléchit énormément sur le jeu. L’année dernière, l’ancien gardien de but a publié un livre sur l’art de la formation, afin de partager ses convictions et ses coups de gueule. Ici, il évoque les idées de Christian Gourcuff, Jean-Marc Guillou et Josep Guardiola.

Le point de départ de votre réflexion sur le football, c’est une désillusion. Gardien prometteur, vous êtes finalement viré du centre de formation du FC Lorient à l’âge de 18 ans. Je me suis alors tourné vers le milieu amateur. J’ai poursuivi mes études et mes diplômes d’entraîneur en parallèle. Bref, je suis entré dans le monde du travail ! C’était un gros coup dur, mais cela m’a aussi permis de m’interroger sur moi, sur mon parcours. Qu’est-ce qui a fait qu’à un moment, ça s’est arrêté ? Qu’est-ce que j’ai raté ? J’avais une grosse volonté, j’étais, à un moment donné, sur les bons rails, dans les sélections régionales, dans un centre de formation. Puis rien. J’y ai réfléchi pendant de longues années.

Il y a deux ans, vous avez présenté votre pensée dans un livre intitulé Football et formation : une certaine idée du jeu. Il paraît que vous avez mis huit ans à l’écrire ! Moi, je ne suis pas un littéraire. Il y a des moments dans l’écriture où on est très inspiré, et d’autres où on pioche pendant des mois. Ce n’est pas à vous que je vais l’apprendre. Moi, ça a mis du temps. J’ai beaucoup travaillé, encore plus que pour mon mémoire de master. En parallèle, je lisais des livres sur le foot, j’archivais dans des classeurs tout ce qui me plaisait. Au bout d’un moment, j’ai commencé à relier les idées entre elles et ça a commencé à faire des pages. Le but de ce livre, c’est de ressentir et partager ma conception du foot.

Vous avez de belles références, puisque Christian Gourcuff signe l’avant-propos de votre ouvrage et Jean-Marc Guillou la postface. Notez-vous de grosses différences dans leur conception du jeu ?

Je tiens à préciser que je n’ai aucun lien de parenté avec Jean-Marc. Néanmoins, le fait de porter le même nom m’a rendu curieux vis-à-vis de son travail en Afrique. Il y a quelques années, il m’a accueilli pendant un mois, pour un stage d’observation riche en enseignements.

Dans l’idéal, non. La philosophie est la même. Ils sont pour un football créatif, spectaculaire, collectif. Un football construit, élaboré. Après, dans l’application, c’est un peu différent. Gourcuff a des principes très marqués, Guillou veut quelque chose de beaucoup plus libre. Comme Guardiola et Bielsa, ils arrivent à la même chose par des chemins différents. Je tiens à préciser que je n’ai aucun lien de parenté avec Jean-Marc. Néanmoins, le fait de porter le même nom m’a rendu curieux vis-à-vis de son travail en Afrique. Il y a quelques années, il m’a accueilli pendant un mois, pour un stage d’observation riche en enseignements. Il y avait Adama et Hamari Traoré, qui ont signé à Monaco et à Rennes ou encore Moussa Doumbia du Stade de Reims. À l’époque, ils avaient treize ou quatorze ans, c’était magnifique d’observer leur évolution. Cela m’a aussi donné l’envie d’entraîner en Afrique. Par la suite, j’ai eu en charge la sélection U17 du Burundi, une super expérience, où j’ai appris à m’adapter.

Après avoir entraîné les U19 du FC Lorient, vous voici désormais à la tête des U14 et U15 à Caen. Pourquoi ce choix ? N’y voyez-vous pas une forme de régression ? Pas du tout. C’est vrai qu’on est souvent plus ou moins bien payés en fonction de la catégorie d’âge, mais j’ai la chance de ne pas connaître ça. Normalement, les formateurs sont toujours en train d’essayer de viser la place d’au-dessus pour grimper dans les échelons. Mais bien souvent, c’est contre-productif, parce qu’une telle mentalité implique de jouer sa carte personnelle. De fait, ils recrutent des joueurs, font des tactiques restrictives pour ne pas perdre les matchs et avoir un beau CV. Moi, je ne suis pas dans cette démarche. Depuis mes débuts, j’ai eu toutes les catégories, même les gardiens de but. Sur le fond, je ne vois aucune différence.

Ce qui me fascine, c’est vraiment le développement du jeune footballeur, sa progression. Être capable de l’aider à sortir ce qui est en lui. Le talent, ils l’ont tous en eux.

Pascal Théault nous expliquait récemment que la formation, c’est une vocation… C’est marrant de parler de lui, car j’ai suppléé son frère en arrivant ici. (Rires.) Pascal Théault est très connu sur Caen, il a lancé toute une génération de joueurs. Il continue aujourd’hui à L’ASEC. Les pros, ça ne me dit rien. Ce qui me fascine, c’est vraiment le développement du jeune footballeur, sa progression. Être capable de l’aider à sortir ce qui est en lui. Le talent, ils l’ont tous en eux. Certains l’expriment naturellement, mais la majorité doit être accompagnée sur le plan technique et pédagogique. Moi, je défends le jeu que j’ai envie de voir jouer. On peut orienter un jeune, l’aiguiller très tôt vers une certaine conception du football. J’ai l’impression qu’à mon échelle, par ma modeste action, je peux participer à rendre le football meilleur.

Pour vous, ce dernier se rapproche de l’art. Il se doit de revendiquer une dimension esthétique. J’ai été bercé toute mon enfance par le jeu pratiqué par Christian Gourcuff. Ce que je trouve admirable chez lui, c’est la persistance dans les idées. Il n’a jamais dérogé à ses convictions. C’est très fort, dans un environnement aussi normé que le football, d’être capable de résister à la norme. Même en cas de mauvais résultats, il expliquait toujours les choses vis-à-vis du public. Maintenant, les supporters de Lorient sont exigeants, on voit qu’ils ont été éduqués, ils connaissent le football. Moi, j’ai baigné dans tout ça, j’ai pris du plaisir. Aujourd’hui, je préfère perdre avec mes idées qu’avec celles des autres.

On imagine que pour vous, Guardiola est la référence ultime ? À l’heure actuelle, il est incontestable. Le plus impressionnant, je crois, c’est la vitesse à laquelle il arrive à inculquer à ses joueurs ses idées sur le jeu. Ils leur offrent cette capacité à gagner tout en jouant un football admirable. Ses équipes ne cessent jamais d’évoluer. Au niveau personnel, ce n’est plus le même qu’en 2008, il s’est adapté. Parfois, il y a des entraîneurs qui marchent sur une période, mais qui ne savent pas évoluer. Je pense notamment à José Mourinho. Guardiola, lui, est toujours en mouvement pour avoir un temps d’avance.

Quels sont ses plus grands apports théoriques ? Il a apporté la sortie de balle, la relance courte. Avant son arrivée, la relance à partir du gardien n’est pas structurée. On pouvait relancer court, mais ça n’obéissait à aucune logique. Il a aussi été le premier à diviser la longueur du terrain en cinq couloirs. Le fait de découper l’aire de jeu, de placer les joueurs dans des zones afin d’avoir une occupation rationnelle du terrain, c’est ce qu’on appelle le jeu de position. C’est lui qui a démocratisé tout ça, comme avant lui Sacchi dans les années 1990 avait structuré la défense de zone.

Quand on grandit, on comprend l’utilité de la passe, et on entre alors dans la dimension collective, qui peut se résumer à la capacité de partager. Cela s’applique au football, mais à la société en général. Donner, cela implique de mieux recevoir. Malheureusement, avec l’omniprésence des statistiques, on est dans un contexte où l’individualisation du jeu est de plus en plus poussée.

Dans votre livre, vous insistez beaucoup sur « l’art de la passe » . La passe, c’est le lien entre deux joueurs. Elle détermine la puissance du jeu collectif. Quand les enfants commencent le foot à cinq ans, ils sont obnubilés par le ballon, ils ne voient pas les autres. Cela montre bien que se détacher du ballon, en faire don à un coéquipier, c’est difficile. Dans un premier temps, on n’en voit pas l’intérêt, on privilégie le côté individualiste du plaisir avec le ballon. Quand on grandit, on comprend l’utilité de la passe, et on entre alors dans la dimension collective, qui peut se résumer à la capacité de partager. Cela s’applique au football, mais à la société en général. Donner, cela implique de mieux recevoir. Malheureusement, avec l’omniprésence des statistiques, on est dans un contexte où l’individualisation du jeu est de plus en plus poussée. À partir du moment où le joueur est dans cette démarche-là, ça devient compliqué. Je me rappelle un match de Balotelli, la saison dernière, où il est en position de frapper et finalement, il renonce. Du coup, il veut décaler Thauvin sur le côté, mais sa passe est tellement mauvaise, ça se voit qu’il n’a tout simplement pas envie de la faire. L’individualisme, on le voit aussi dans les célébrations de but. Chaque joueur a la sienne. On court tout seul vers la caméra, il y en a même qui essaient d’échapper à leurs coéquipiers ! (Rires.) C’est ensuite reproduit par les plus jeunes qui font ça pour s’amuser.

C’est bien beau le collectivisme, mais l’égoïsme a aussi ses vertus ! Je dirais que c’est surtout la prise d’initiative qui est importante. Si on a des joueurs qui ne prennent jamais de décision, le jeu ne peut pas avancer. Il faut du caractère pour le faire, mais ce n’est pas de l’égoïsme. Si tu joues juste, tu frappes quand tu dois frapper, tu passes quand tu dois passer. Il s’agit simplement de prendre la bonne décision en dehors de ton cas personnel.

Du recrutement individuel à l’émergence du jeu collectif, votre livre est construit de manière chronologique. Oui, on part de l’individuel pour aboutir à une vision générale.

Il commence par la détection des jeunes talents. À ce stade, qu’est-ce qui est le plus important ? L’intelligence de jeu ! Il faut rechercher en priorité les qualités de footballeur, et pas les qualités d’athlète. Valoriser le talent réel du joueur et non sa performance immédiate. Il faut aussi maintenir des effectifs limités. À l’heure actuelle, il y a une surpopulation évidente dans les centres de formation. On prend beaucoup de joueurs afin que l’équipe soit compétitive, car ils peuvent donner un coup de main sur deux ou trois ans, quand bien même on sait que la majorité ne passera jamais pro.

Quels joueurs incarnent selon vous cette intelligence de jeu ? Xavi et Iniesta. Après, dans les joueurs que j’ai eu la chance de connaître, je pense à Matteo Guendouzi qui marche très bien à Arsenal. Ensemble, on a réalisé un beau parcours en Gambardella. Ce qui m’a marqué chez lui, c’est son désir de réussite. Il en est empreint et cela lui a donné une puissance qui a décuplé toutes ses qualités. Grâce à ça, il a atteint des hauteurs insoupçonnées. Il m’a vraiment appris l’importance de ce désir dans le développement du joueur, parce que ça rejaillit sur tous les autres facteurs. Maintenant, je le mets tout en haut dans mes critères de recrutement.

Quelles sont les conditions de l’éclosion ?

La révélation, elle vient du joueur. Si c’est nous le moteur, ça ne marche pas. Notre rôle, c’est seulement de créer les conditions de l’éclosion. Parfois on y arrive, parfois on n’y arrive pas. Il faut que les conditions de la réussite soient mises en œuvre au niveau du club.

La révélation, elle vient du joueur. Si c’est nous le moteur, ça ne marche pas. Notre rôle, c’est seulement de créer les conditions de l’éclosion. Parfois on y arrive, parfois on n’y arrive pas. Il faut que les conditions de la réussite soient mises en œuvre au niveau du club. Le plus difficile, c’est l’intégration dans l’équipe première. S’il y a un effectif pléthorique avec 35 ou 40 contrats pros, alors le jeune se contente d’un rôle de sparring-partner et il ne peut plus se développer. Quand on prend l’exemple du PSG, Nkunku, Diaby, N’Soki, ce sont des joueurs qui ont largement le niveau Ligue 1, mais ils ont stagné à force d’être relégués derrière les stars. On doit vraiment être sur un projet club qui intègre et fluidifie l’accès au haut niveau. Sur ce point précis, Jean-Marc Guillou avait vu juste vingt ans avant tout le monde. Son partenariat entre Beveren et l’ASEC a permis l’éclosion de toute une génération de joueurs ivoiriens.

Actuellement, dans les centres de formation, 80% des joueurs sont nés dans le premier semestre de l’année. Que faut-il penser de ce chiffre ? Cela dit quelque chose du réalisme de notre football. Chez les jeunes, on essaie par tous les moyens de remporter les matchs. Or, quels sont les moyens les plus faciles de gagner ? D’abord, avoir recours à des joueurs physiquement et psychologiquement aguerris. Quand il y a dix mois de différence, on le sent, je vous le dis. Du coup, les places sont aussi prises en équipes nationales de jeunes. C’est frappant. Certains jeunes d’octobre, novembre, décembre n’ont pas le courage de continuer tant la donne est faussée, il faut attendre la vingtaine pour qu’un rééquilibrage s’opère. En attendant, pour être performant, on maintient des jeunes dans des catégories où ils ne font plus de progrès. Le formateur doit savoir passer outre les résultats et se mettre en retrait.

En somme, vous le répétez souvent, il faut dissocier le contenu du résultat. Dans mon club actuel, vu qu’on a des bons joueurs, on gagne plus souvent qu’on ne perd. Néanmoins, je suis parfois déçu par le contenu. Ce critère de qualité de jeu, cela met le curseur plus haut que si on se réfère uniquement au résultat, qui peut être un leurre. On a tous eu ce match qu’on ne sait pas comment on l’a gagné, où l’adversaire a touché trois fois le poteau. Au fond de soi, on est contents pour les trois points, mais on sait qu’il y a de quoi être inquiet pour le match suivant.

Aujourd’hui, le constat est simple : la formation est devenue un préalable au trading des joueurs. Le football est une belle idée gâchée par la réalité des pratiques. Mais on peut essayer de se rapprocher d’un idéal. On a une ligne directrice, un point de mire, on lutte, on fait tout pour l’atteindre.

C’est la maladie du foot, ces histoires d’argent. Après, faut pas être surpris que le joueur vous quitte pour plus gros, sans la moindre contrepartie, parce que c’est comme ça qu’il a été éduqué. Il est entré dans le système.

Ce n’est pas facile, car tout est fait pour nous dégoûter. Mais quand on aime le football, on le fait. Il y a huit à dix ans, la vocation, c’était de former pour l’équipe première. Maintenant, c’est la spéculation. Des clubs comme Monaco récupèrent des jeunes à 17 ou 18 ans contre des petites indemnités et les revendent plusieurs millions d’euros deux ans après. Je pense à Sofiane Diop, cet attaquant de 18 ans qui est arrivé à Monaco à l’été 2018. Quand on connaît son parcours, ça n’a rien de surprenant. À douze ans, il jouait au FC Tours, puis a été débauché par le stade rennais. Il a fait trois ou quatre ans là-bas. À la fin de son contrat aspirant, Monaco le récupère contre zéro indemnité. Cet été, il a été prêté à Sochaux. On le voit, dès le début, ce garçon a été pris dans un mécanisme, recruté comme un professionnel, transféré à droite et à gauche. C’est la maladie du foot, ces histoires d’argent. Après, faut pas être surpris que le joueur vous quitte pour plus gros, sans la moindre contrepartie, parce que c’est comme ça qu’il a été éduqué. Il est entré dans le système.

Y a-t-il un club qui trouve grâce à vos yeux en France ? Il y a quand même Lyon qui est une belle institution. L’étape suivante, c’est de garder leurs jeunes en équipe première pour vraiment imprégner un style de jeu. À l’heure actuelle, ils partent au bout de deux ou trois ans. Je pense à Goebbels, Martial, Umtiti, Tolisso, Lacazette… Ce sont des joueurs qui auraient mérité de rester plus longtemps. Cela aurait donné une équipe incroyable. De plus loin, je suis séduit par les clubs des Balkans. Quand on voit le nombre de joueurs qu’ils sortent, et dans tous les sports collectifs, c’est un travail incroyable. La Croatie, ils sont cinq millions, mais ils font partie des meilleures nations en hand, en football, en volley. Cela m’intéresserait de comprendre comment ils arrivent à avoir une telle densité.

Vous insistez ensuite sur l’importance de l’esprit didactique, que vous assimilez à une recherche de la justesse. Réflexion et remise en question sont deux qualités que doit avoir chaque éducateur. C’est ce qui a permis à Guardiola de s’adapter sur la durée.

De manière générale, je trouve qu’on ne partage pas assez les idées. C’est pour ça que j’ai écrit un livre. Je regrette que parmi les entraîneurs en activité, personne n’écrive ! Ils attendent d’être au chômage pour donner des anecdotes, en mode secrets de famille, mais il n’y a pas de partage pour qu’on tire réellement le meilleur de l’expérience des uns et des autres.

Au niveau des jeunes c’est pareil, il faut être dans l’échange. De manière générale, je trouve qu’on ne partage pas assez les idées. C’est pour ça que j’ai écrit un livre. Je regrette que parmi les entraîneurs en activité, personne n’écrive ! Ils attendent d’être au chômage pour donner des anecdotes, en mode secrets de famille, mais il n’y a pas de partage pour qu’on tire réellement le meilleur de l’expérience des uns et des autres. Moi, je veux donner ma vision. Après on peut la discuter, on n’est pas d’accord, mais au moins ça donne des idées, d’où émergeront d’autres idées. On ne parle pas assez du jeu. Regardez par exemple le reportage de TF1 sur les Bleus à la Coupe du monde (Deuxième étoile). C’est un reportage sympa en lui-même, mais on ne montre rien des causeries de Deschamps, on ne montre aucun aspect tactique. Tout ce qu’on voit, c’est : « Bon, les gars il faut avoir plus envie que l’adversaire, il faut leur marcher dessus. » J’ose croire que les consignes de Didier Deschamps ne se limitent pas à ça. Il y a tout un travail d’analyse de l’adversaire et de consignes tactiques qui est zappé de l’envers du décor, alors que c’est le plus intéressant.

Vous dédiez ensuite un chapitre entier à la création de l’expression collective. Pourtant, Raymond Domenech soutient que l’identité de jeu, ça n’existe pas. Il y a des philosophies de jeu. Forcément, avoir des idées énerve ceux qui n’en ont pas. Les entraîneurs français qui critiquent Bielsa, qui se permettent de dire que c’est une escroquerie… Il y a une forme de jalousie. Quand Bielsa débarque, il peut choisir qui il veut, il décide du recrutement, ça crée des tensions avec ceux qui ne sont pas épanouis dans leur travail à cause d’un adjoint qui leur tire dans les pattes ou d’un président qui fait un recrutement sans concertation. De manière générale, ils sont licenciés pour des résultats, alors qu’ils n’y sont pas pour grand-chose. Donc je comprends que Bielsa puisse agacer. Mais il a des vraies idées sur le jeu. D’ailleurs, So Foot reprend toujours ses conférences de presse, c’est une super idée, je les lis tout le temps, cela permet de mesurer la puissance de sa réflexion et de ses convictions.

Mais alors, comment fait-on émerger une identité de jeu d’un groupe de joueurs ?

Le joueur qui a le ballon ne peut créer qu’en fonction de ses partenaires, il faut du mouvement autour de lui. Si personne ne fait des appels de balles, ou que ces derniers sont stéréotypés, la création est impossible puisqu’il n’y a plus qu’une seule passe possible.

Il faut des joueurs qui ont la volonté de coopérer avec les autres. Il y a des joueurs qui ont ça naturellement, tandis que certains sont des solistes, comme Hatem Ben Arfa. Mais quand on arrive à avoir six ou sept joueurs qui sont dans la même idée et qui parlent le même football, ça suffit pour imprégner toute une équipe. On peut alors se permettre d’avoir deux ou trois joueurs dans des registres différents. De manière générale, l’harmonie naît du mouvement et de la coopération des déplacements. Le joueur qui a le ballon ne peut créer qu’en fonction de ses partenaires, il faut du mouvement autour de lui. Si personne ne fait des appels de balles, ou que ces derniers sont stéréotypés, la création est impossible puisqu’il n’y a plus qu’une seule passe possible. Il n’y a aucune surprise pour l’adversaire, alors que si ça part à droite, à gauche, que ça décroche pendant qu’un autre prend la profondeur, là le porteur de balle peut surprendre l’adversaire en choisissant la solution la plus appropriée.

Il faut pour cela que tout le monde tire dans le même sens. Quand on est sur la même longueur d’ondes avec un joueur sur le terrain, c’est une source de plaisir tellement importante. Il faut être footballeur pour le comprendre. Quand j’étais encore à Lorient, notre duo d’attaque, c’était Kevin Gameiro et Morgan Amalfitano. En dehors du terrain, ces deux-là ne s’entendaient pas, ils n’avaient absolument aucune affinité. Mais sur la pelouse, c’était l’osmose ! Amalfitano comprenait tous les appels de balle, il a dû lui mettre je ne sais pas combien de passes décisives dans la saison. Une telle relation technique, c’était merveilleux à voir. Comme le disait Reynald Denoueix, le football, c’est avant tout le « plaisir de se comprendre » .

À l’heure actuelle, combien de clubs ont vraiment une identité de jeu ? Je dirais l’Ajax, le Barça, Manchester City, l’Atlético, peut-être la Juve, et voilà… City, c’est vraiment via Guardiola. Est-ce que cela survivra dans le jeu à son départ ? Rien n’est moins sûr, alors que chez les autres, peu importe les entraîneurs qui passent, tu sens vraiment le poids de l’institution, les attentes des supporters. Tout cela fait que la culture perdure avec plus ou moins de réussite.

Deschamps, Simeone, Mourinho ne sont peut-être pas des artistes, mais ils forment des armées. C’est vrai. Il y a quelque chose de poignant dans la dévotion des joueurs de Simeone. Il y a aussi un respect du cadre tactique qui me touche. Même si c’est une équipe à tendance défensive, l’Atlético, ils ne font pas n’importe quoi, c’est très structuré. C’est autre chose que le jeu direct ou spéculatif, où on va essayer d’éloigner le ballon le plus loin possible et se battre sur les deuxièmes ballons. Je préfère le football offensif, mais on sent qu’il y a une vraie réflexion derrière. J’arrive à y voir une forme de beauté.

Et l’équipe de France ?

Sacchi, c’est l’Italie, Guardiola c’est l’Espagne, Michel c’est les Pays-bas… Mais nous, est-ce qu’on a vraiment eu des techniciens en France qui ont révolutionné le jeu à un moment ? Pas énormément !

En France, on est capables de former des très bons joueurs. Mbappé, Pogba, c’est du très haut niveau. On les exporte en masse, donc cela prouve bien que les autres sont intéressés par leurs qualités. Cependant, en matière de formation de jeu, on est à la ramasse. On pourrait s’améliorer si on avait des idéaux plus marqués ! L’Espagne, l’Allemagne, ou l’Argentine ont très souvent des entraîneurs avec un idéal, des idées. En France, on pourrait tendre vers cela, essayer d’être un peu plus précurseurs. Sacchi, c’est l’Italie, Guardiola c’est l’Espagne, Michel c’est les Pays-bas… Mais nous, est-ce qu’on a vraiment eu des techniciens en France qui ont révolutionné le jeu à un moment ? Pas énormément !

À tout hasard, George Boulogne ? C’était un gars qui était sur la robustesse, qui axait beaucoup de choses sur le travail physique, car il estimait que les footballeurs français manquaient de puissance. Du coup, il a réfléchi à des contenus sur la préparation athlétique pendant des années. C’est pas mon école de pensée, mais au moins il avait une pensée. Qui ne s’est néanmoins pas révélée très favorable pour notre football dans les années qui ont suivi.

On est quand même doubles champions du monde sur ce modèle ! Oui, mais en matière de jeu, je me suis ennuyé. Pendant la Coupe du monde en Russie, je n’ai ressenti aucune émotion. En même temps, j’étais au Burundi. (Rires.) Mais je peux vous le dire : devant ma télé, j’étais franchement détaché. À part quand la France a gagné et que j’ai vu les gens heureux sur les Champs.

Même le rush de Mbappé contre l’Argentine, ça ne vous a rien procuré ?

Je suis très heureux que la France ait gagné, il y avait une vraie froideur, une capacité à punir l’adversaire. Mais j’étais quand même plus content pour le football en 2010 quand l’Espagne l’a emporté. Parce que, selon moi, cela servait davantage notre sport.

Si ! Si ! Quand même ! C’était une action individuelle magnifique. Mais il y a moyen de faire tellement mieux. Dans cette équipe, il y a des joueurs que j’adore ! Un mec comme Griezmann, je pourrais le regarder jouer tout le temps. Seulement, on le place dans un cadre strict où il ne peut jouer qu’à 70% de ses possibilités. Je suis très heureux que la France ait gagné – il y avait une vraie froideur, une capacité à punir l’adversaire – mais j’étais quand même plus content pour le football en 2010 quand l’Espagne l’a emporté. Parce que, selon moi, cela servait davantage notre sport. Nous, on a gagné, c’est très bien. Mais quelle influence a-t-on laissée sur le jeu ?

Chelsea n’a plus le Blues

Propos recueillis par Christophe Gleizes

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