- C1
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Thibaut Courtois garde la ligne
À l’ère des gardiens modernes, mués en véritables libéros, Thibaut Courtois a décidé de conserver les bases. Des mains fermes et une relance soignée, qui lui ont conféré une réputation d’infranchissable, confirmée cette saison au Real Madrid.
Lorsqu’on mesure 2 mètres, il est légitimement difficile de se mouvoir avec aisance. Des bras trop longs, un corps rigide et une carcasse lourde à transporter. Mais de ce qui pourrait s’apparenter à un inconvénient, Thibaut Courtois a appris à forger un style caractéristique. À l’instar de Bodo Rudwaleit (2,02m), Željko Kalac (2,02m) ou Costel Pantilimon (2,03m), illustres prédécesseurs du genre. Des qualités intrinsèques d’anticipation et de couverture de l’espace, venues ériger le Belge en modèle de puissance.
Les D sont jetés
Quand on lui énumère les spécificités de son protégé, Guy Martens, entraîneur des gardiens au KRC Genk et formateur de Thibaut Courtois, n’hésite pas à monter au créneau. Notamment quand on parle de jeu au pied : « Je ne suis absolument pas d’accord quand on dit que Thibaut n’est pas bon au pied ! Évidemment, ce n’est pas sa qualité première. Pourtant, quand il doit être le premier relanceur, il le fait très bien. Il cherche toujours une solution, jamais à balancer au hasard(dernier exemple en date, sa demi-finale retour face à Manchester City, dont une passe dans l’intervalle pour Eduardo Camavinga conduira au penalty obtenu par Karim Benzema, NDLR). Mais comme il est grand, beaucoup lui enlèvent ce registre et se concentrent sur ses mains. » Car pour l’enfant de Bree, la priorité reste la ligne de but. Au même titre que Manuel Neuer, Marc-André ter Stegen ou Ederson, Courtois s’est en effet construit par le biais d’une envergure singulière. Mais à l’inverse de ses contemporains, le Limbourgeois a opté pour une approche plus « classique » et épurée du poste.
Une théorie ainsi visible sur les situations subies, le poussant, souvent, à attendre l’arrivée de l’attaquant dans sa zone, plutôt que d’opter pour une sortie rapide sur le porteur de ballon (110 tirs subis en moyenne chaque saison depuis ses débuts en 2009, 75% d’arrêts). « La fameuse notion de proactivité, précise Martens. C’est-à-dire qu’il n’attend pas que l’action se déroule pour réagir. Il influence l’action. Par un mouvement ou même un non-mouvement sur sa ligne, il force, en quelque sorte, l’attaquant à prendre une décision. C’est l’une des premières bases que l’on a travaillées à Genk. Comme il était déjà très grand, il fallait qu’il joue de son corps afin de ne pas en subir le poids au moment d’intervenir. » Une méthode établie, dite des « 2D et 3D » par les spécialistes, que Courtois a su parfaire depuis son départ de Belgique. Cette même méthode qui lui a permis de trouver sa place, entre fondements rudimentaires et prises de risques assumées. Martens : « On appelle 2D toute la zone couvrant la ligne de but du portier, car le gardien doit couvrir ses angles en périphérie. La 3D est la zone située entre le point de penalty et l’entrée de la surface, l’amenant à avoir une vision globale du terrain. Chez Thibaut, les premières qualités, et celles qu’il a le plus travaillées, se situent donc sur sa ligne. Car c’est là qu’il faisait parler son gabarit. En partant de cette base, cela lui a permis d’ensuite dompter son jeu loin des cages, par ses sorties ou ses relances au pied. » Un style sobre, à l’ère des premiers relanceurs.
Le bras long
Intimidant en un contre un, de ceux qui transforment les cages en minuscule trou de souris, Thibaut Courtois a finalement bâti sa carrière sur un savant mélange, fait d’impact physique et de réflexes déroutants. « Pour avoir suivi les progrès de Thibaut, club après club, je peux dire que le Real Madrid l’a nettement fait progresser sur sa vitesse d’exécution, enchaîne Guy Martens. Depuis son arrivée là-bas, sa capacité de mouvement au sol et de réaction sur les situations chaudes saute clairement aux yeux. C’est la preuve de l’efficacité de ce jeu en 2D que nous apprenons à nos jeunes gardiens. » Pas étonnant, dès lors, de le voir réaliser les meilleurs chiffres de sa carrière chez les Merengues, une première depuis son passage à l’Atlético : 18 clean sheets lors de la saison 2019-2020, 17 en 2020-2021, 16 en 2021-2022 et un pourcentage d’arrêts réussis estimé à 80% en trois saisons, son plus haut total en professionnel. Au service des statistiques, le profil du « Petit belge » recèle donc un paradoxe conséquent : la taille.
En effet, il peut sembler difficilement explicable qu’un sportif longiligne, voué à contrôler l’entièreté de son corps, puisse se jeter au sol et se relever aussi vite qu’un joueur de poche. Pour coach Martens, son protégé a, avant tout, su tirer la quintessence de ce que la nature lui a donné : « Ses bras sont un atout fatal. Il s’en est toujours servi comme d’un élément de projection au sol, une sorte de centre de gravité bas, partant de l’épaule, jusqu’au poignet. Thibaut les utilise comme une corde, que l’on tire d’un coup sec, pour plonger très vite. Ce sont des détails, mais, quand ils sont répétés sans cesse, ils finissent par devenir des automatismes. » En élargissant la focale, il est ainsi naturel de voir cet ensemble d’aptitudes entre les poteaux reléguer le débat sur le jeu au pied en arrière-plan.
Car dans les faits, et tel que le précise son coach, si le trentenaire s’expose moins que ses homologues allemands, c’est surtout en raison du style exigé et exposé par ses coéquipiers dans le champ. Au sein d’un Real Madrid basant son jeu sur une forte densité au milieu de terrain, il semble effectivement difficile de solliciter son portier à la construction . « Il y a une différence entre« être mauvais au pied »et« être moins sollicité ». Au Real Madrid, les milieux décrochent beaucoup pour chercher le ballon, donc forcément, Thibaut a moins la possibilité d’exprimer cet aspect. Tant mieux d’ailleurs. À l’inverse, un gardien comme Alisson, à Liverpool, profite du bloc haut de son équipe, notamment de ses latéraux, pour devenir une rampe de lancement, nécessaire au jeu de transition recherché par Jürgen Klopp. La différence est dans le système, pas dans les qualités de chacun. » Une opposition et une affirmation de style donc, que la finale de la Ligue des champions de ce samedi s’apprête à mettre en lumière. Et voir Thibaut Courtois briller encore un peu plus.
Par Adel Bentaha
Propos de Guy Martens recueillis par AB.