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Thierno Seydi, agent de joueurs : « Pape Diouf est un modèle »
Thierno Seydi, agent sénégalais, est une référence du métier. Cet entretien est l’occasion de revenir sur son parcours, Pape Diouf son mentor, Didier Drogba son joueur, mais aussi Jean-Michel Aulas. Il y a quelques années, époque où Lyon régnait sur le championnat de France, le président lyonnais tentait de recruter l’ancien joueur de Chelsea. En vain.
Vous venez de Rebeuss, quartier chaud situé au cœur de Dakar, capitale du Sénégal.La première chose dont on parle lorsqu’on évoque Rebeuss, c’est sa prison, la plus grande de Dakar. Grandir dans ce quartier est une belle école de la vie, ça m’a appris à faire la part des choses. J’étais confronté à la drogue, l’alcool, la prostitution, les bagarres, mais mes parents m’ont inculqué des valeurs.
Un bon agent a le sens de la débrouille. Vous avez développé le vôtre là-bas.Tout à fait. Lorsque je suis arrivé en France, j’étais, parallèlement à mes études, conseiller en capitalisation.
Je vendais des assurances. Puis j’ai commencé à être rapporteur d’affaires chez Pape Diouf. Quand il a vu que j’étais bon et que j’entretenais de bonnes relations avec les joueurs, il m’a dit : « Je pense que tu es fait pour ce métier. Démissionne et viens travailler à temps plein. » C’est comme ça que je suis entré chez Mondial Promotion. En 1990, j’ai été le premier recruteur à dénicher Thierry Henry, lorsque Viry-Châtillon était sur le point de l’amener au Stade rennais. Oui, je vous parle de Thierry Henry ! (Rires)
Parlez-nous de cette période.Lorsque je n’étais pas à la fac les week-ends, j’écumais les terrains de la région parisienne. Il m’est arrivé de traverser tout Paris pour aller regarder des matchs en banlieue. L’année où j’ai vu Thierry Henry, il était en U15. Il faut aimer le football pour faire ce métier et ne pas tout de suite se dire : « Je veux devenir agent pour l’argent. » Oui, il faudra en gagner pour vivre, mais il faut d’abord être un passionné de football.
Comment convaincre un joueur lorsqu’on n’est pas connu ?Lorsque j’ai commencé à mettre des garçons en centre de formation, j’étais un intermédiaire. Le club me donnait un petit truc en échange. À l’époque, je ne connaissais pas vraiment le métier d’agent de joueur, je ne savais pas qu’il y avait un suivi. Ensuite, je me suis rapproché de Pape Diouf qui était, avec Alain Migliaccio et Pierre Garonnaire, le taulier à l’époque. J’ai aussi bénéficié de l’aide de Pape qui me mettait en contact avec les responsables des clubs. On faisait venir des joueurs aussi bien de l’étranger que de région parisienne.
Dans une interview, vous disiez : « À chaque fois que je commettais des erreurs, Pape était le premier à me reprendre. » Il me reproche mon caractère assez trempé. Parfois, je ne suis pas très conciliant. Je pars au quart de tour. Quand je prenais certaines positions qu’il n’estimait pas bonnes, il me reprenait : « Non, ce n’est pas comme ça. » Pape avait cette faculté à remettre tout le monde à sa place sans heurts. En dehors du fait que hiérarchiquement, il était mon supérieur, c’était le grand frère à qui on ne disait pas non, de par ma culture sénégalaise. Il faut respecter son aîné même lorsqu’on n’est pas convaincu.
La chose la plus importante qu’il vous a apprise ?Rester droit, en phase avec mes principes et ne pas faire de compromis : « Thierno fais ce métier en gardant tes valeurs, ne rentre pas dans des combines. »
Jusqu’à preuve du contraire, je m’y suis tenu. Même si parfois tu peux te dire : « Ouais, je vais faire ça… » Quand tu te souviens de ses paroles, tu te reprends. Oui, le monde du football est devenu violent, mais j’essaie de garder les valeurs qu’il m’a inculquées. Jusqu’à la fin de ma vie, je ne veux jamais faire quoi que ce soit qui puisse enlever l’estime que Pape Diouf a pour moi. C’est un modèle, il m’a donné la chance de réussir dans un métier qui me passionne.
Donc vous avez déjà été tenté de suivre le « mauvais chemin » . Parfois, quand tu es dans une négociation, on te fait certaines propositions. On peut se dire alors « est-ce que ça n’en vaut pas la peine si ça peut faire avancer les choses ? » Parfois, ce serait au détriment du joueur ou du club. Le rôle d’agent, c’est être conciliant. Je me suis toujours dit que je devais rester droit pour défendre l’intérêt de mes joueurs. Je suis lié avec eux contractuellement et moralement. Ils me font confiance, me confient leur carrière. Je ne peux pas rentrer dans ce genre de combines.
Que devient Didier Drogba ?Il arrive à la fin d’une belle carrière et s’est donné un dernier challenge. On s’est toujours fixé comme objectif qu’il joue jusqu’à 40 ans. C’est un vrai passionné de foot.
Pourquoi a-t-il choisi les États-Unis ?Il a des projets pour l’après foot là-bas, donc c’est plus facile d’y être dès aujourd’hui. Et puis c’est un choix de vie. Ses enfants ont suivi des programmes en anglais, ça peut leur permettre de continuer.
Pourquoi n’est-il jamais revenu à l’OM ?Parce qu’à chaque fois, trop de choses divergeaient. Lorsqu’il était à Chelsea, il avait des prétentions que l’OM ne pouvait pas combler. Il était au sommet de son art. Ce n’est pas une question d’envie. Il a toujours juré qu’il reviendrait, mais comme il l’a très bien dit : « On ne joue pas pour perdre de l’argent. » On travaille pour en gagner. Ce, malgré toute l’affection qu’il peut ressentir pour l’OM. C’est un rendez-vous manqué.
Vous êtes réputé pour ne rien lâcher. Un jour, vous avez tenu tête à Jean-Michel Aulas.Il avait appelé directement Didier Drogba pour lui dire de venir à Lyon. À ses débuts à Chelsea, il avait du mal à s’intégrer, donc à la fin de la première année, il est revenu à la charge.
Par respect, Didier lui a répondu : « Oui pourquoi pas, mais pour le moment je suis à Chelsea. Ce n’est pas facile, mais je sais que je vais retourner la situation en ma faveur. Mais bon si les deux clubs sont ok, appelez mon agent. » Aulas a dit qu’il ne m’appellerait pas parce que « je suis le pantin de Pape Diouf » . Lorsqu’il est venu me serrer la main, j’ai refusé. C’était en 2006 lors de la Coupe du monde. J’étais devant l’hôtel des Bleus, j’étais venu y récupérer mes places. Je lui ai rappelé au passage que « j’étais le pantin de Pape Diouf à qui il n’a pas voulu parler » .
Résultat ?Ça n’a pas dégénéré, mais il a compris qu’il était face à quelqu’un qui n’avait pas peur de lui dire ce qu’il pensait. Enfin, c’était à l’époque où Lyon était au sommet aussi.
S’occuper d’un joueur africain ou d’un européen, quelles différences ?Ce n’est pas la même approche, ils n’ont pas la même culture, ni les mêmes valeurs, mais on se retrouve toujours sur l’essentiel : l’accompagnement et essayer de faire les meilleurs choix sportifs. La différence se voit davantage par rapport à l’âge. Les joueurs de la génération Drogba étaient des amis avec qui je pouvais parler de tout. Aujourd’hui, cela pourrait être mes enfants. Ils m’appellent tonton ou papa. Je ne vais pas parler de gonzesses avec eux.
Lorsqu’un binational vous demande conseil sur la sélection qu’il doit choisir, que lui répondez-vous ?Un jeune de 17 ans binational qui veut jouer pour l’équipe nationale sénégalaise, ivoirienne ou malienne, je lui demande toujours de patienter et de penser avant tout à faire décoller sa carrière. Je ne prends pas de risques. Je le laisse jouer avec l’équipe de France. Au-delà de 22 ans, s’il n’a que peu de chance de jouer avec les Bleus, autant le réorienter pour qu’il ait une carrière internationale. Didier Drogba, c’est aussi grâce à la Côte d’Ivoire qu’il a cette aura.
Si l’équipe du Sénégal était composée essentiellement de binationaux, ne risquerait-elle pas de perdre son identité ?Si les joueurs sont sénégalais, qu’ils ont un caractère de Sénégalais, la question ne se pose pas. Par exemple, Issiar Dia est né en France, mais qu’est-ce que les Sénégalais peuvent lui reprocher ? Il a toujours mouillé le maillot. En plein regroupement de l’équipe de France U19 ou U20, il a décidé de représenter le Sénégal. On ne l’a même pas démarché. C’était un choix personnel.
La FIFA a décidé d’abandonner le système des licences d’agents. Quelles répercussions ?C’est la porte ouverte à tous les débordements. La FIFA a essayé de se dessaisir d’un problème qui commençait à être récurrent.
Il y avait trop de plaintes émanant des agents et des clubs, mais ça n’a que des effets négatifs. Aujourd’hui, la Fédération française maintient la licence, mais en dehors, tout le monde peut travailler. Les avocats quittent le barreau pour devenir agents. La FIFA a foutu un vrai bordel. Nous, agents officiels qui travaillons depuis des années, sommes confrontés à une nouvelle vague d’individus sans foi ni loi qui essaient de foutre la merde. Malheureusement c’est comme ça, il faut faire avec, mais la FIFA a fui ses responsabilités sur ce dossier.
Propos recueillis par Flavien Bories